Les révélations-choc de l’émission J.E. sur de possibles inventions de preuve par la division des Affaires internes du SPVM pour faire taire des policiers sont prises au sérieux par la Sûreté du Québec qui met en place quatre mesures spéciales, du presque jamais vu, pour enquêter sur le dossier.
La SQ déploiera une équipe indépendante de policiers dédiés uniquement à ce dossier, mis en lumière par le reportage de Félix Séguin. Ces policiers connaissent le crime organisé et ont le recul nécessaire pour enquêter les «mains libres» de ce qui se passe au SPVM. Il ne s’agit pas de policiers aux Affaires internes.
Un procureur désigné par la directrice des poursuites criminelles et pénales du Québec, Me Annick Murphy, travaillera aussi de près avec l’équipe d’enquête tout au long du processus.
Le Commissaire à la déontologie policière sera également lié à l’enquête, ainsi qu’un officier de liaison de la Gendarmerie Royale du Canada (GRC).
Au terme des l’enquête, le ou les dossiers seront soumis au DPCP. «Il n’est pas impossible de soumettre des recommandations aux gens du SPVM et au directeur M. Pichet pour peut-être améliorer les pratiques», a indiqué Guy Lapointe de la SQ.
Retour sur les faits
J.E. a présenté mardi soir le témoignage d’ex-policiers montréalais qui affirment que le deuxième plus grand service de police municipal au pays fabrique de la preuve afin de faire taire ses employés.
Pour la première fois depuis leur fin de carrière abrupte, le 17 juin 2013, les hauts gradés Jimmy Cacchione et Giovanni Di Feo ont brisé le silence.
Au début de l’année 2012, l’inspecteur Cacchione, affecté à l’aéroport de Montréal, et l’inspecteur-chef Di Feo, responsable des services à la communauté, allèguent avoir trouvé des cas de corruption au sein des forces de l’ordre.
«Nous étions pour préparer une lettre au ministère de la Sécurité publique ainsi qu’aux médias, afin de dévoiler des cas de corruption à l’intérieur du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM)», affirme Jimmy Cacchione dans une entrevue accordée à notre Bureau d’enquête.
Ce que les deux collègues ne savaient pas, c’est qu’alors qu’ils discutaient de l’inaction de leur employeur dans cette affaire, ils faisaient l’objet d’écoute électronique de la Gendarmerie Royale du Canada.
La direction du SPVM les soupçonnait d’entretenir des fréquentations douteuses, entre autres avec le controversé Luigi Coretti, de l’agence de sécurité BCIA. Coretti a été accusé de fraude dans cette affaire, puis les procédures contre lui ont été abandonnées.
À ce jour, les deux ex-policiers, qui cumulent 58 ans d’ancienneté dans la force constabulaire, n’ont toujours pas reçu la preuve qui leur a valu un congédiement (annulé par la suite par une entente confidentielle).
Le duo de policiers qui se décrit comme «des lanceurs d’alerte» croit toutefois après avoir consulté certains documents que la section des Affaires internes du SPVM a fabriqué de la preuve afin de les faire taire.
«Aujourd’hui il y a de la fabrication d’allégations et à partir de ça on initie des enquêtes afin de museler les gens qui ont des choses à dire», raconte M. Cacchione.
À titre d’exemple, selon les documents consultés par notre Bureau d’enquête, le SPVM allègue que Giovanni Di Feo est le parrain du fils de Luigi Coretti. Or, lorsque joint au téléphone, ce dernier nous a affirmé ne pas avoir d’enfant.
«Les directeurs adjoints qui sont en place connaissent cette façon de faire», estime Di Feo.
Réaction du chef de police
À la suite des révélations faites par «J.E.», le directeur du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) Philippe Pichet a demandé à la Sûreté du Québec (SQ) de revoir des enquêtes menées par les Affaires internes du SPVM.
M. Pichet s’est dit «très préoccupé» par les allégations formulées par des anciens employés du corps de police montréalais selon lesquelles le SPVM fabrique de la preuve afin de faire taire ses employés.
Les partis de l’opposition à Québec jugeaient toutefois que le recours à la Sûreté du Québec pour enquêter était insuffisant, et que le mandat aurait dû être donné au BEI (Bureau d’enquête indépendant).
Le maire de Montréal s’est dit également troublé par les révélations du journaliste Félix Séguin. «On parle de quelque chose qui arrive depuis plusieurs années. S'il faut faire le ménage, qu'on le fasse», a lancé le maire lors de la séance du comité exécutif mercredi matin.