Les Québécois sont plus que jamais accros aux antidépresseurs. En 2011, un nombre record de 14,2 millions d'ordonnances ont été délivrées par les pharmaciens.
Ce sont au-delà de 1 million d'ordonnances de plus qu'en 2010. Il va sans dire que les ventes atteignent également des sommets. Celles-ci ont dépassé les 420 millions de dollars au Québec seulement, l'an dernier, selon les plus récentes données fournies par IMS Brogan.
«Les gens veulent une pilule du mal de l'âme qui agit tout de suite», observe le sociologue Richard Lefrançois, professeur associé à l'Université de Sherbrooke.
Par son laxisme complaisant, la société tout entière est responsable de cette intoxication collective aux antidépresseurs, s'insurge-t-il. La prise d'antidépresseurs a été en progression constante, ces dernières années, au Québec.
Tant et si bien que l'augmentation est de l'ordre de 50 %, en cinq ans. Fait à noter, plus d'une ordonnance sur deux d'antidépresseurs est assumée par le régime public d'assurance médicaments.
«Superbes molécules»
Ces données ne signifient pas pour autant qu'il y ait surconsommation, juge, pour sa part, le président de l'Association des médecins omnipraticiens de Québec, le Dr Michel Lafrenière.
«Les antidépresseurs, ce sont de superbes molécules. Ils sont efficaces dans des délais drôlement rapides, avec le soutien d'une thérapie», opine le Dr Lafrenière.
«Face à un patient dépressif, il faut d'abord évaluer s'il y a une dangerosité suicidaire. On évalue si une médication est nécessaire ou non. Ensuite, on revoit le patient à court terme», explique-t-il.
Selon le Dr Lafrenière, il ne faut pas non plus oublier que les antidépresseurs ont plusieurs indications. Pensons aux troubles anorexiques ou compulsifs, aussi bien que la cessation tabagique.
«C'est ce qui a permis aux patients en santé mentale de sortir des institutions», argue le médecin.
S'engourdir
Richard Lefrançois n'est pas convaincu des bienfaits des antidépresseurs.
«Aller en thérapie, c'est long. À l'ère de l'ici et maintenant, on veut endormir les maux de notre société par des actions à court terme», formule-t-il.
Vivre un deuil, un divorce, cela prend du temps. On consomme des antidépresseurs pour contrer l'ennui, la solitude, la douleur chronique, l'anorexie, la perte d'estime de soi.
«C'est comme si on ne pouvait plus ressentir de la tristesse. À force de s'engourdir, notre organisme perd sa capacité à combattre les épreuves», estime le sociologue, qui s'intéresse plus particulièrement au vieillissement.

Un rythme trop rapide ?
Porte-parole de Tel-Aide et observatrice avertie de la société québécoise, l'auteure Janette Bertrand refuse de condamner les médecins qui prescrivent les antidépresseurs, dans la mesure où ils le font avec modération.
Mme Bertrand s'en prend plutôt au rythme de cette société moderne dépersonnalisée dans laquelle tout est basé sur la performance et dans laquelle on parle avec ses amis «avec ses pouces».
«La vie est vite, il faut performer, il faut être bon. Il faut que tu réussises ton couple. Il faut que tu réussisses tes enfants. Réussite, réussite, réussite. C'est dur. Est-ce que l'être humain est fait pour ça?»
Aînés déprimés
Entre 2005 et 2009, la moitié des nouveaux utilisateurs d'antidépresseurs, au Québec, avaient 60 ans ou plus.
Les femmes représentaient les deux tiers des nouveaux consommateurs de psychotropes. «L'élément déclencheur peut être des tensions dans le couple, la maladie, la perte d'autonomie, les difficultés économiques», analyse M. Lefrançois.
«Plusieurs voient leur fonds de retraite menacé. Ils doivent envisager de prolonger leur vie active ou de retourner au travail», soulève-t-il.
Selon Richard Lefrançois, il y a de plus en plus de joueurs compulsifs chez les gens âgés. Certains se suicident. L'analphabétisme chez les aînés pose également un problème de société.
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