/news/law

De la correspondance exclue de la preuve

Procès de Guy Turcotte

Dans ce texte:

Guy Turcotte a été jugé sans que le jury puisse lire deux lettres adressées à son ex-conjointe après le drame.

Ces lettres manuscrites rédigées par l'ex-cardiologue à l'attention d'Isabelle Gaston, l'été suivant le drame de Piedmont, avaient été récupérées par les enquêteurs de la Sûreté du Québec et déposées par la Couronne, à l'enquête préliminaire de l'accusé, le 26 février 2010.

Les écrits de Turcotte, de même que la réponse de son ex-conjointe, étaient frappées d'une ordonnance de non-publication, tant qu'un verdict ne serait pas rendu. Leur contenu peut maintenant être rendu public.

Effet préjudiciable

La poursuite entendait les utiliser pour étayer sa thèse voulant que Turcotte ait tué ses deux enfants pour se venger de leur mère, après la séparation. Il n'a toutefois pas été question de ces documents au procès, puisque le juge Marc David a décidé qu'ils ne pourraient être admis en preuve.

Le magistrat a estimé que ces lettres, rédigées plus de cinq mois après la tragédie, n'étaient pas assez contemporaines du moment fatidique où Turcotte plaidait avoir perdu la raison pour expliquer ses gestes du 20 février 2009.

L'effet préjudiciable aux yeux du jury aurait été disproportionné, selon le juge. La Couronne n'a donc pu questionner Turcotte sur le fait qu'il n'a pas contribué à financer les obsèques de ses enfants.

À la «cenne» près

Guy Turcotte a écrit à Isabelle Gaston le 12 juillet 2009, alors qu'il était détenu à l'Institut Pinel où il recevait des soins psychiatriques. Puis, trois semaines plus tard, de sa cellule à la prison de Rivière-des-Prairies.

Quatre pages dans lesquelles le médecin démissionnaire décline avec une précision comptable la somme de ses avoirs et la valeur des biens du couple brisé, en marge du partage de leur patrimoine familial.

Les «choses» des enfants

Il ne la ménage pas de demandes, renseignements ou suggestions. Du prix visé pour la vente de la maison qu'ils habitaient jusqu'aux livres de Harry Potter qu'il veut récupérer.

Contrairement à la mère des victimes, dans sa réponse du 24 juillet, le cardiologue ne fait à peu près pas allusion à Olivier et Anne-Sophie dans ses deux lettres. Sinon que pour évoquer que les «choses» qu'il avaient achetées aux enfants et qu'il n'a «évidemment pas inclus» dans ses calculs.

Extraits de sa lettre de trois paragraphes à Isabelle Gaston, le 12 juillet 2009

«On m'a fait le message que tu as essayé de me parler par téléphone hier soir à deux reprises. Dans ma situation actuelle, je ne peux pas te parler. C'est pour cette raison que je t'écris. (...) Je profite de l'occasion pour te demander quelque chose. J'ai pensé que ce n'était pas nécessaire de passer par les avocats (et de les payer) pour ça. J'ai besoin des relevés du compte VISA Desjardins (...).»

«Si tu pouvais me les poster s'il vous plaît. Tu peux utiliser l'adresse de mes parents (...) ou bien l'adresse ici à (l'Institut) Pinel. Je devrais être encore ici pour quelques semaines avant d'être transféré en prison en attendant mon procès (...). Je suis disposé à discuter par écrit de la séparation. D'ailleurs, je pense que la maison pourrait être vendue à plus de 320-325 milles et pas seulement 310 000 $.»

Extraits de la réponse d'une page d'Isabelle Gaston, le 24 juillet 2009

«Avant de répondre aux demandes de ta lettre, j'aimerais te donner quelques conseils. Tout d'abord, lorsque tu entreprends une action, une parole... réfléchis! Fréquemment, lorsqu'on commet un geste méchant ou mal intentionné, ça finit tôt ou tard par se retourner contre nous.»

«Le 20 février, ton but était de me blesser, alors BRAVO, c'est très réussi. Toutefois, tu n'as pas considéré que je suis une fille forte et de principes. Je vais surmonter cette épreuve en mettant en pratique ce que j'aurais voulu qu'on dise à Olivier et Anne-Sophie, si tu avais opté de me tuer MOI au lieu d'EUX. J'aurais aimé qu'ils VIVENT à 110% leur vie, qu'ils évitent de se replier sur eux-mêmes et qu'ils profitent à fond de tout ce que la vie a de beau à offrir.»

Tu as fait un CHOIX... assume-le.

"Ta haine a surpassé ton amour pour tes enfants.

Pour moi, en tuant nos enfants (...), tu es mort avec eux."

«Mes enfants ont souffert (...) Ils étaient parmi les plus chanceux de la terre et ils ont eu une mort que même les pires rapaces de la planète ne connaîtront pas. Tu n'as pas de remords... ou du moins, les remords que tu as, c'est face à TA vie que tu as gâchée et non du mal que tu as fait subir à 2 êtres innocents, SANS défense.»

«Pour moi, nos enfants valaient plus que tout l'or du monde. Ces 2 beaux trésors exceptionnels, je ne peux aspirer à les retrouver un jour dans cette vie. Par conséquent, je suis d'accord avec toi, le partage des biens est inéquitable.»

Extraits d'une lettre de trois pages de Guy Turcotte à Isabelle Gaston, le 4 août 2009

«Pour ta voiture, il faudrait que tu me donnes sa valeur au moment de la séparation. Pour estimer la valeur de la mienne, j'ai téléphoné au CAA (...). Il faudrait ajouter le prix du rack à ski et du rack à vélo qui font aussi partie des acquêts depuis notre mariage.»

«Je vais aussi avoir besoin du relevé de tes REER de (mars) 2009. Le mien représentait 102  754,58 $ à cette date. (...) Le solde de mon compte de banque le 26-1-2009, date officielle de la séparation, le jour où j'ai déménagé, était de 15 598,67 $ et je n'avais rien dans la marge de crédit.»

«Pour le coût des funérailles, je suis prêt à en payer la moitié et je suis même prêt à tout assumer. Je n'ai jamais refusé de payer quoi que ce soit pour mes enfants. Et c'est encore le cas.» (NDLR : Isabelle Gaston n'a pas reçu un sou de son ex-conjoint pour les obsèques des victimes, selon la Couronne.)

«J'ai additionné les factures de tous les meubles, les accessoires de décoration et autres biens dans la maison, la cuisine, le cabanon, électroménagers... Ça fait un total de 40 à 50 milles.»

«Pour le partage, je suis prêt à te laisser la majorité des biens moyennant une compensation financière. Il faut se baser sur une estimation de la valeur actuelle, soit environ 45%. (...) La moitié de cette valeur correspondrait à ma part, si tu es d'accord. Je n'ai évidemment pas inclus les choses des enfants (...).»

«Je suis tout à fait d'accord pour qu'on s'arrange le plus possible ensemble pour éviter les frais d'avocats exorbitants.»

«Je te ferai aussi éventuellement parvenir une liste détaillée des choses que j'aimerais récupérer. Entre autres mon vieux vélo et le rack à vélo Subaru. J'aimerais aussi récupérer tous les livres de Harry Potter si tu n'y vois pas d'inconvénient (j'ai seulement les 3 derniers, j'aurais aimé avoir aussi les 4 premiers).»

Commentaires

Vous devez être connecté pour commenter. Se connecter

Bienvenue dans la section commentaires! Notre objectif est de créer un espace pour un discours réfléchi et productif. En publiant un commentaire, vous acceptez de vous conformer aux Conditions d'utilisation.