Les Canadiens sont friands des programmes de récompenses: 89% sont membres d’au moins un programme, la moyenne est de 11, et la moitié les utilise fréquemment. Ces chiffres proviennent notamment de l’enquête Loyalty Lens, de la firme Aimia, ainsi que de la firme Bond. Aux États-Unis, 83% des utilisateurs de cartes de crédit ont un programme de récompenses qui y est rattaché, selon l’American Bankers Association.
Ces programmes ont bien évolué depuis l’arrivée, en 1981, d’AAdvantage, le premier programme de récompenses mis sur le marché, par American Airlines.
L’objectif de départ, donner des points pour chaque achat, échangeables contre des produits ou des services, est devenu un sophistiqué échange d’informations entre consommateurs et détaillants, où chacun doit y trouver son compte.
«C’est la base du contrat», dit Paul Lafortune, associé chez R3 Marketing, et expert de la stratégie de fidélisation de la clientèle.
«Ce qui est fondamental, c’est une bonne équation économique: le programme doit à la fois être généreux pour les clients, et rapporter aux entreprises.» Lorsqu’un détaillant change ses règles ou dévalue ses points, comme cela se voit régulièrement, c’est que son programme est peut-être devenu trop généreux pour le client, et n’est plus rentable.
Mais la meilleure rentabilité d’un tel programme, pour un détaillant, ce sont les mégadonnées qu’il recueille.
Connaître –presque- tout de son client
Mettre sur pied un programme de récompenses est plus essentiel que jamais, estime Paul Lafortune. «C’est une des seules façons qu’un détaillant a de comprendre le client. » Car derrière le programme, il y a l’analyse exhaustive des données recueillies lors de chaque transaction. «On y découvre une mine d’informations qu’on ne peut trouver autrement. Et avec cette information, le détaillant peut modifier les jours de ventes, changer ses circulaires, ou adapter ses rabais aux habitudes d’achat de chaque client. C’est le marketing moderne. »
Beaucoup de détaillants ne savent pas quoi faire de l’information recueillie dans leurs programmes de récompenses. «Si on n’utilise pas l’info, c’est un coup d’épée dans l’eau», ajoute M. Lafortune.
Pour Aéroplan, le plus vieux programme au pays, la gestion de ces infos est à la base du programme, dit Maxime Bernard directeur des communications externes chez Aéroplan. «Les programmes de récompenses comme le nôtre sont la façon la plus tangible de mettre en valeur des données. Les gens savent que leurs données valent beaucoup. On est très transparent dans notre démarche. On leur dit: vous allez vous engager dans le programme, vous allez faire des achats avec les partenaires et nous, on va utiliser ces données pour personnaliser notre offre, et vous permettre d’atteindre vos buts plus rapidement.»
Par exemple, Aéroplan demande à ses membres de lui fournir leurs objectifs de voyage. «À partir de là, on leur offre les promotions de nos partenaires», dit Maxime Bernard.
Cela va plus loin: si un membre change d’adresse, on en conclut... qu’il a déménagé. Or, qui dit déménagement, dit visite chez le quincaillier. Justement, Home Hardware est un nouveau partenaire du programme d’Aéroplan. «Il pourrait y avoir des promotions offertes par ce détaillant pour des travaux de rénovation. C’est le genre de maillage, de personnalisation de l’expérience, qu’on privilégie», dit Maxime Bernard.
Attention à Big Brother
L’utilisation de ces infos doit demeurer pertinente, prévient Paul Lafortune. Le client ne doit pas avoir l’impression d’être épié. L’ombre de Big Brother n’est jamais bien loin en ces temps de mégadonnées. «On n’est pas intrusif, dit Maxime Bernard. Aéroplan a un engagement éthique, nos analystes n’ont pas accès aux données personnelles, mais à des agrégats de données analysées, d’où émergent des profils de consommateurs. »
Aéroplan a cinq millions de clients. «Notre but est qu’ils atteignent les objectifs qu’ils se sont fixés le plus rapidement possible », dit M. Bernard.
Vive la simplicité!
Les meilleurs programmes sont les plus simples, dit Paul Lafortune. Starbucks, Cinéplex, offrent leur propre produit en échange de l’achat de ce même produit. «On ne peut pas avoir plus simple que ça. Et ça fonctionne.»
Aéroplan tente justement de simplifier le sien. «C’est une de nos priorités, dit Maxime Bernard. Le programme existe depuis 30 ans. Et on est, depuis 2005, séparé d’Air Canada. C’est un programme de coalition. L’avantage, c’est qu’on a plus de 150 marques partenaires. L’objectif est de le garder simple, en ayant, par exemple, qu’un seul type de miles.»
Les consommateurs auront par ailleurs de moins en moins de cartes plastiques dans leur portefeuille, les transactions se feront de plus en plus via les appareils mobiles, dit Paul Lafortune. «Tout pour simplifier la transaction.»
Le cas Air Miles
Le programme de récompenses le plus commenté cette année, et pour les mauvaises raisons, a été celui d’Air Miles. Après que son propriétaire, Loyalty One, eut annoncé à ses clients que leurs points disparaissaient après cinq ans (créant une vague de mécontentement, plusieurs recours collectifs et des menaces d’interventions législatives), il a fait marche arrière. «C’est un cas d’université! On va analyser ça éternellement!», dit Paul Lafortune, qui estime qu’il y aurait eu manière de le faire autrement.