C'est un scénario digne d'un film que raconte depuis ce matin Kenneth Pereira devant la Commission d'enquête sur l'octroi et la gestion des contrats publics dans l'industrie de la construction (CEIC) alors que l'ex-représentant syndical de la FTQ-Construction raconte en détail comment il a pu mettre la main sur les factures «farfelues» de Jocelyn Dupuis.
Alors que les rumeurs allaient bon train quant au train de vie de l'ex-directeur général de la FTQ-Construction, c'est à l'été 2008 que Pereira, qui en avait «plein son casque», a décidé de passer à l'action.
Après avoir fait du repérage dans le bureau du comptable Rolland Brillon pour savoir où il rangeait les factures de Dupuis, Peirera aurait photographié la serrure de la porte du bureau et aurait acheté sur Internet un outil permettant de la déverrouiller.
Le directeur du local 1981 aurait ainsi pu s'introduire par effraction à deux reprises dans le bureau de Brillon pour mettre la main sur des factures couvrant une période de six mois.
Des dépenses «farfelues»
«Je voyais bien que les dépenses étaient farfelues. [...] Tu vois des factures astronomiques: 2000$ pour un souper, 500$ de tip...», a raconté le 95e témoin à se présenter à la barre de la CEIC. «Mon but, c'était de montrer que les dirigeants de la FTQ-Construction ne travaillaient plus pour les travailleurs», a-t-il ajouté.
Ken Pereira a expliqué qu'il était certain de trouver des irrégularités en fouillant un peu. Pour justifier ses doutes, il a notamment raconté qu'il entendait parfois, dans les bureaux de la FTQ, Dupuis demandé à un autre collègue s'il avait un reçu parce qu'il avait «perdu» le sien.
«Je ne suis pas allé là à l'aveuglette. J'ai pris mon courage et j'ai pris les factures», a raconté l'ex-représentant syndical.
26 000$ au Cavalli
Loin de s'arrêter là, Ken Pereira a décidé de pousser son enquête plus loin. Comme les rumeurs voulaient que Jocelyn Dupuis soit régulièrement au Cavalli et à L'Onyx, Pereira a téléphoné aux deux restaurants en se faisant passer pour le comptable Rolland Brillon et en demandant qu'on lui transmette les états de compte.
Le Cavalli lui aurait alors transmis une facture de plus de 26 500$ pour une période de seulement un mois et demi. L'Onyx n'a quant à lui transmis aucun document.
Comme Jocelyn Dupuis avait l'obligation d'indiquer au dos de ses reçus avec qui il se trouvait lors de ses repas, par exemple, le témoin a estimé à 80% les occasions où l'ex-DG se trouvait avec des «membres de sa direction» plutôt qu'avec des patrons, par exemple.
Rencontre avec Michel Arsenault
Devant ses découvertes, Ken Pereira a raconté avoir sollicité une rencontre avec le président de la FTQ, Michel Arsenault.
«Je ne pouvais pas amener ça à l'exécutif, ils les avaient approuvées [les factures]», a-t-il expliqué. En fait, les factures de Jocelyn Dupuis devaient être signées par le président Jean Lavallée et le secrétaire-trésorier Eddy Brandone.
La rencontre avec Pereira et Arsenault aurait finalement eu lieu le 12 août 2008, dans le bureau du président de la FTQ. Le témoin a affirmé qu'il avait alors étendu l'ensemble des factures sur la table de conférence.
«Arsenault s'assoit, regarde et commence à rire... Il trouve ça absurde. Il n'a jamais vu ça de sa vie. Il dit que lui-même n'a pas ces comptes de dépenses en deux ans», a raconté Pereira qui tenait à rester discret, à ce moment, pour ne pas nuire à la FTQ.
Michel Arsenault lui aurait alors demandé de lui donner 24 heures et de lui laisser les factures, ce que Ken Pereira a refusé.
Le représentant syndical était si méfiant qu'il avait pris de nombreuses précautions avec les précieux documents. «Je me suis filmé pour décrire toutes les factures, j'ai fait des photocopies et je les ai faites assermentées parce qu'on m'a forcé à les retourner à la FTQ et je savais qu'en les retournant mon chien était mort», a-t-il raconté. «Ce que j'avais entre les mains, c'était une puissance énorme!»
Deux heures après la rencontre, Michel Arsenault aurait rappelé Pereira pour lui dire d'aller voir Jean Lavallée.
Le départ de Dupuis souhaité
Malgré ses réticences, le représentant syndical a accepté de rencontré le président de la FTQ-Construction, qui aurait semble-t-il admis ses torts avant même d'avoir vu les factures.
«Il m'a immédiatement dit: mea culpa», a affirmé Pereira. Lavallée se serait toutefois montré préoccupé quant à ce qu'il allait advenir des documents entre les mains de son collègue.
Pereira, Lavallée, Arsenault et Bernard Girard (directeur du local 791) se seraient rencontrés le 19 août pour tenter de trouver une solution à la crise sans éclabousser la FTQ. Deux plans devant mener au départ de Dupuis auraient alors été élaborés. Le premier consistait à confronter le DG pour le pousser vers la porte, alors que le second prévoyait une rencontre des directeurs pour l'expulser.
Comme Dupuis ne rappelait pas Pereira, le plan A a échoué et le groupe a dû se rabattre sur sa solution de rechange. «On ne va pas voir tout de suite les amis de Dupuis. On essaie d'aller voir ceux de qui on peut avoir une collaboration», a expliqué le témoin qui a ajouté que plusieurs directeurs ont déballé leur sac, non seulement au sujet de Dupuis, mais aussi d'autres situations.
Ou les factures, ou la porte
Entre-temps, Lavallée et Dupuis se seraient rencontrés et auraient convenu de se retirer en même temps.
L'exécutif de la FTQ-Construction aurait toutefois tenté de congédier Ken Pereira en raison des turbulences qu'il provoquait à ce moment. Selon le témoignage de l'ex-représentant syndical, l'exécutif aurait voté une résolution visant à l'éjecter, mais Jean Lavallée aurait plutôt proposé de le laisser en poste à condition qu'il rapporte l'ensemble des documents à la FTQ.
Ces propos sont corroborés par le procès-verbal de la rencontre du 24 septembre 2008 que le témoin a réussi à obtenir grâce à la collaboration de Bernard Girard.
C'est à ce moment que Pereira a fait faire des copies des factures qu'il a fait authentifier par un commissaire à l'assermentation. Il a remis des copies standards à la FTQ et a remis les documents originaux à la Sûreté du Québec.
MISES À JOUR
14h08 - Reprise des audiences. La suite du témoignage: ici.
12h19 - PAUSE DU DÎNER
12h11 - C'est à ce moment que Pereira fait affaire avec un commissaire à l'assermentation pour faire authentifier les copies des factures. Le 26 septembre, Pereira donne des copies à Lavallée et à Arsenault. Lavallée le remercie. Donne les copies originales à la SQ.
12h05 - Témoin affirme qu'il y a eu tentative de putsch contre lui parce qu'il se promenait avec les factures et qu'il était une menace pour la FTQ. Décision de l'exécutif de la FTQ-Construction le 24 septembre 2008. Lavallée aurait réussi à convaincre les autres de laisser tomber, mais à condition que toutes les factures originales soient rendues. Le procès-verbal confirme la version du témoin. C'est Bernard Girard qui lui a remis une copie du document.
12h02 - Lavallée et Dupuis se sont rencontrés. «Ils se sont parlé dans les yeux, ils se sont saoulés. Lavallée a pleuré et a tenu Dupuis dans ses bras. Ils ont convenu d'un pacte et de partir ensemble.» Entre 19 août et 24 septembre, dit Pereira. Rencontre confirmée par Girard et la secrétaire de Lavallée.
12h00 - «Dupuis avait le contrôle total, il faisait ce qu'il voulait [à la FTQ-Construction].»
11h57 - «Ce que j'avais entre les mains, c'était une puissance énorme», dit le témoin au sujet des factures.
11h54 - Yves Mercure, vice-président de l'exécutif, parle que Lavallée aurait reçu un pot-de-vin de 50 000$ de SOLIM. Pereira n'a aucun détail sur cette affaire.
11h49 - On met en action le plan A. Pereira essaie de l'appeler pour solliciter une rencontre, mais pendant une semaine il ne répond jamais. Échec. Arsenault semble fâché. On met en action le plan B. Pereira et Girard amènent les factures et appellent les directeurs. «On ne va pas voir tout de suite les amis de Dupuis. On essaie d'aller voir ceux de qui on peut avoir une collaboration.» Les directeurs paniquent. «Chaque fois que je parlais à un directeur, j'en apprenais plus sur Jocelyn Dupuis.» Certains déballent leur sac et parlent même d'autres choses que les factures.
11h41 - Les hommes discutent d'une stratégie pour ne pas faire mal à la FTQ et demander à Dupuis de quitter en le confrontant. Sinon on prévoit un plan B: rencontre avec tous les directeurs de la FTQ-Construction pour faire tasser Dupuis.
11h38 - Nouvelle rencontre le 19 août 2008. Arsenault, Lavallée, Pereira et Bernard Girard (directeur du local 791) dans le bureau d'Arsenault. Les hommes parlent des factures en question. «On voit bien que c'est Arsenault qui prend le contrôle de la rencontre.»
11h35 - Lavallée est préoccupé et se demande ce que Pereira va faire avec les factures. Il lui demande à ce que ça reste entre eux.
11h33 - Lavallée est «très influent», dit le témoin. «Il m'a fait sentir à l'aise. Il m'attendait avec du cognac de 40 ans. Il m'a immédiatement dit: mea culpa.» Lavallée lui dit qu'il y a eu négligence.
11h30 - Reprise des audiences. À la suggestion d'Arsenault, Pereira va rencontrer Lavallée. Seuls les deux hommes sont présents.
10h50 - Deux heures après la rencontre, Arsenault appelle Pereira et lui dit d'aller voir Jean Lavallée. PAUSE
10h48 - Pereira souhaitait que Dupuis parte. Arsenault ne semble pas vouloir prendre une telle mesure, dit Pereira.
10h45 - Arsenault lui dit de ne pas aller voir les journalistes et Pereira lui promet. Arsenault lui demande de lui laisser 24 heures et de lui laisser les factures, ce que Pereira refuse.
10h42 - Rendez-vous avec Arsenault assez rapidement, mais en lui cachant le motif de sa visite. On est le 12 août 2008. Rencontre dans le bureau d'Arsenault au 14e étage de l'édifice de la FTQ. Pereira dépose toutes les factures sur la table de conférence. «Arsenault s'assoit, regarde et commence à rire... Il trouve ça absurde. Il n'a jamais vu ça de sa vie. Il dit que lui-même n'a pas ces comptes de dépenses en deux ans. Moi, je ne veux pas aller à la police et je lui dis.»
10h41 - Pereira voulait que ça reste à l'interne, ne voulait pas nuire à la FTQ-Construction.
10h38 - Une fois les factures en main, il les analyse. «J'ai appelé Michel Arsenault pour le rencontrer. Je ne peux pas appeler l'exécutif parce que, à mes yeux, ils sont corrompus.» Les factures de Dupuis étaient approuvées par le président Jean Lavallée et le secrétaire-trésorier Eddy Brandone.
10h37 - Pereira a fait des copies des factures qu'il a trouvées. «Je me suis filmé pour décrire toutes les factures, j'ai fait des photocopies et je les ai faites assermentées parce qu'on m'a forcé à les retourner à la FTQ et je savais qu'en les retournant mon chien était mort...»
10h36 - Me Tremblay dit que Pereira a remis toutes les factures qu'il a obtenues à la CEIC.
10h29 - Pereira trouve aussi des avances de fonds d'environ 70 000$ dans le bureau de Brillon. Selon les factures, Dupuis pouvait payer jusqu'à 4000$ comptant en un jour. Pereira a fait son enquête. Il s'est déplacé pour aller voir les menus des restaurants concernés. «Je voulais juste voir sur quoi me baser pour l'amener à Michel Arsenault (président de la FTQ). Je ne pouvais pas amener ça à l'exécutif, ils les avaient approuvées!»
10h28 - Pereira estime que les gens qui accompagnaient Dupuis dans ses sorties sont à 80% des membres de sa direction.
10h26 - L'état de compte du Cavalli fait état de dépenses de près de 30 000$ répète Pereira. «L'exécutif me disait qu'il était tout le temps là. Je sais qu'il se tient là, alors j'ai pris une petite chance. J'ai fait la même chose avec L'Onyx, mais je ne l'ai pas eu.»
10h23 - Pereira a appelé au restaurant Cavalli en se faisant passer pour le comptable Brillon. A demandé à ce qu'on lui envoie une copie d'un compte d'un mois et demi. Dépenses de plus de 26 500$, dit le témoin. L'avocat de la FTQ, Me Laurin, s'objecte, mais la présidente refuse.
10h22 - «Hey, Serge! As-tu un reçu? J'ai perdu le mien...», raconte Pereira au sujet de ce qu'il entendait sur son étage. «Je ne suis pas allé là à l'aveuglette. J'ai pris mon courage et j'ai pris les factures.»
10h17 - Dupuis avait l'obligation d'écrire sur les factures avec qui il était pour un souper, par exemple. On voyait beaucoup des membres de l'exécutif, mais pas de patrons. Des factures semblaient fausses.
10h15 - Prend en photo la serrure du bureau de Brillon et achète sur Internet un outil pour déverrouiller. Ouvre la porte, ouvre le tiroir et prend les factures. À deux reprises. «Je voyais bien que les dépenses étaient farfelues. Mon but, c'était de montrer que les dirigeants de la FTQ-Construction ne travaillaient plus pour les travailleurs.» «Tu vois des factures astronomiques: 2000$ pour un souper, 500$ de tip...»
10h12 - En juillet 2008, Pereira en a «plein son casque» et décide d'examiner les dépenses de Dupuis. Va chercher les factures dans le bureau de Rolland Brillon, le comptable. Il a fait du repérage pour voir comment il va s'y prendre.
10h11 - «Si je voulais parler à Dupuis, je savais où le trouver», dit Pereira. Il parle des danseuses, des terrains de golf et de L'Onyx.
10h09 - Pereira raconte que tous ceux qui ont traversé de l'International à la FTQ-Construction ne parvenaient plus à travailler au Québec. Dit qu'il était trop tard, qu'il ne pouvait plus retourner à l'International, car il n'aurait pas travaillé pendant des mois.
10h05 - En mai 2006, FTQ-Construction n'a finalement pas atteint les 50% de membres. «Dupuis run ça comme si la FTQ-Construction était à lui!»
10h02 - On parle des dépenses de Jocelyn Dupuis. «Qu'est-ce qui vous met la puce à l'oreille?», demande le procureur. «Quand je suis rentré à la FTQ, on m'a promis mer et monde. Je me suis frotté à un homme qui contrôlait tout de A à Z, Jocelyn Dupuis.»
10h01 - Au début, Pereira se présente sur beaucoup de chantiers et participe à plusieurs rencontres. Après trois ou quatre mois, il est plus au bureau.
9h58 - Dupuis l'invite dans les locaux de la FTQ-Construction, rue Crémazie, et lui demande de choisir le bureau qu'il veut. On est en janvier 2006. Richard Goyette, Jocelyn Dupuis, Serge Dupuis et Robert Paul ont aussi leur bureau sur le même étage.
9h53 - La FTQ venait de créer quatre nouveaux locaux et Dupuis voulait aller chercher 50% de représentativité à la table des négociations. Une stratégie de maraudage est mise en place par Robert Laurin, Richard Goyette, Jocelyn Dupuis et Pereira.
9h47 - Pereira a rencontré l'exécutif de la FTQ-Construction pour la première fois lors d'un congrès à Drummondville en novembre 2005. Il est invité comme observateur, mais il sent qu'il fait partie de l'équipe: il s'assoit à la table de Jocelyn Dupuis et le soir, il «sort» avec Dupuis et des membres de l'exécutif. Ils vont dans un club de danseuses à Chambly, le 10-35. «On était numéro un dans la place. Ils ont barré le club, comme s'il nous appartenait.» Dupuis lui dit que tout est gratuit, qu'il peut boire du cognac au lieu de la bière.
9h44 - Pereira rencontre finalement Lavallée et les autres de la FTQ-Construction dans une salle privée du restaurant L'Onyx, propriété de Tony Accurso, à Laval. Il y avait aussi Richard Goyette, Robert Paul, François Patry, Serge Dupuis et d'autres.
9h42 - On aborde les années de Pereira à la FTQ-Construction. Rencontres avec Jocelyn Dupuis dans deux restaurants. Dupuis lui dit: «Tu es mon homme, je t'ai choisi, mais tu dois rencontre notre président Jean Lavallée.»
9h36 - On revient brièvement sur le climat qui prévalait au local 2182 du Conseil provincial au début des années 2000. Si on posait des questions sur les dépenses des officiers syndicaux, on tombait sur une liste noire. «On voulait juste savoir où allait notre argent», dit Pereira.
9h34 - Début des audiences. Ken Pereira est de retour à la barre. Me Simon Tremblay dit qu'on parlera des années 2005 à 2009.