Le milieu culturel n’a pas caché son inquiétude jeudi à la suite de l’annonce d’une entente entre le gouvernement Trudeau et le géant Netflix faisant en sorte d’exempter l’entreprise américaine de payer des taxes au Canada.
«Une vision culturelle ne se mesure pas sur cinq ans. On ne peut pas appuyer l'avenir et la pérennité d'un secteur aussi névralgique sur la base de négociations à la pièce avec les acteurs du moment, créant un système à géométrie variable, flou et inéquitable», a dit jeudi Sophie Prégent, présidente de l'Union des artistes (UDA).
En vertu de l’entente, Netflix va investir 500 millions $ au cours des cinq prochaines années dans des productions originales produites au pays. Vingt-cinq millions de dollars iront au développement du contenu francophone.
Mme Prégent se demande ce qui arrivera avec les autres géants de l’industrie maintenant qu’un précédent est créé avec Netflix, qui mettra sur pied une division canadienne.
«Qu'est-ce qu'on fait avec Amazon, YouTube, ou avec Deezer, Spotify, iTunes et les autres? La conclusion d'une entente à plusieurs zéros avec Netflix peut sembler spectaculaire, mais en quoi cela devrait-il les dédouaner de respecter les règles que l'on impose pour protéger notre exception culturelle et la vitalité de notre création? On crée un précédent dont on ne mesure pas les impacts à long terme», a-t-elle ajouté.
L’UDA se réjouit que Netflix choisisse de développer des projets au Canada en s’appuyant sur le talent local, toutefois «cela ne les dédouane pas des responsabilités imposées aux diffuseurs de contenus pour respecter la protection de notre culture distincte, ainsi que le financement de notre création. Nous allons donc surveiller très attentivement la façon dont cette annonce va se concrétiser, les avantages qui seront offerts à Netflix en tant que producteur et en tant que diffuseur de façon générale, et les actions concrètes vis-à-vis des contenus francophones en particulier, qu'il s'agisse de productions originales en français ou du doublage des œuvres produites en anglais, ici et ailleurs dans le monde», a indiqué Sophie Prégent.
De son côté, le directeur général national de la Guilde des réalisateurs, Brian Baker, est heureux à l’idée que «Netflix a l’intention de continuer à tourner au Canada», mais il croit qu’il s’agit de «la première étape vers la modernisation de notre politique culturelle en cette ère numérique». Selon lui, «le diable est dans les détails».
«S’agit-il de programmation canadienne ou américaine tournée au Canada avec des talents américains dans les rôles principaux? Quelle sera la proportion de contenu francophone? L’annonce de Netflix est-elle unique ou est-elle la première étape vers une véritable politique?», se demande M. Baker, qui croit que ces «importantes questions» devraient être adressées à la ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly, ainsi qu’au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications du Canada (CRTC).
Pour sa part, l’Association québécoise de la production médiatique n’est pas convaincue que le talent local va profiter des millions injectés par Netflix dans la production originale au Canada.
«Il y aucune garantie que mes membres, mais aussi les artistes du Québec, les réalisateurs, les scénaristes, les artisans vont pouvoir travailler sur ces productions-là», a dit Hélène Messier, présidente-directrice générale de l’Association québécoise de la production médiatique.