Trois anciens membres de la Sûreté du Québec ont inventé une plateforme capable de traquer les proxénètes québécois sur le web.
Ils ont découvert que le plus prolifique de ces «pimps» contrôlerait 43 filles.
«On s’est intéressé au phénomène lors de la vague de fugues à Laval. En tant que pères et mère de famille, on a décidé de se servir de nos expertises respectives pour aider à résoudre ce problème de société», explique l’ex-capitaine de la SQ Michel Carlos, devenu vice-président chez Artemis Renseignement.
L’entreprise spécialisée dans l’analyse de données présente les fruits de son travail dans le cadre du colloque annuel de l’Association des chefs de police du Québec, qui se tient ces jours-ci à Sherbrooke.
«Kijiji du sexe»
La plateforme conçue par son collègue Paul Laurier, spécialisé dans les crimes informatiques, permet de trier en quelques heures des milliers d’annonces placées sur un important site d’escortes, que l’on pourrait qualifier de «Kijiji du sexe».
«Le Québec est en train de devenir la Thaïlande de l’Amérique de Nord. Être une destination pour le tourisme sexuel ce n’est pas flatteur comme société», lance M. Laurier.
En entrant le mot-clé «massage» sur le site dont nous tairons le nom pour ne pas nuire aux enquêtes policières en cours et futures, l’ex-enquêteur a répertorié 5000 documents, renvoyant chacun à plusieurs annonces d’escortes. Il est possible que des mineures se trouvent dans le lot.
La plateforme d’analyse permet ensuite de classer les offres de services sexuels par mots-clés comme «Metro Berri-UQAM» ou «Hot Asian Girls» ou encore «Lèvres pulpeuses».

Mais l’avantage principal de ce nouvel outil, qui pourrait mis à la disposition des forces de l’ordre bientôt, est de pouvoir extraire tous les numéros de téléphone figurant dans ces annonces.
«Si on a 10 filles différentes qui renvoient au même numéro de cellulaire, on a affaire à un proxénète. En ce moment, sur ce site, il y a au moins une cinquantaine de proxénètes actifs qui contrôlent 10 filles et plus en toute impunité», démontre M. Laurier, choqué par la situation.
Ce dernier ne jette toutefois pas la pierre aux corps policiers, qui manquent souvent de ressources pour agir.
«Ça prend un travail concerté, affirme-t-il. On pourrait affaiblir considérablement le crime organisé qui gère les salons de massages en moins d’un an avec cet outil et une espère de task-force, comme une escouade Carcajou du sexe - (NDLR: Carcajou était l’escouade dédiée à la lutte aux motards pendant la guerre).»
Trouver les fugueuses
La plateforme pourrait même permettre de voir apparaître les nouvelles annonces en temps réel.
«Si une fille est en fugue et qu’elle tombe dans les griffes d’un proxénète qui l’affiche sur le site, on pourrait vérifier les inscriptions dans les heures et les jours suivant sa disparition pour la retrouver», illustre l’expert du renseignement.
«On pense aussi aux familles de ces filles-là, qui sont des victimes. Ce n’est pas juste le travail de la police, c’est un problème social», conclut sa collègue Line Pineau, ex-analyste de la SQ.
Tourisme sexuel à Québec
La Ville de Québec est vendue comme une destination de choix pour le tourisme sexuel, d’après l’analyse d’un important site d’annonces d’escortes.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le mot-clé le plus souvent utilisé dans les offres de services sexuels n’est pas Montréal, mais «Quebec City».
Cela ne signifie pas qu’il y a plus de prostitution ou de proxénètes dans la capitale. En fait, la plupart des numéros de cellulaires associés aux annonces proviennent du «514» et non du «418».
«C’est simplement leur façon de s’afficher. La ville touristique québécoise par excellence pour attirer les étrangers, c’est Québec», explique l’expert en crimes informatiques Paul Laurier.
Avec ses collègues d’Artemis Renseignement, cet ex-enquêteur de la Sûreté du Québec a créé une plateforme permettant de cibler les endroits où des proxénètes opèrent des salons de massage en fonction des annonces qu’ils placent sur le web.
Les villes qui reviennent fréquemment dans les mots-clés sont aussi celles où on retrouve traditionnellement des cellules du crime organisé. Il s’agit de Montréal, Québec, Laval, Longueuil, Trois-Rivières, Saguenay et Sherbrooke (voir carte).
Avec la plateforme, on peut voir en un coup d’oeil si le numéro de téléphone d’un proxénète est relié à plusieurs villes. Avec ces informations, les policiers pourraient démarrer des enquêtes et mettre rapidement les criminels K.-O.
Nouvelle loi
La loi fédérale C-452 sur la traite de personnes aiderait aussi grandement les forces de l’ordre à agir, puisqu’elle permet la saisie des biens des proxénètes acquis avec de l’argent sale. Les criminels pourraient ainsi se faire saisir cellulaires, voitures et comptes de banque et auraient ensuite le fardeau de démontrer que tout cela a été obtenu légitimement.
La loi C-452 a été votée au Parlement l’an dernier, mais il manque toujours l’autorisation du premier ministre Trudeau pour la mettre en application.