Alors que les pharmacies ressemblent de plus en plus à des supermarchés, l’Ordre des pharmaciens du Québec lance un pavé dans la mare en invitant ses membres à cesser la vente de malbouffe dans leurs commerces.
«On estime qu’il s’agit d’une incohérence qui devrait être corrigée avec le temps. Ceux qui font des pas dans ce sens-là, on les salue et on les encourage», a affirmé le président de l’Ordre, Bertrand Bolduc.
L’organisme reconnaît que son champ d’intervention se limite en principe à la vente de médicaments.
Mais dans un énoncé qu’il vient de publier, l’organisme soutient «qu’il est de son devoir sociétal d’encourager ses membres à engager une réflexion lorsque certaines décisions peuvent paraître contradictoires avec leur mandat de promotion des saines habitudes de vie».
Deux professeures de droit de l’Université de Sherbrooke, Mélanie Bourassa Forcier et Marie-Ève Couture Ménard, souhaitent que l’Ordre soit encore plus directif.
Elles notent que le Code des professions interdit aux professionnels d’exercer un commerce «incompatible avec l’honneur, la dignité ou l’exercice» de leur profession.
Silence des chaînes
Quoi qu’il en soit, la sortie de l’Ordre suscite un malaise évident dans l’industrie.
Tant chez Jean Coutu, qui appartient depuis peu à Metro, que chez Pharmaprix, propriété de Loblaws, on a refusé de commenter mardi.
À l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires et à l’Association des chaînes de pharmacies, on assure qu’on n’est pas contre l’idée d’offrir des aliments plus sains, mais on prie l’Ordre de respecter les «modèles d’affaires» des poids lourds du commerce de détail.
Pour ces derniers, la question n’est pas anodine. Selon la firme Nielsen, les produits alimentaires représentent désormais 20 % des ventes des pharmacies canadiennes.
Certains pharmaciens ont déjà pris le virage. Dans les Familiprix de Nicolet et de Cowansville, on ne retrouve pas de confiseries, de croustilles, de boissons sucrées, ni même de cosmétiques ou de détergents chimiques.
«C’est un peu ironique de vendre un médicament pour le cholestérol et d’avoir des "chips" en spécial à la caisse. J’étais mal à l’aise de tirer des revenus de ça», a souligné Judith Savoie, pharmacienne copropriétaire du Familiprix de Nicolet.
Des services pour compenser
Pour compenser la perte des revenus provenant des produits non reliés à la santé, la pharmacie a étendu ses services professionnels avec la présence sur place d’infirmières, d’une nutritionniste et même, à l’occasion, d’une inhalothérapeute.
«J’ai quelques patients qui sont partis, mais il y en a d’autres qui sont arrivés», a noté Mme Savoie. Selon elle, ce n’est qu’une question de temps avant que toutes les pharmacies se débarrassent de la malbouffe, comme elles l’ont fait pour le tabac dans le passé.