Sportifs, étudiants, employés, cadres, l'usage des psychostimulants explose dans tous les milieux. Ces substances naturelles ou synthétiques permettent de lutter contre la fatigue et décuplent les capacités cognitives.
La mauvaise utilisation des médicaments destinés à soigner les troubles du comportement est de plus en plus fréquente dans les cégeps et les universités. Les étudiants rencontrés dans le cadre de l'enquête de «J.E.» admettent consommer des médicaments destinés à soigner les troubles de déficit de l'attention pour augmenter leur concentration et leur productivité à l'école.
Mais qu'en est-il au travail? Des professionnels sont aussi «drogués» à la productivité. «Je suis infirmière et on fait des 16 heures alors je prends parfois un comprimé prescrit pour m'aider à finir mes quarts de travail», raconte une jeune mère de famille. Je suis certaine que ça se passe comme ça dans plusieurs milieux.»
Le Dr Jean-Pierre Chiasson, spécialiste en toxicomanie à la Clinique Nouveau Départ, abonde dans le même sens. Il a lui-même développé une dépendance à ces médicaments durant ses études en médecine. Il énumère les risques que peuvent représenter le Ritalin, la Vyvanse, le Concerta ou l'Aderall, s'ils sont mal utilisés.
«Si vous êtes fragiles ou bipolaires, vous pouvez déclencher un épisode maniaque avec ces psychostimulants. Vous pouvez aussi vous intoxiquer, faire un AVC ou une crise cardiaque, de dire le Dr Chiasson. Oui, il peut y avoir des complications physiques, psychologiques et psychiatriques possibles sans parler des risques de développer une dépendance.»
Ce dernier a d'ailleurs traité des collègues médecins qui cachaient leur problème de toxicomanie en prescrivant des psychostimulants au nom de leur enfant.
«Dans les faits, c'était pour leur propre consommation» explique le Dr Chiasson. J'ai déjà soigné un médecin qui prenait jusqu'à 40 Ritalins par jour. Il était en véritable psychose et s'imaginait qu'il y avait des micros partout. J'ai vu toutes sortes de complication», conclut-il.
«La drogue de l'intelligence»
Pris lorsque nécessaires, et en fonction d'une posologie bien mesurée, les psychostimulants soulagent les gens qui ont des problèmes sérieux. Mais quand ces drogues deviennent un instrument pour perforer elles peuvent représenter un danger.
Le déficit d'attention avec ou sans hyperactivité est un trouble d'origine neurologique. Les personnes atteintes parviennent difficilement à prêter attention aux détails. Leur cerveau fonctionne différemment, explique la Dre Annick Vincent, qui est psychiatre spécialisée en TDAH.
Elle estime que 5 à 10% des enfants doivent composer avec cette maladie. Cette proportion se situe entre 4 à 5% chez l'adulte. Elle compare la médication à des lunettes. «Les lunettes me permettent de lire, mais ne me font pas voir», donne-t-elle en exemple.
Des enseignants se prononcent
«C'est un phénomène très difficile à mesurer», déclare Laurence D'Arcy, qui enseigne à l'Université de Montréal et travaille à l'Institut universitaire sur les dépendances.
«La personne qui en prend une fois, une fin de session, est-ce qu'on la considère autant consommatrice que la personne que c'est son mode de fonctionnement?» se questionne-t-elle.
Si on peine à dresser un portrait exact de la situation, plusieurs éléments sont pointés du doigt pour l'expliquer selon Jean-Sébastien Fallu, enseignant à l'École de psychoéducation de l'Université de Montréal et expert en toxicomanie. «Nous sommes dans une société de performance et les étudiants travaillent beaucoup plus d'heures qu'avant», évoque-t-il.
Ce dernier voit l'utilisation des psychostimulants de la même façon que le dopage sportif. «Au moins, dans le dopage sportif c'est une élite qui consomme des produits dopants alors que là c'est à l'échelle sociale et ça crée une iniquité où certains pourraient être pénalisés s'ils ne le font pas», relate monsieur Fallu.
Il craint d'ailleurs que ça devienne «la norme» de consommer ces produits pour être plus productifs et que ceux qui ne le font pas soient pointés du doigt.
Statistiques
Parmi les témoignages recueillis par l'équipe de «J.E.», une seule personne a obtenu des psychostimulants grâce à une ordonnance. Toutes les autres les consommaient de façon illicite.
Les seuls chiffres «officiels» dont on dispose sont ceux de la RAMQ et ils sont tout de même préoccupants.
En 1997, 13 923 personnes (adultes et enfants compris) se sont fait rembourser des médicaments pour soigner un TDAH.
Une vingtaine d'années, plus tard en 2017 se chiffre est passé à 91 945: c'est une augmentation d'environ 560%. Bien sûr ça n'inclut pas les transactions clandestines.