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«Rambo» Gauthier, dieu de la Côte-Nord

Commission Charbonneau

Une «loi du silence», une «omerta». Voilà ce à quoi se sont butés les enquêteurs de la Commission d'enquête sur l'octroi et la gestion des contrats publics dans l'industrie de la construction (CEIC) lorsqu'ils se sont rendus sur les chantiers afin d'en savoir plus sur «l'intimidation» et «l'extorsion».

C'est ce qu'est venu raconter Michel Comeau, enquêteur de la Sûreté du Québec (SQ) prêté à la CEIC, aujourd'hui devant la Commission alors qu'il a mis la table pour les prochains témoins qui seront entendus par France Charbonneau.

«On s'est vite frappé à une problématique. On s'est aperçu que, même avec le mandat de la Commission, sur les chantiers, personne ne voulait nous parler. Il y avait comme une loi du silence. Ce monde-là avait peur des représailles, de menaces, de pertes d'emploi», a expliqué d'entrée de jeu M. Comeau, ajoutant que la plupart qui ont accepté de parler ont requis l'anonymat.

C'est d'ailleurs pour cette raison que l'enquêteur a fait le récit des témoignages recueillis par ses collègues et lui plutôt que d'appeler à la barre les quelque 70 personnes rencontrées sur le terrain.

«Rambo» redouté de tous

Pour illustrer ses dires, Michel Comeau a notamment parlé du climat qui règne sur la Côte-Nord et plus précisément du projet de la rivière Romaine, où doivent être construites quatre centrales hydroélectriques d'ici 2020.

L'enquêteur a résumé les conclusions tirées à la suite de rencontres avec une vingtaine de personnes à savoir que les syndicats en mènent large auprès des entrepreneurs sur place. «Les demandes sont toujours exagérées, les normes du travail sont appliquées plus qu'à la lettre», a expliqué le témoin.

Il a longuement été question du désormais bien connu Bernard «Rambo» Gauthier, agent d'affaires de la FTQ sur la Côte-Nord, que plusieurs ont accusé d'user de techniques d'intimidation.

«Là-bas, Rambo est vu comme un dieu, quasiment. M. Gauthier donne de l'emploi aux travailleurs de la Côte-Nord», a expliqué Comeau, ajoutant que l'agent d'affaires était capable de «placer» des gens sur des chantiers, et ce, «même si le gars est cuisinier et qu'il ne connaît pas ça».

Selon les dires d'un entrepreneur qui s'est confié aux enquêteurs de la Commission, même les policiers de la SQ craindraient le controversé syndicaliste.

Michel Comeau a fait état d'une série d'autres incidents survenus sur le chantier La Romaine, notamment celui où un entrepreneur aurait été tabassé par des syndiqués de la FTQ à la suite du congédiement de cinq travailleurs. Aussi, lors d'une rencontre, «Rambo» Gauthier aurait littéralement projeté sur une table un homme qui songeait à se désaffilier de la FTQ pour passer à la CSN.

Devant la tournure des événements, un entrepreneur a même écrit à Hydro-Québec, l'implorant de faire quelque chose pour corriger la situation, ses employés ayant «peur» de retourner sur le chantier.

Dans une lettre du début décembre 2009, le Groupe Gilbert parle d'une «situation intenable» et fournit même une liste d'épisodes d'intimidation que ses employés auraient subis.

Payés pour jouer aux cartes

Il a aussi été question de la centrale Péribonka; un projet de 1,3 milliard d'Hydro-Québec pour lequel la société d'État a dû faire appel à une entreprise allemande, Bauer, pour exécuter des travaux sur le site.

«Ça a été un début de chantier très difficile; les Allemands se sont fait écœurer, a raconté l'enquêteur. Il y a eu des ralentissements. Il n'y avait pas de volonté à commencer le chantier.» C'est que les employés de Bauer étaient perçus comme des «voleurs de jobs», a expliqué Michel Comeau.

Devant la tournure des choses, Hydro-Québec aurait conclu une entente avec la FTQ alors que des employés de la centrale syndicale étaient payés à «ne rien faire». Selon ce que les enquêteurs ont pu recueillir comme information, une douzaine de grutiers étaient ainsi payés pour dormir et jouer aux cartes, par exemple. Cette façon de faire se serait poursuivie pendant environ deux ans.

«C'était toléré et tout le monde le savait», a tranché l'enquêteur. «Hydro-Québec appelait ça "gérer le risque"», a-t-il ajouté.

Un projet qui va «anormalement» bien

À l'opposé, la Commission s'est penchée sur le projet de l'Aluminerie Alouette, à Sept-Îles, dont la phase II a été complétée trois mois à l'avance; un projet qui allait «anormalement bien» selon des entrepreneurs rencontrés par les enquêteurs.

«Il y avait une paix syndicale hors du commun sur ce chantier», a affirmé Michel Comeau, qui n'a pas hésité à parler d'un «chantier acheté». C'est que, selon des témoignages consignés, certains entrepreneurs auraient versé une somme en argent comptant pour que les travaux se déroulent «normalement».

Un entrepreneur en maçonnerie a notamment raconté avoir donné 50 000$ à des délégués syndicaux pour acheter la paix.

Le local 144, une «mafia»?

Après avoir passé en revue quelques chantiers, la Commission a voulu s'attarder au fonctionnement du local 144, de l'International, au sujet duquel les enquêteurs ont rencontré une dizaine de personnes.

«Il faut être proche de la gang pour avoir de la job», a confié un travailleur qui a même comparé le local des tuyauteurs à une «mafia».

Aussi, il semble que, comparativement aux autres locaux, les syndiqués du local 144 devaient payer leur cotisation syndicale, et ce, même lorsqu'ils ne travaillaient pas, sans quoi leur nom se retrouvait au bas de la liste d'appel.

Les témoignages recueillis par les enquêteurs font aussi état de plusieurs histoires où on demandait aux syndiqués de ralentir la cadence de travail dans le but de prolonger la durée du chantier.

Michel Comeau sera de retour devant la Commission demain matin pour la fin de son interrogatoire. Son contre-interrogatoire s'annonce particulièrement long.

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