
Cadeaux, dons à des partis politiques et à des organismes, invitations à des spectacles et à des événements sportifs... Gilles Cloutier, vice-président au développement des affaires pour la firme de génie-conseil Roche, avait tout un arsenal à sa disposition pour fidéliser les clients de la compagnie, mais surtout pour ouvrir de nouveaux marchés.
C'est ce qu'est venu expliquer l'homme de 73 ans au deuxième jour de son témoignage devant la commission Charbonneau. Après avoir exploré en détail, hier, le rôle d'organisateur politique du témoin, la procureure en chef Me Sonia LeBel s'est plutôt attaquée, aujourd'hui, au mandat que lui a confié la firme Roche entre 1995 et 2005.
«Ça prend quelqu'un qui a une bonne personnalité, qui a beaucoup de contacts, qui connaît les maires, les ministres, les députés... Quelqu'un qui a une certaine débrouillardise», a expliqué Gilles Cloutier alors interrogé sur ce qui a mené à son embauche. «Ils savaient que j'avais beaucoup de contacts. Je pouvais rencontrer M. Bourque [NDLR: Pierre Bourque, alors maire de Montréal] n'importe quand. J'allais où moi j'avais des contacts et où je pouvais obtenir des mandats.»
Pour arriver à ses fins, le vice-président au développement des affaires pouvait compter sur un salaire annuel de 52 000 dollars, mais surtout sur un important compte de dépenses avec lequel il pouvait payer voiture, kilométrage, repas, billets de spectacles, etc.
«J'aimais aller dans de bons restaurants. Je prenais toujours le meilleur restaurant. Ça coûtait souvent 300 dollars. Personne ne disait un mot. Mon supérieur immédiat a toujours endossé ça», a-t-il raconté.
Questionné à savoir si l'investissement de Roche à son endroit en valait la peine, le témoin a expliqué qu'il n'avait assurément pas été rentable la première année, mais par la suite oui.
Soirées au Stade olympique
Pour illustrer son travail, Gilles Cloutier a longuement parlé de la «Soirée de Roche à Montréal», événement annuel qu'il a organisé de 1998 à 2004 et qui avait lieu lors du match inaugural des Expos au Stade olympique.
Cloutier invitait alors des dizaines de personnes dans une loge pour une soirée qui visait à remercier les clients de la dernière année et à percer de nouveaux marchés.
«J'invitais les gens avec qui l'année précédente on avait eu beaucoup de contrats. Eux, ils passaient en premier. Ensuite, il y avait les maires qui ne connaissaient pas Roche parce que c'était ça le but de faire connaître Roche.»
Le témoin a raconté qu'il invitait environ 75 maires, cinq ou six ministres du provincial et quatre ou cinq ministres du fédéral. Il s'arrangeait ensuite pour mettre les gens en contact les uns avec les autres en fonction de leurs dossiers et de leurs intérêts. Des personnalités publiques prenaient aussi part à l'événement afin que les invités puissent se faire photographier en leur compagnie.
Selon les dires de Cloutier, la dernière de ces soirées, en 2004, réunissait environ 200 personnes et a coûté 140 000 dollars à Roche. «Ça grossissait tout le temps! Les maires réservaient leur place à l'avance!»
La Commission a d'ailleurs déposé en preuve une vidéo d'une dizaine de minutes de cette soirée. Il est possible d'établir que les personnes suivantes ont pris part à l'événement: Gérald Tremblay, Frank Zampino, le cardinal Jean-Claude Turcotte, Yvon Deschamps, Jean Béliveau, Yvon Lambert, Pierre Bouchard, Jean Lapointe, Michel Bissonnet, Jacques Dupuis, Jean-Marc Fournier, Tony Tomassi ainsi que de nombreux autres élus provinciaux et municipaux.
Toujours dans la vidéo, on voit les membres de la direction de Roche qui portent tous une fleur rouge à la boutonnière afin d'être facilement identifiables.
Petits cadeaux, gros contrat
Gilles Cloutier a ensuite donné un exemple bien précis des bénéfices que Roche pouvait tirer d'une soirée comme celles organisées au Stade olympique.
Le témoin a raconté qu'en 2004, le maire de Valleyfield, Denis Lapointe, l'a contacté pour lui demander d'inviter à la «Soirée de Roche» le maire de Saint-Stanislas-de-Kostka, Maurice Vautrin. Devant la réticence du vice-président, Lapointe lui aurait fait savoir qu'un «gros contrat» pour une usine de filtration serait bientôt octroyé par la Ville de Vautrin.
Ce dernier a finalement été invité et a rencontré Cloutier lors de la soirée. Lorsque le vice-président de Roche serait retourné le voir quelques jours plus tard, le maire de Saint-Stanislas-de-Kostka lui aurait dit qu'il aimerait bien amener son petit-fils au Centre Bell.
Gilles Cloutier a alors organisé un souper, puis une soirée au Centre Bell au cours de laquelle lui et ses invités se sont rendus au Salon des anciens. C'est à cet endroit qu'ils ont rencontré Jean Béliveau et que l'ancien joueur - qui avait été mis au courant quelques jours avant - a offert un gilet dédicacé au garçon.
Selon le témoin, Maurice Vautrin était littéralement «émerveillé». «Je m'apercevais que je l'avais avec moi. Il a fait une résolution la semaine suivante pour que le mandat soit donné à Roche pour l'usine.»
Loin de s'arrêter là, Cloutier aurait réussi à obtenir de Jean-Marc Fournier une subvention pour l'usine de filtration. Le vice-président de Roche aurait même rencontré le maire Vautrin pour lui montrer une grille d'évaluation déjà remplie en lui disant d'en «faire une pareille».
«Roche l'a emporté haut la main», a expliqué le témoin.
Résidence louée
Gilles Cloutier a aussi raconté qu'entre 1998 et 2004 environ, il loué à Roche sa résidence d'été de Charlevoix afin que des maires, notamment, puissent y séjourner entre le 23 juin et le 30 juillet.
La firme de génie-conseil payait, dans les dernières années, 10 000 dollars par mois à Cloutier pour y envoyer des clients sélectionnés par le propriétaire de la résidence.
Parmi les gens qui en auraient bénéficié, notons: Robert Poirier (maire de Boisbriand) et sa famille, Guy Chevrette et ses invités, Daniel Brazeau (maire de Chertsey) et ses invités, ainsi que Marcel Jetté (maire de Sainte-Julienne) et son conseil municipal.
MISES À JOUR
12h31 - PAUSE DU DÎNER. REPRISE À 14H30.
12h26 - Commission dépose en preuve des photos des séjours dans la maison.
12h17 - Cloutier avait une maison à Baie-Saint-Paul. Du 23 juin au 30 juillet de chaque année (entre 1998 et 2004 environ), il la louait à Roche afin que des maires, notamment, puissent y séjourner. À la fin, louait 10 000$ par mois. Parmi les invités: Robert Poirier (maire de Boisbriand) et sa famille, Guy Chevrette et ses invités, Daniel Brazeau (maire de Chertsey) et ses invités, Marcel Jetté (maire de Sainte-Julienne) et son conseil municipal. C'est Cloutier qui décidait qui allait y séjourner.
12h12 - Cloutier a montré au maire une grille d'évaluation et lui a même indiqué le pointage a en lui disant d'en «faire une pareille». «Roche l'a emporté haut la main!» Roche a fait 3,3 M$ grâce à ce contrat.
12h11 - Témoin dit aussi avoir réclamé une subvention à Jean-Marc Fournier pour l'usine. La subvention a été accordée.
12h05 - Cloutier explique longuement comment il a truqué l'appel d'offres pour avoir l'entrepreneur de son choix pour l'usine.
11h53 - Cloutier retourne le voir dans les deux semaines suivantes. Il était «émerveillé», dit le témoin. «Je m'apercevais que je l'avais avec moi. Il a fait une résolution la semaine suivante pour que le mandat soit donné à Roche pour l'usine.»
11h51 - Les hommes sont présentés lors de la soirée. Cloutier retourne le voir quelques jours plus tard. Vaudrin lui dit qu'il aimerait amener son petit-fils au Centre Bell. Cloutier lui offre d'aller souper à 4 personnes, d'aller au match, puis au Salon des anciens. Jean Béliveau était là et Cloutier l'avait averti. Béliveau a offert au garçon un gilet dédicacé.
11h45 - Reprise des audiences. On revient sur les soirées au Stade. Cloutier parle du maire de Valleyfield, Denis Lapointe, qui l'a appelé, en 2004, pour lui demander d'inviter le maire de Saint-Stanislas-de-Kostka, Maurice Vaudrin. Cloutier répond qu'il n'a plus de place, mais Lapointe insiste en disant qu'un gros contrat pour une usine de filtration sera bientôt accordé à Saint-Stanislas-de-Kostka (projet d'une vingtaine de millions dit Cloutier). Témoin dit qu'il s'est finalement arrangé pour trouver une place à Vaudrin.
10h58 - PAUSE
10h56 - «Chaque soirée me rapportait un peu plus en pourcentage et en contacts.» Cloutier dit que lors de son départ de Roche, la firme avait obtenu des contrats dans plus de 160 municipalités.
10h49 - Cloutier dit qu'il avait un important compte de dépenses: déplacement, repas, voiture... «J'aimais aller dans de bons restaurants. Je prenais toujours le meilleur restaurant. Ça coûtait souvent 300$. Personne ne disait un mot. Mon supérieur immédiat a toujours endossé ça.» Dit qu'il n'était sûrement pas rentable la première année, mais après oui.
10h42 - «J'invitais les ministres que les municipalités et les villes avaient de besoin pour leurs subventions.» «Je souhaitais que les maires qui étaient venus ne reviennent pas pour faire de la place aux autres.» Une partie de la soirée vise le remerciement et l'autre le développement des affaires.
10h36 - Tous les membres de la direction de Roche portent une fleur rouge afin d'être facilement identifiables. Cloutier confirme que c'est lui qui faisait les invitations pour une telle soirée. «J'invitais les gens avec qui l'année précédente on avait eu beaucoup de contrats. Eux, ils passaient en premier. Ensuite, il y avait les maires qui ne connaissaient pas Roche parce que c'était ça le but de faire connaître Roche.»
10h20 - Commission fait jouer une vidéo d'une douzaine de minutes de la dernière soirée au Stade olympique. Sont présents: Gérald Tremblay, le cardinal Turcotte, l'humoriste Yvon Deschamps, Jean Béliveau, Yvon Lambert, Michel Bissonnet, Pierre Bouchard, le sénateur Jean Lapointe, Jacques Dupuis, Jean-Marc Fournier, Tony Tomassi, Frank Zampino et de nombreux autres élus provinciaux et municipaux. Plusieurs maires, dont Richard Marcotte, ex-maire de Mascouche.
10h16 - Cloutier croit que c'est Rosaire Sauriol qui a fait embaucher Claude Léger comme DG de Montréal.
10h07 - Toujours dans la note interne. «Influencer le promoteur (client) sur le processus d'appel d'offre, la grille (critères) d'évaluation des soumissions, les membres du comité d'évaluation, les firmes invitées à soumissionner, etc.» Cloutier confirme que cela était son mandat.
10h04 - Cloutier dit que tous les invités recevaient une lettre. Ils étaient au courant que c'est Roche qui payait.
10h02 - Lors de ces événements, personnalités publiques présentes (Jean Béliveau et Guy Lafleur, par exemple). Photographe qui prenait des centaines de photos (2000 à 2500 par soirée). Cloutier les faisait ensuite dédicacer et les envoyait.
9h57 - Parle de la «Soirée de Roche à Montréal» qui avait lieu chaque année lord du match inaugural des Expos au Stade olympique. De 1998 à 2004. Dans une loge pouvant contenir environ 125 personnes. Invitait environ 75 maires, 6 ministres du provincial et 4 du fédéral. Il s'arrangeait pour mettre les gens en contact les uns avec les autres en fonction de leurs dossiers et/ou intérêts. La dernière de ces soirées a coûté 140 000$ à Roche; environ 200 invités. «Ça grossissait tout le temps! Les maires réservaient leur place à l'avance!»
9h50 - Commission dépose en preuve une note de service de Roche datant de décembre 1994 qui fait référence à la mise sur pied d'une stratégie de développement des affaires (note entre Pierre Lacroix, président du CA, et MYC). Il est question de cadeaux, d'invitations (spectacles, activités sportives), de dons à des partis politiques et autres... Cloutier dit n'avoir jamais vu le document, mais reconnaît qu'il s'agit d'outils à sa disposition. «C'était une de mes forces d'inviter les gens dans un cocktail, par exemple.»
9h46 - Cloutier dit qu'il avait aussi la capacité d'aller chercher de l'information. Dit que Roche suivait à 50% les règles. Son travail concernait plus l'autre 50%. «C'était de savoir, par contact, où il y aurait de l'ouvrage bientôt.»
9h44 - C'est quoi la description de tâches? «Ça prend quelqu'un qui a une bonne personnalité, qui a beaucoup de contacts, qui connaît les maires, les ministres, les députés... Quelqu'un qui a une certaine débrouillardise. M. Côté savait que je connaissais tout ça, que j'étais capable de faire de la stratégie assez rapidement pour aller chercher un mandat. Je m'impliquais beaucoup et j'étais passionné par cet emploi-là.»
9h38 - On aborde l'embauche chez Roche en décembre 1995. Il a été approché par Marc-Yvan Côté. Lunch au Hilton de Laval avec MYC et Gaston Turcotte, DG de Roche. Offre de 52 000$ plus les dépenses. «Ils savaient que j'avais beaucoup de contacts. Je pouvais rencontrer M. Bourque n'importe quand. J'allais où moi j'avais des contacts et où je pouvais obtenir des mandats.»
9h35 - Début des audiences pour la journée. Me LeBel revient sur l'histoire de Frank Zampino. La Commission a été en mesure d'identifier l'homme à qui Cloutier dit avoir remis l'argent au nom de Roche. Il s'agirait d'Alex Pacetti (orthographe?).