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Zombie Boy: enfant de la rue

Chantal Poirier

Avant de tomber dans l’œil de Nicola Formichetti, le styliste qui lui a ouvert les portes du milieu de la mode et qui lui a permis de côtoyer Lady Gaga dans le clip Born This Way, en 2011, Zombie Boy vivait dans la rue, en marge de la société.

Il a dormi dans les parcs, dans les squats et sur les toits d’immeubles de Montréal. Il a aussi fait du squeegee afin de gagner l’argent de poche nécessaire à l’achat de pointes de pizza à 99 cents et de canettes de bière.

Zombie Boy, icône de l’underground qui compte pas moins de 937 000 amis sur Facebook, qui peut se targuer d’avoir sa statue de cire au musée Grévin Montréal, ainsi qu’une statue de bronze de 3,5 mètres à son effigie au Science Museum de Londres (elle sera inaugurée à l’automne 2019), a galéré de la sorte durant presque dix ans.

À 16 ans (c’est à cet âge qu’il se fait tatouer pour la première fois), Rick Genest, alias Zombie Boy, ne vit déjà plus dans la demeure familiale de Châteauguay, sur la Rive-Sud de Montréal. En fait, s’il y retourne de temps à autre, c’est principalement pour piger dans le garde-manger. Il compare l’endroit à un checkpoint (un point de contrôle).

Un an plus tard, l’adolescent qui aimait Marilyn Manson, qui s’habillait tout en noir et qui a fréquenté l’école par obligation fera le saut vers la grande ville sans jamais regarder en arrière.

«Après l’école, il n’y avait plus rien à faire là-bas (à Châteauguay). Je devais aller chercher mon bonheur ailleurs», nous a-t-il dit, en entrevue.

Nouvelle famille

Son bonheur, l’artiste de 32 ans dit l’avoir trouvé au square Viger, lieu qui a longtemps servi de refuge pour les punks et sans-abri, à Montréal, et qui est présentement en processus de réaménagement.

«Un week-end, j’étais à Montréal et je me suis rendu au parc Viger. Je suis juste allé triper, de même. Je faisais n’importe quoi, a-t-il raconté. Trois jours plus tard, je me suis réveillé, un peu confus, mais c’était tellement l’fun. Je m’étais fait de nouveaux amis. C’était tous des kids du parc, tous des punks qui ne se lavaient pas.»

À l’époque, Zombie Boy était simplement heureux d’avoir pu tisser aussi aisément des liens d’amitié avec ceux qu’il allait rapidement considérer comme les membres de sa nouvelle famille.

«Après une couple de jours, c’est devenu une semaine. Après deux semaines, je me suis dit qu’il serait temps que je trouve un endroit où prendre une douche. Ç’a continué comme ça», a-t-il expliqué, sur un ton désinvolte.

«J’avais trouvé ma voie dans la vie: je voulais être un punk. Je me disais: “Je m’en fous du système, je veux être un punk toute ma vie”, a-t-il ajouté. Ce mode de vie, c’était vraiment agréable, tant que l’hiver n’approchait pas.»

Défi

Durant les nombreux mois qu’il a passés dans la rue, Zombie Boy a souvent nettoyé les pare-brise pour payer ses dépenses. Quand l’hiver approchait, il se gelait les mains. Pas si facile, l’avenue qu’il avait choisie ?

«Nous étions entre amis et tout le monde gelait», nous a-t-il répondu avec un sourire, dédramatisant instantanément la situation.

Lorsque l’envie lui prenait d’ingurgiter autre chose que de la pizza bon marché, le punk tatoué frappait à la porte de l’organisme pour la jeunesse de La Mission Bon Accueil, situé sur la rue Beaudry, dans le quartier Centre-Sud.

«La journée où tu veux un repas chaud, c’est là qu’il faut aller. Ils servent même un deuxième service, des desserts et du café», a expliqué celui qui y a également fait du bénévolat en guise de travaux communautaires, question de rembourser les amendes accumulées pour des infractions liées à son mode de vie, au fil des ans.

«L’hiver, c’était bien aussi d’avoir un endroit où passer du temps, à l’intérieur.»

Redonner

Maintenant sorti de la pauvreté (il refuse de nous dire s’il est riche ou non, l’argent semble être un sujet tabou, pour lui), Zombie Boy dit ressentir le besoin de redonner à la communauté. C’est pour cette raison qu’il s’est associé à l’initiative Porte orange de la Fondation Home Depot Canada. Les fonds récoltés dans le cadre de cette campagne seront entièrement remis à des organismes locaux œuvrant auprès de jeunes en situation d’itinérance.

«Il n’y a pas un livre sur la vie. C’est pas tout le monde qui prend le même chemin. Il y a tellement d’obstacles et ce n’est pas tout le monde qui est capable de trouver une façon de les surmonter (...) Tout le monde a besoin d’aide et il y a des gens qui en reçoivent beaucoup moins que d’autres (...) C’est cool si on s’entraide.»

En quête de projets artistiques

Zombie Boy et ses tatous ont fait couler beaucoup d’encre, au cours des dernières années. Malgré tout, on ne sait pratiquement rien de l’homme, ni même de l’artiste qui se cache sous le squelette permanent qui recouvre ses traits.

Une chose est sûre, il s’agit d’un être assez secret et réservé, ce qui est plutôt paradoxal, quand on arbore un look aussi singulier.

D’ailleurs, la fébrilité qui habitait les membres de son équipe, dans les minutes précédant notre rencontre, était palpable.

C’est que Zombie Boy a besoin de présentations (avec raison). On a donc tenu à nous prévenir que ce dernier avait plus de facilité à s’exprimer dans la langue de Shakespeare et que les entrevues le rendaient nerveux, en général. Verbaliser ses pensées n’est pas un exercice facile, pour Rick Genest, qui a tendance à s’éparpiller et à faire des phrases décousues.

Malgré tout, par politesse, il a insisté pour que notre discussion se déroule en français.

Artiste

Selon son gérant, qui l’accompagnait ce jour-là, Rick a toujours eu des aptitudes artistiques. Il avait simplement besoin d’un coup de pouce pour les canaliser.

Fasciné par l’art, qu’il dit voir « partout », son client a même rêvé de faire des films, à l’époque où il vivait dans la rue. Aujourd’hui, c’est plutôt l’écriture qui l’allume.

«J’aime vraiment jouer avec les mots. Je commence avec une idée simple et ensuite je fais des rimes. Je fouille dans le dictionnaire, je brasse les choses. J’écris des ballades (des poèmes, des paroles de chansons, des petites histoires, précisera son gérant)... Parfois, c’est impossible à lire», nous a-t-il expliqué, amusé.

C’est cet amour des mots qui l’a poussé à se lancer dans la création de chansons aux côtés de Mike Riggs, il y a plus de quatre ans. En effet, l’ex-guitariste de Rob Zombie agira à titre de réalisateur sur son premier album dont on ne connaît pas encore la date de sortie, mais qui serait complété « à 80 % ».

«Nous avons écrit une couple de tounes. Il y en a une qui s’appelle Monster Inside. Cette chanson-là, c’est un poème que j’ai écrit lorsque j’avais 15 ans. En fait, j’étais dans mon cours d’été, en maths. C’est cet été-là que je me suis fait opérer pour ma tumeur (au cerveau), a-t-il raconté. Il me restait quelques semaines avant mon opération et on ne savait pas s’il y avait des chances que ma tête soit maganée, après. Je ne savais pas si j’allais avoir des séquelles. Ce poème-là, il a été écrit dans ces circonstances-là. Je me disais “Time’s up dog, time’s up!” (l’heure est venue).»

Un premier vidéoclip sera tourné en juin en lien avec ce projet qui donnera dans le nu metal. Son dévoilement, quant à lui, devrait avoir lieu début octobre.

Nouvelle carrière

Ce qui nous est apparu comme une évidence, à l’issue de cette rencontre, c’est le désir de Zombie Boy de s’affirmer en tant qu’artiste. Les contrats à titre de « DJ » (il considère lui-même qu’il n’a jamais mérité ce titre) et les statues à son effigie ne combleront jamais son besoin d’accomplissement.

«L’affaire, c’est que je veux la mériter (ma statue). Je veux faire quelque chose de positif, plutôt que de passer du temps à rien faire. J’ai deux mains, j’ai deux pieds, je suis encore vivant, man. Je ne veux pas juste passer mon temps les doigts dans le nez devant une caméra», a-t-il affirmé.

«Je ne veux pas être une muse. Je veux avoir mes propres réussites, voir mes propres projets qui se réalisent, en tant qu’artiste, a-t-il ajouté. Je veux présenter mes propres créations. Je vais être un winner, pas juste un objet.»

Même s’il a admis ne plus être un punk et vouloir travailler, jamais il ne regrettera les tatouages qui lui ont amené sa renommée internationale et qui ornent son visage, depuis ses 21 ans.

«Non, parce que ça m’a amené du bonheur. En fait, ça m’a amené plein d’affaires, mais je sais que j’ai fait ce que j’avais à faire, pour moi.»

À propos de Zombie Boy

-Rick Genest, alias Zombie Boy, a vu le jour le 7 août 1985.

-Il a grandi à Châteauguay, sur la Rive-Sud de Montréal.

-Il se fait tatouer pour la première fois à l’âge de 16 ans.

-Il quitte la banlieue à l’âge de 17 ans et adopte le mode de vie des punks du centre-ville.

-Il a amorcé son projet de tatouage à l’âge de 19 ans. Aujourd’hui, 90 % de la surface de son corps est tatouée.

-Depuis l’âge de 25 ans, il gagne principalement sa vie comme mannequin, bien qu’il ait tenu des petits rôles au cinéma (47 Ronin) et à la télévision (Silent Witness).

 

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