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CSI Montréal: Ils font parler les morts
Les portes de l'ascenseur s'ouvrent; nous sommes dans le sous-sol de l'édifice Wilfrid-Derome. Devant nous, un étroit corridor éclairé au néon où se trouvent des réfrigérateurs cadenassés. Nous franchissons une lourde porte qui claque derrière nous. Aussitôt, une forte odeur de désinfectant flotte dans l'air. Nous nous dirigeons vers les salles d'autopsie du Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale (LSJML).
C'est ici qu'aboutissent les victimes de meurtres de partout au Québec et c'est surtout ici que s'amorce tout un travail scientifique visant à comprendre les circonstances du crime et à recueillir les indices qu'aurait pu laisser derrière lui le meurtrier.
«On va chercher le corps dans les locaux de la morgue qui sont attenants à ceux du Laboratoire. Ensuite, on amène le corps en salle d'autopsie et on commence toujours avec un examen externe du corps. On examine le corps dans l'état où on le reçoit», explique le pathologiste judiciaire Yann Dazé, à l'emploi du LSJML depuis quatre ans.

(TVA Nouvelles)
«Certains corps sont habillés, d'autres sont nus. Certains sont sales, d'autres sont propres. Parfois, le corps est putréfié, parfois il est bien conservé. Peu importe l'état de conservation, c'est possible de réaliser une autopsie, mais la qualité de l'information qu'on ira chercher dépendra évidemment de l'état de conservation général.»
Faire parler le corps
Le pathologiste procède ensuite à l'examen interne du corps en ouvrant le crâne, puis les cavités corporelles de la victime, notant au passage toutes les blessures et préparant des échantillons qui seront acheminés vers d'autres départements du Laboratoire.
Dans la majorité des cas, des analyses toxicologiques seront demandées pour éclaircir les circonstances entourant la mort. Si la victime a été tuée par balle, on pourra récupérer des projectiles qui seront acheminés à la section de la balistique. L'expert pourra aussi prélever de la peau sous les ongles d'une victime qui se serait débattue en griffant son assaillant, par exemple, et envoyer l'échantillon à la section de l'ADN dans l'espoir d'en tirer un profil génétique.

(TVA Nouvelles)
«Le corps a des informations à livrer. La personne ne parle plus, mais de par l'expertise du pathologiste, on va aller documenter le cas. Le pathologiste fait littéralement parler le corps», enchaîne Dr Dazé.
Expertise neutre et impartiale
De quelles informations l'expert bénéficie-t-il lorsque vient le temps d'entreprendre son travail? Est-il informé des preuves trouvées sur la scène de crime par les enquêteurs?
«Une autopsie ne se fait jamais complètement à l'aveugle. Quand on va chez le médecin et qu'on entre dans la salle, la première chose qu'il fait, c'est de poser des questions. Ce n'est pas de faire des examens et d'examiner le corps. L'autopsie, c'est exactement la même chose», explique le pathologiste qui tient cependant à ne pas trop en savoir, question de ne pas être biaisé.
«Parfois, il y a certaines informations qu'on voudrait me communiquer, mais que je refuse de connaître pour avoir une expertise complète, mais la plus neutre, objective et impartiale possible. La contamination, il faut éviter ça à tout prix autant au niveau des prélèvements qu'on fait que de notre raisonnement, de notre jugement et de nos opinions qu'on va émettre.»
En général, le pathologiste mettra environ deux heures à pratiquer une autopsie et son rapport tiendra en trois à six pages. Son travail peut par la suite se poursuivre lors d'un témoignage devant le tribunal en tant qu'expert.
Lourde responsabilité
Yann Dazé est parfaitement conscient de l'importance de son travail et des conséquences qui peuvent en découler.
«Je pense que l'erreur est humaine et qu'on a tous droit à l'erreur. Cependant, on doit mettre en place les mécanismes pour réduire le risque d'erreur au maximum. D'autre part, lorsque l'erreur survient, il faut avoir l'humilité de la reconnaître et la transparence de communiquer qu'il y a eu une erreur et de modifier en conséquence les résultats de l'expertise [...] parce que la responsabilité qui repose sur nos épaules est importante. De par notre travail, des gens peuvent se retrouver en prison pour des années. D'autres peuvent être innocentés», conclut celui qui a notamment pratiqué l'autopsie de Jun Lin, victime de Luka Rocco Magnotta.
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PORTRAIT

Nom: Yann Dazé
Profession: pathologiste judiciaire
À l'emploi du Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale depuis 2011.
Dossier marquant: l'autopsie de Jun Lin, victime de Luka Rocco Magnotta.
«Ça a été un cas marquant pour plusieurs raisons. Premièrement, les cas de démembrements sont relativement rares au Québec et tout ce qui entourait le cas de par les circonstances était également particulier. Le fait qu'on ait retrouvé le corps en plusieurs morceaux et en différents temps a beaucoup complexifié mon travail. C'était aussi une autopsie difficile parce qu'il y avait tellement de lésions traumatiques, donc je devais garder ma concentration pour bien documenter le cas et émettre des opinions qui devaient se tenir et être compréhensibles pour le jury. Ça demande un effort de synthèse assez extraordinaire.»