Les meilleures vacances de sa vie. Voilà comment Michel Arsenault qualifie son séjour sur le Touch, le luxueux yacht de l'entrepreneur Antonio «Tony» Accurso en novembre 2008.
«Je n'ai jamais eu des vacances de même de toute ma vie. On s'est payé la traite en estie», raconte le président de la FTQ à son collègue Louis Bolduc lors d'une conversation du 8 décembre 2008 obtenue dans le cadre du projet Diligence.
La Commission d'enquête sur l'octroi et la gestion des contrats publics dans l'industrie de la construction (CEIC) a plongé aujourd'hui au cœur de la relation entre Arsenault et Accurso et a cherché par tous les moyens à savoir si l'entrepreneur aujourd'hui accusé au criminel a bénéficié d'un traitement préférentiel ou de la FTQ ou de son Fonds de solidarité.
«Moi, je ne considère pas ça comme un cadeau. Dans mon cas, ça n'a certainement pas été un cadeau, j'en entends parler chaque semaine depuis cinq ans. C'était autre temps autres mœurs», a expliqué le témoin, ajoutant qu'il n'a jamais eu à offrir une contrepartie à son ami.
«À ma connaissance, Tony Accurso n'a jamais eu de fast track. Je dirais même que dans bien des cas, on a été plus sévère avec lui qu'avec d'autres», a ajouté Arsenault.
Questionné à savoir pourquoi Accurso l'avait invité sur le Touch, l'ex-président a d'abord dit «vous lui demanderez à lui» avant de finalement répondre. «Il m'a invité parce qu'il me connaissait et qu'il était un partenaire du Fonds», a-t-il dit, précisant qu'il n'avait pas été question de discussions d'affaires.
Devant la pression publique, Arsenault a toutefois été forcé de publier une lettre ouverte dans les médias en mars 2009 pour expliquer son séjour sur le luxueux yacht et dans laquelle il explique notamment qu'il surveillera à l'avenir ses «fréquentations», et ce, «même en vacances».
Or, dans une conversation qu'il a avec Accurso le 16 mars, Arsenault ridiculise cette lettre. «Ils vont manger de la marde, on va s'organiser pareil. À moins que je t'invite chez nous en vacances», dit-il à l'entrepreneur.
Au cours d'une de leurs conversations, Accurso fait quant à lui référence aux autres dirigeants de la FTQ qui ont séjourné sur son bateau avant Arsenault. «Quand on devient président de la FTQ, on reçoit Tony en héritage et on obtient un voyage sur le bateau d'Accurso?» a alors demandé la procureure en chef, Me Sonia LeBel.
«Je crois que M. Accurso voulait garder de bonnes relations avec le Fonds, mais sans en demander plus que les autres», a simplement répondu le 114e témoin de la CEIC.
«Je vais lui dire que c'est pas lui qui run»
Malgré le fait que Michel Arsenault nie tout privilège accordé à Tony Accurso, la preuve d'écoute électronique présentée par la Commission permet de comprendre que l'entrepreneur en menait visiblement large à la FTQ.
Dans une conversation du 17 février 2009 entre Arsenault et Louis Bolduc, le président formule clairement son intention de dire à Accurso que ce n'est pas lui qui «run» et que les dossiers, «ça va au mérite».
Un mois plus tard, Arsenault discute également de la place d'Accurso, cette fois avec son conseiller, Gilles Audette. «Y va falloir qu'il comprenne qu'il n'est pas tout seul, esti, sur la Terre. Y'en a d'autres entrepreneurs», affirme Audette, ce à quoi le président répond qu'il devra «partager la tarte».
«Est-ce que Tony Accurso vous runais sur quelque aspect que ce soit?» a demandé Me LeBel. «Pas du tout», a répondu le témoin. «Je ne sais pas de quoi on parle, je ne me souviens pas.»
Lobbying pour Accurso?
Arsenault a aussi été longuement questionné au sujet de lobbying que la Commission le soupçonne d'avoir fait pour le compte d'Accurso.
Lors d'un appel le 8 janvier 2009, l'entrepreneur confie au président de la FTQ être «en tabarnack» parce qu'il vient d'apprendre que ce sont des ingénieurs «chinois» qui dessineront les plans du prolongement de l'autoroute 30. Après avoir écouté le laïus de son ami, Arsenault le rassure en lui disant qu'il va s'«organiser pour que ça sorte public».
La preuve démontre qu'Arsenault a ensuite parlé du PPP de l'autoroute 30 non seulement au premier ministre Jean Charest, mais aussi à plusieurs autres ministres.
«Ce n'était pas pour rendre service à Tony Accurso. C'était une question de principe», s'est défendu le témoin, ajoutant que la FTQ était contre les PPP. Arsenault prétend plutôt avoir fait ces démarches dans «l'intérêt de l'économie québécoise».
«Deal» avec Blanchet
La Commission a aussi éclairci le «deal» avec Claude Blanchet évoqué lors d'un extrait d'écoute électronique entendu dans le cadre du témoignage de Jean Lavallée.
Lors d'un appel entre Lavallée et Arsenault le 20 avril 2009, les hommes en défaveur d'une commission sur l'industrie de la construction parlent de se servir de Blanchet, conjoint de l'actuelle première ministre Pauline Marois, pour servir leur cause.
«On était contre une commission d'enquête et on cherchait des façons de se trouver des alliés dans le monde politique. Toujours dans l'optique de brainstorming j'ai dit à Lavallée qu'on avait fait un deal avec Claude Blanchet il y a quelques mois au Fonds. Je me suis dit que peut-être qu'on pourrait lui parler», a expliqué Arsenault, cet avant-midi.
Gilles Audette lui aurait toutefois fait comprendre que «ça ne se [faisait] pas» et Arsenault ne serait pas allé plus loin. «Du brainstorming c'est que tu mets plein d'idées sur la table et après tu fais le ménage. «C'est pas la meilleure idée que j'ai eue dans ma vie, mais je ne l'ai pas fait.»
On a aussi tiré au clair l'histoire impliquant l'actuelle ministre Élaine Zakaïb du temps où elle était PDG des Fonds régionaux de solidarité.
Dans une écoute électronique du 9 mars 2009 produite lors du témoignage de Jean Lavallée, on entend Mme Zakaïb aviser Michel Arsenault que les concurrents d'Accurso sont «bloqués». Confronté à cette preuve, le témoin a admis ne pas avoir «fouillé ça».
«Ma compréhension, c'était que Mme Zakaïb avait rétabli la situation», a-t-il dit pour justifier son inaction. «Nulle part dans la conversation elle vous dit que la situation est réglée», lui a répondu Me LeBel.
Une histoire «brodée», mais pas inventée?
Plus tôt en journée, la Commission s'est lancée dans une guerre de mots alors que Michel Arsenault a été confronté à la conversation d'écoute électronique qui a conclu la journée d'hier et dans laquelle il affirme être à «broder» une histoire pour expliquer son amitié avec Accurso.
Alors que la procureure l'a accusé à mots couverts d'avoir éhontément menti sous serment, Michel Arsenault a raconté avoir cherché le verbe «broder», hier soir, dans le dictionnaire.
«Moi je pense que quand je parle de broder, c'est de faire des mailles pour que les gens puissent comprendre», a-t-il dit à la Commission qui n'a pas semblé le croire.
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