Surprise de taille: à l’unanimité, la Commission du commerce international (ITC) des États-Unis a rejeté vendredi la plainte déposée par Boeing contre Bombardier et les avions CSeries de l'entreprise québécoise.
À la suite d’une enquête menée par l’ITC, un rapport avait recommandé l’imposition d’une surtaxe de 292 % pour chaque avion CSeries vendu aux États-Unis. L’enquête faisait suite à une autre, menée par le département du Commerce (DOC), qui arrivait aux mêmes conclusions.
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Or, vendredi, les commissaires républicains et démocrates ont voté à 4 contre 0 en faveur de Bombardier, rejetant catégoriquement les conclusions des deux enquêtes.
L’ITC conclut «n’avoir trouvé aucune menace matérielle de dommage» à l’encontre de Boeing, qui prétendait que Bombardier avait vendu ses avions aux États-Unis à des prix «dérisoires» et qu’elle avait ainsi été pénalisée.
Revirement «extrêmement rare»
C’est donc une victoire sur toute la ligne ou presque pour Bombardier qui maintient depuis le début qu’elle n’est pas plus subventionnée par l’État que ses compétiteurs et que ses avions ont été vendus à des prix de lancement «normaux».
La plupart des analystes s’attendaient pourtant largement à ce que l’ITC appuie la décision du DOC. La nouvelle a «pris tout le monde de court», selon des sources avec qui le «Journal de Montréal» s’est entretenu.
«Il est extrêmement rare que les décisions de l’ITC soient ainsi renversées», a indiqué une source gouvernementale.
Vendu trop vite à Airbus?
La probabilité que Bombardier soit condamnée avait joué un rôle majeur dans la décision de l’entreprise de céder une majorité de son programme CSeries à Airbus, l’automne dernier.
Alors que certains pourraient être tentés de croire que Bombardier a capitulé trop vite, Karl Moore, professeur de stratégie à l’Université McGill spécialisé dans le dossier CSeries, assure que c’est tout le contraire.
«Vendre à Airbus, c’était la bonne décision hier et c’est la bonne décision aujourd’hui. Cette décision le démontre. L’engagement d’Airbus et de Bombardier à créer une ligne d’assemblage du CSeries en Alabama pour réconforter les autorités américaines a sans aucun doute joué un rôle dans la décision rendue par l’ITC.»
Bombardier se réjouit
Les motifs précis de cette décision ne seront toutefois rendus publics que le 12 février.
«C’est une victoire pour l’innovation, la concurrence et la primauté du droit. C’est aussi une victoire pour les compagnies aériennes américaines et le public voyageur des États-Unis. [...] Leur développement et leur production représentent des milliers d’emplois aux États-Unis, au Canada et au Royaume-Uni», a réagi Bombardier.
Les marchés ont eux aussi répondu rapidement à l’annonce, l’action de Bombardier s’étant envolée de plus de 16 % vendredi, tandis que celle de Boeing restait au beau fixe.
Boeing fâchée
Boeing n’a pas tardé à réagir à cette décision surprise. «Nous sommes déçus que l’ITC n’ait pas reconnu les dommages subis à cause des milliards de subventions gouvernementales illégales que Bombardier a reçues et utilisées pour larguer des avions sur le marché américain des avions-monocouloirs. Ces violations ont nui à l’industrie aérospatiale américaine et nous subissons tous les jours les effets de ces pratiques commerciales injustes sur le marché», a indiqué un porte-parole.
«Nous ne resterons pas là, car les pratiques commerciales illégales de Bombardier continuent de nuire aux travailleurs américains et à l’industrie aérospatiale qu’ils soutiennent. Le commerce mondial ne fonctionne que si tout le monde adhère aux règles que nous avons toutes acceptées. C’est une croyance que nous continuerons à défendre.»
Les travailleurs, Québec et Ottawa soulagés
Arrivant tout juste du Forum économique mondial de Davos, la ministre de l’Économie Dominique Anglade a applaudi cette victoire de Bombardier. «On a toujours dit que la plainte était abusive et non fondée et qu’on allait la contester jusqu’au bout. [...] On est très contents de la décision unanime. On n’a ménagé aucun effort pour en arriver là et ça a porté [ses fruits]», a-t-elle dit au «Journal de Montréal», assurant toutefois que Québec «resterait vigilant» dans ce dossier.
La ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, s’est pour sa part dite «très heureuse» du résultat du vote de l’ITC, qui «confirme» selon elle «la position du Canada selon laquelle les appareils ne constituent pas une menace commerciale pour Boeing».
De son côté, l’Association internationale des machinistes et des travailleurs de l'aérospatiale, qui représente les employés du programme CSeries, parle d’un «immense soulagement». «Il faut tout de même faire preuve de prudence, en espérant que Boeing lâche le morceau et que les pratiques protectionnistes de l'administration Trump soient réévaluées. L’association de Boeing avec Embraer est aussi à prendre en considération», a dit le coordonnateur québécois de l’AIMTA, David Chartrand.