Élections clés en main, prête-noms, double comptabilité... C'est un témoin sans aucun filtre qui a témoigné aujourd'hui devant la commission Charbonneau. Gilles Cloutier, ancien vice-président au développement des affaires pour les firmes de génie-conseil Roche et Dessau, a expliqué en détail tout au cours de la journée les coulisses du financement politique des années 1950 à aujourd'hui.
Loin de se faire prier, le témoin a commencé à vider son sac alors même que la procureure en chef, Me Sonia LeBel, parcourait son curriculum vitae. M. Cloutier a alors enchaîné les histoires et les anecdotes à un rythme effréné.
Il s'est même lancé dans un véritable cours «Élections clés en main 101», expliquant étape par étape comment il s'y prenait pour garantir la victoire à un candidat. En guise d'exemple, il a expliqué l'élection qu'il a organisée pour le maire de Sainte-Julienne Marcel Jetté à la fin des années 90 et pour lequel Roche réclamait en retour le contrat d'une route évalué à quelques millions de dollars.
«Je ne m'embarque pas s'il ne peut rien me donner en échange», a d'entrée de jeu expliqué Gilles Cloutier.
Le témoin a par la suite détaillé les quatre critères d'importance lors de l'organisation d'une élection clés en main: l'organisation, le financement, les communications et la qualité du candidat.
«Le financement, je leur dis de ne pas trop s'en occuper parce que je suis là», a dit Cloutier en prenant soin de spécifier qu'il s'agit de la partie la plus «facile».
Gilles Cloutier rencontrait donc le candidat à la mairie pour conclure un marché avec lui. Il organisait ensuite une soirée avec l'équipe complète pour ficeler les moindres détails allant de la séance de photos à la pratique du porte-à-porte en passant par la façon de faire le pointage.
Entente secrète
Le témoin a aussi expliqué que l'ensemble de ses démarches se faisait dans le plus grand secret, seul le candidat à la mairie étant au courant de l'entente sans toutefois savoir les moyens mis de l'avant pour y parvenir.
«Il se doute qu'il y en a un [budget caché], mais il ne connaît pas les chiffres. Il me posait des questions: Qui paye pour ça?»
Pour rassurer le candidat, Gilles Cloutier a raconté qu'il organisait parfois un cocktail de financement par apparence.
«Je manipulais et je calmais l'agent officiel. Je lui disais de venir au bureau moins souvent», a ajouté l'ex-organisateur politique affirmant toutefois qu'«un moment donné, ça devient difficile de tout cacher».
«Le meilleur comptable c'est celui qui ne regarde pas?», lui a demandé la présidente France Charbonneau, ce à quoi il a répondu par l'affirmative.
Structure pyramidale
Pour s'assurer d'obtenir un maximum de votes, Gilles Cloutier a aussi mis en place un système de «parrainage». Il remettait alors à des bénévoles une feuille sur laquelle ils devaient inscrire le nom de 20 citoyens qu'ils avaient incités à aller voter.
«Je demandais à ces gens-là d'aller les faire voter lors du vote par anticipation», a-t-il affirmé soulignant du même coup l'importance de cette journée. «Ce sont des gens dont je n'ai pas besoin de m'occuper le jour J.»
Pour motiver les bénévoles, Cloutier promettait un cadeau à celui qui ferait «sortir» le plus de votes. Le témoin a raconté avoir déjà offert quatre billets pour un match de hockey et même un voyage en Floride; le tout payé à même le budget occulte.
L'ex-organisateur politique aurait ainsi parfois réussi à obtenir 40% de participation lors du vote par anticipation.
Financement occulte
Concernant le financement, le témoin a confirmé qu'il avait recours à des prête-noms pour renflouer les coffres puisque, selon lui, le budget alloué par le DGE est à peine suffisant pour faire une campagne «normale».
Gilles Cloutier a d'ailleurs confirmé avoir utilisé certaines de ses compagnies à numéro pour «blanchir» de l'argent destiné au financement électoral.
L'ex-organisateur a aussi raconté que lors de l'élection de 2003, à Sainte-Julienne, une erreur de calcul a mené au dépassement du budget officiel. Pour se tirer d'affaire, il a demandé à la firme de communications qui avaient produit les affiches de lui octroyer un faux crédit de 600 dollars.
Le témoin a reconnu devant la commission avoir organisé «une soixantaine» d'élections clés en main alors qu'il était à l'emploi de Roche et en avoir seulement perdu «cinq ou six».
«Ça peut représenter quoi votre travail comme valeur monétaire?», lui a demandé Me LeBel. «Je pourrais me permettre, dans une élection comme Sainte-Julienne, d'évaluer ça à 25 000 dollars.»
Plus tôt en journée, la procureure a demandé au témoin d'estimer le pourcentage réel du financement populaire au Québec. Gilles Cloutier a avancé le chiffre de «5 à 10%» pour la scène municipale et celui de «15 à 20%» au provincial.
Implication à Montréal
Questionné quant à son implication à Montréal, Gilles Cloutier a expliqué avoir fait davantage de financement que d'organisation pour Union Montréal.
Le témoin a alors raconté que Frank Zampino avait réclamé 100 000 dollars de Roche pour les élections de 2001 ce que la firme, d'abord réticente, a accepté dans l'espoir d'obtenir des contrats de la Ville.
«Il [Zampino] m'a dit: Continue à soumissionner et vous allez en avoir des jobs.» Or, après un an, Roche n'avait toujours pas obtenu de contrats. «Marc-Yvan Côté n'était pas content et Roche non plus. On a accoté Zampino et Tremblay au mur: Donnez-nous de l'ouvrage, on a payé pour ça!»
La firme de génie-conseil a finalement obtenu un important contrat d'évaluation municipale.
En fin de journée, Gilles Cloutier a lâché une bombe au sujet de Bernard Trépanier. Le témoin a affirmé qu'il voyait «régulièrement» le directeur du financement d'Union Montréal avec des «enveloppes brunes» dans les bureaux de Dessau.
L'ex-organisateur prétend même avoir avisé Gérald Tremblay qu'il valait mieux pour lui se débarrasser de Trépanier parce qu'il «jouait avec l'argent».
MISES À JOUR
16h32 - Les audiences sont suspendues jusqu'à demain matin.
16h30 - Témoin dit qu'il voyait «régulièrement» Trépanier chez Dessau avec des «enveloppes brunes». Cloutier dit avoir refusé de travailler avec Trépanier, malgré l'instance de Sauriol.
16h23 - Cloutier dit qu'il a averti Gérald Tremblay de se débarrasser de Bernard Trépanier parce qu'il «jouait avec l'argent».
16h21 - Roche a aussi donné en 2005.
16h17 - «Il m'a dit: Continue à soumissionner et vous allez en avoir des jobs.» Après un an, toujours pas de contrats. «M. Côté n'était pas content et Roche non plus.» «On a accoté Zampino et Tremblay au mur: Donnez-nous de l'ouvrage, on a payé pour ça!» Roche a finalement eu un gros contrat d'évaluation municipale.
16h11 - Zampino aurait de nouveau réclamé le montant en présence de Marc-Yvan Côté. Roche a accepté, mais n'avait pas l'argent. Cloutier dit avoir pris 25 000$ de son compte en banque et s'être fait rembourser par sa compagnie.
16h07 - Témoin dit avoir fait du financement pour Union Montréal (spécialement pour Frank Zampino), mais pas tellement d'organisation. Frank Zampino lui aurait demandé 100 000$ en 2001.
16h03 - Commission expose un «estimé budgétaire» de l'élection partielle dans Saint-Laurent en 2004. «Ça veut dire qu'ils avaient deux budgets», dit Cloutier en voyant le document.
15h59 - Chez Dessau, pas d'élection clés en main. Au total, «une soixantaine» chez Roche. «Je pense que j'en ai perdu 5 ou 6.»
15h56 - Cloutier reconnaît aussi l'existence de fausses factures. Une de ses compagnies facturait des «honoraires professionnels» et la personne payait par chèque et Cloutier investissait la somme dans l'élection.
15h54 - «Ça peut représenter quoi votre travail comme valeur monétaire?», demande la procureure. «Je pourrais me permettre, dans une élection comme Sainte-Julienne, d'évaluer ça à 25 000$.»
15h45 - Le jour J, Cloutier loue un deuxième local avec une vingtaine de téléphonistes pour faire sortir le vote des sympathisants.
15h42 - Reprises des audiences.
15h08 - PAUSE
15h02 - Lors d'une campagne en 2003, Cloutier a dépassé le budget 1 à la suite d'une erreur de calcul. Il a alors demandé à la firme de communications de lui faire une facture de crédit de 600$.
14h54 - Commission expose un exemple de budget séparé.
14h48 - Cloutier dit que Roche a bien rentabilisé son investissement à Sainte-Julienne. La firme a obtenu un contrat pour refaire le «centre-ville» d'une valeur de près de 4 M$.
14h44 - Selon Cloutier, le budget alloué par le DGE est à peine suffisant pour faire une campagne «normale». Le budget 2 permettait d'aller chercher «un bon 35-40% de plus». «Si tu n'as pas de budget, tu ne vas pas loin dans une campagne électorale.»
14h42 - Utilisation de prête-noms pour renflouer le budget.
14h40 - Les cadeaux pour ceux qui faisaient sortir le plus de votes étaient payés par le budget 2.
14h35 - Cloutier dit qu'il faisait parfois voter 40% des gens par anticipation.
14h31 - Il promettait quatre billets de hockey et un souper (valeur 1500$) à celui qui ferait sortir le plus de votes. Il a aussi promis un voyage en Floride. Important d'en faire sortir le plus le vote par anticipation parce que ce sont des gens dont «on n'a pas besoin de s'occuper le jour J».
14h28 - Cloutier avait mis en place le principe du «parrainage». Il donnait aux bénévoles une feuille avec 20 cases de gens qu'ils devaient inviter à voter. «Je demandais à ces gens-là d'aller les faire voter lors du vote par anticipation.»
14h22 - Cloutier demandait parfois de l'argent à Roche pour financer une élection. Des fois, il y a aussi un partage avec d'autres firmes (jusqu'à trois) qui donnaient de l'argent en échange de contrats.
14h15 - Commission expose un organigramme de la façon dont Cloutier organisait les campagnes. Cloutier se trouve directement sous le candidat, au même niveau que l'agent officiel.
14h11 - On reprend sur l'organisation d'une élection clés en main.
14h07 - Reprise des audiences. L'avocate représentant le DPCP demande une ordonnance de non-publication préventive relativement à la partie du témoignage de Gilles Cloutier qui portera sur le projet Fiche.
12h31 - PAUSE DU DÎNER
12h27 - «Il se doute qu'il y en a un, mais il ne connaît pas les chiffres», répond Cloutier à savoir si le candidat à la mairie est au courant du budget 2. «Il me posait des questions... Qui paye, pour ça?» Il organisait un cocktail pour les rassurer. «Je manipulais et je calmais l'agent officiel. Je lui disais de venir au bureau moins souvent.» «Les conseillers ne savent rien», dit Cloutier.
12h17 - Prépare séance de photos, puis le matériel pour aller à l'imprimerie. On entreprend le porte-à-porte après que les candidats se soient préparés. Après chaque porte, le candidat et celui qui l'accompagne se consultent pour savoir comment qualifier le citoyen sur le pointage.
12h13 - Plusieurs agents officiels qui ont travaillé avec Cloutier étaient au courant de la double comptabilité. «Un moment donné, ça devient difficile de tout cacher.»
12h11 - Si l'agent officiel posait trop de questions, Cloutier allait voir le chef et lui demandait de parler à l'agent pour qu'il «se mêle de ses affaires». «Le meilleur comptable c'est celui qui ne regarde pas?», demande la présidente. Cloutier répond par l'affirmative.
12h09 - Cloutier essayait de passer de l'argent comptant notamment avec la location du local électoral.
12h03 - Cloutier faisait voter beaucoup de gens par anticipation.
11h54 - Témoin dit qu'il fait un petit sondage maison pour évaluer les chances du candidat. «Le financement, je leur dis de ne pas trop s'en occuper parce que je suis là», affirme Cloutier qui dit que c'est la partie la plus «facile».
11h52 - «Quand je commence, je vois juste le maire et je lui demande s'il a une bonne équipe.» Selon lui, plus difficile à gagner avec des «poteaux». Pour gagner, ça prend de la puissance dans le financement, les communications et l'organisation.
11h50 - «Je ne m'embarque pas s'il ne peut rien me donner en échange en quatre ans!»
11h47 - Témoin donne l'exemple de Sainte-Julienne en 1997 avec Marcel Jetté. Roche voulait avoir le contrat de 3M$ pour une route en retour.
11h45 - On aborde les élections clés en main. «Normalement, la victoire est garantie.» Parfois, il pouvait même prédire la majorité avec laquelle il allait gagner. Roche voulait ainsi obtenir des contrats en échange.
11h41 - Témoin avait de nombreuses compagnies qui lui servaient à blanchir de l'argent pour les firmes.
11h39 - Reprises des audiences.
11h05 - PAUSE
10h59 - Dit avoir organisé la campagne de Guy Ouellette, du PLQ, en 2007 à la demande de Michelle Courchesne. Ouellette a finalement demandé à Cloutier de se retirer après trois semaines parce que ce dernier était sous enquête par le Bureau de la concurrence relativement à des contrats de déneigement (il avait déjà plaidé coupable dans un dossier semblable au début des années 2000).
10h53 - Chez Dessau de 2006 à 2009. Approché par Rosaire Sauriol.
10h52 - Le rôle de Cloutier chez Roche était «d'ouvrir des portes». Chez Roche jusqu'en 2005.
10h49 - Roche a tenté de percer à Laval, mais Gilles Vaillancourt peu réceptif. Bureau déménagé de Laval à Montréal.
10h44 - Embauche chez Roche fin 1995. «Je venais de finir l'organisation de l'élection à la ville de Montréal. On est arrivé dans le rouge de pas mal d'argent, donc j'ai décidé d'organiser un cocktail pour le maire Bourque à 500$ le couvert.» Selon lui, ce sont les firmes qui appelaient pour assister à l'événement. «Elles voulaient se rapprocher du maire.» Marc-Yvan Côté a acheté dix billets payés 5000$ en argent comptant. «Une compagnie m'a donné 50 000$ en argent!»
10h38 - Certaines dépenses payées en argent comptant. «Depuis 20 ans, les bénévoles veulent être payés.»
10h32 - Témoin estime que seulement «5 à 10%» serait du financement populaire réel au municipal; «15 à 20%» au provincial. «C'est moi qui gérais le budget 1 (le budget officiel transmis au DGE) et le budget 2 (occulte).»
10h30 - Loi de 2001 sur les appels d'offres a aussi été rapidement contournée. Soumissions de complaisance.
10h22 - Les lois électorales de René Lévesque (1977) ont été rapidement déjouées. Un «frein» pendant «un an», estime le témoin. Utilisation de prête-noms. «C'était facile de trouver des prête-noms à cause des crédits d'impôt. Tout le monde m'appelait!»
10h18 - À ses débuts, il proposait parfois des vaches, des télés ou des laveuses/sécheuses contre des votes. Payés par la permanence du parti. Il faisait aussi paver les rangs des circonscriptions qui votaient «du bon bord».
10h11 - En 1995, travaille à la permanence du comité du NON. Il admet que son camp a fait des dépenses illégales.
10h10 - En 1994, participe à la campagne de Pierre Bourque (Vision Montréal).
10h06 - Cloutier dit qu'il avait du flair pour cogner aux bonnes portes.
9h59 - En 1983, participation à la campagne de Robert Bourassa.
9h54 - Témoin explique qu'à l'époque, il n'y avait pas de règles. Les contrats étaient octroyés de gré à gré.
9h45 - D'abord au provincial, municipal vers 1985.
9h43 - Dès son jeune âge, nombreux contacts. Il était passionné par la politique.
9h41 - Comité électoral dès 13 ou 14 ans, car son oncle était en politique.
9h40 - On dresse le portrait du témoin. Il a un cours en administration et en comptabilité.
9h38 - Cloutier a été vice-président au développement des affaires pour les firmes Roche et Dessau.
9h36 - Début des audiences. Gilles Cloutier est assermenté. Il sera interrogé par la procureure en chef, Me Sonia LeBel.
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