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La menace du gaz de schiste est de retour

Anne Caroline Desplanques

De nombreux citoyens de la vallée du Saint-Laurent ont perdu le sommeil depuis que Québec a ouvert la porte à un retour de l’exploration gazière dans le secteur le plus habité de la province.

«C’est de retour, cette histoire-là ? Pincez-moi s’il vous plaît, c’est un cauchemar !» lance Danielle Houle.

Cette citoyenne de Saint-Denis-sur-Richelieu, près de Verchères, dort mal depuis que le gouvernement a déposé quatre projets de règlement qui autorisent les forages pétroliers et gaziers à 150 mètres de sa maison.

Ces règlements pourraient entrer en vigueur dès novembre et relancer l’exploration gazière et pétrolière dans le sud du Québec. S’ils ne sont pas modifiés, Mme Houle craint de voir débarquer les gazières chez elle d’ici la fin de l’année.

Bien que leur nombre ait diminué depuis la levée de boucliers de 2010 et le moratoire qui a suivi en 2012, les compagnies demeurent bien présentes. Elles détiennent des permis d’exploration qui couvrent 16 000 km2 entre Montréal et Québec.

Pour extraire le gaz de schiste, les gazières ont recours à la fracturation hydraulique, qui consiste à fracturer la roche en y injectant à haute pression un cocktail d’eau, de sable et de produits chimiques.

Choc épouvantable

«Je suis paniquée. C’est horrible», dit Mme Houle, qui a l’impression de revivre le cauchemar de 2010, quand avait éclaté le scandale du gaz de schiste au Québec.

Cette année-là, un soir d’octobre, un représentant de l’entreprise Forest Oil l’attendait chez elle à son retour du travail. Il était venu lui annoncer qu’un puits de gaz de schiste serait foré à moins de 500 m de sa maison.

«Ç’a été un choc épouvantable», se souvient-elle.

Mme Houle s’est battue d’arrache-pied pour obtenir un moratoire sur les gaz de schiste. Manifestations, réunions, lectures, rapports, conférences... des soirées, des week-ends et sa santé y sont passés.

«Je suis tombée malade. J’ai commencé à faire des crises d’asthme à cause de l’anxiété. J’étouffais la nuit», dit-elle.

Mme Houle pensait avoir échappé aux gazières quand Québec a décrété un moratoire. Mais le gouvernement Couillard vient de réveiller ses pires angoisses.

À côté de sa maison, la tête du puits de Forest Oil est encore là.

«Tout est prêt pour que ça reparte demain», souffle-t-elle.

Gagne-pain menacé

Non loin de là, Catherine Valton, agricultrice à Saint-Mathias-sur-Richelieu, estime que les gazières menacent son gagne-pain, une ferme biologique de 50 hectares.

«Comment on ferait pour satisfaire aux normes, en cas de pollution ?» demande celle qui cultive des fruits, des légumes et des céréales certifiés Québec Vrai.

En 2010, Mme Valton avait sonné l’alarme après avoir observé des allées et venues suspectes de Junex. Sept ans plus tard, les pancartes d’opposition au gaz ont pâli devant sa ferme, mais son inquiétude demeure vive.

«On surveille beaucoup notre eau, mais on ne peut pas tout analyser, ça coûte bien trop cher», dit Mme Valton. Elle explique qu’il lui serait impossible de tester son eau et son sol pour chacun des produits chimiques utilisés dans la fracturation de la roche.Une opposition monstre, croient des experts

À un an des élections, le gouvernement Couillard prend un «risque inouï» en remettant l’exploitation gazière à l’ordre du jour, car une opposition monstre l’attend, préviennent scientifiques, écologistes et syndicalistes.

«Si jamais une compagnie se montre, il va y avoir une mobilisation sans précédent», dit Lucie Sauvé, coordonnatrice du Collectif scientifique sur la question du gaz de schiste, qui regroupe 170 chercheurs.

Mme Sauvé souligne que le mouvement citoyen d’opposition au gaz de schiste est très structuré. Le Regroupement Vigilance Hydrocarbures Québec (RVHQ), qui compte 130 groupes de citoyens à travers la province, a d’ailleurs organisé une manifestation à Québec samedi.

Se voulant rassurant, le ministre de l’Environnement, David Heurtel, a déclaré qu’«il reste du travail à faire sur ce règlement-là. Attendons le produit final avant de parler d’apocalypse pétrolière au Québec.»

Consultation

Citoyens, municipalités, entreprises et autres acteurs concernés avaient 45 jours à partir du 20 septembre pour faire parvenir leur commentaire au gouvernement sur les quatre projets de règlement déposés. Il leur est donc toujours possible de le faire d’ici aux élections municipales.

«Lancer cette soi-disant consultation en pleine campagne, alors que les conseils municipaux vont être démantelés c’est cynique : les acteurs directement concernés ne seront pas en mesure de répondre», gronde Mme Sauvé.Une rentabilité incertaine

Les analystes sont partagés quant au potentiel gazier québécois, mais certains y voient un tremplin pour l’économie de la province.

«En termes de qualité, on a probablement un bon gisement. Le problème, c’est le prix», indique le physicien Normand Mousseau, chercheur à l’Université de Montréal et auteur du livre «La révolution du gaz de schiste».

Alors que le gaz naturel se négociait à plus de 8 $ par million de BTU en août 2008, il a dégringolé à 2,52 $ en 2016 et devrait se maintenir autour de 3,40 $ en 2018, selon l’EIA (Agence d’information sur l’énergie des États-Unis).

Demande croissante

Mais le prix devrait croître, d’après l’EIA, car la demande pour le gaz augmentera de 51 % entre 2014 et 2040, aux dépens de la demande pour le charbon ou le pétrole.

Dans ce contexte, en plus de gagner en rentabilité, l’exploitation du gaz deviendra politique, selon Jean-Louis Schilansky, président du Centre Hydrocarbures non conventionnels, en France.

«L’examen des ressources prouve qu’à l’horizon de 2040, 30 % de la production de gaz au niveau mondial sera du gaz de schiste. Il sera d’autant plus incontournable que les pays y verront un levier majeur pour sécuriser leurs approvisionnements», analyse-t-il.

Pour Germain Belzile, de l’Institut économique de Montréal, l’industrie gazière permettrait de créer de la richesse au Québec, car les salaires versés dans ce secteur sont bien plus élevés que la moyenne.

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