Les manifestants qui ont protesté contre la création de «Släv» par Robert Lepage et Betty Bonifassi, se sont vraisemblablement trompés de cible. Le spectacle, qui faisait sa première médiatique, mercredi soir, s’est en fait révélé rempli de compassion, d’humanisme et de sincérité.
À mi-chemin entre une pièce de théâtre et un tour de chant, «Släv» est avant tout un hymne à la diversité, à la mixité sociale, aux mélanges des peuples et à l’espoir.
Betty Bonifassi, qui tente de faire vivre ces chants d’esclaves depuis près d’une décennie, commence par raconter la première colonisation des Balkans par les Ottomans, au Xe siècle, lorsque les Turcs se sont servis des habitants de leur nouveau territoire comme esclaves. La soirée s’ouvre d’ailleurs avec des chants bulgares.
Outre Betty Bonifassi, six actrices-chanteuses (Myriam Fournier, Sharon James, Estelle Richard, Élisabeth Sirois, Audrée Southière et Kattia Thony), toutes des femmes, donnent vie à différents tableaux qui, non seulement permettent de mieux connaître et comprendre l’esclavagisme, mais nous en montrent aussi les limites.
On découvre notamment que l’esclavage s’est pratiqué à divers moments de l’histoire, et pas seulement avec le peuple noir. Des milliers d’enfants irlandais ont ainsi été volés à leur famille pour servir d’esclaves aux États-Unis. Ils étaient utilisés notamment comme enfants de compagnie pour les enfants de riches familles la journée, et ils rejoignaient leur case, le soir venu.
Robert Lepage a remis en perspective et donné une profondeur au projet de Betty Bonifassi. Il a notamment ouvert une nouvelle dimension au devoir de mémoire pour tous ces peuples qui ont été victimes de l’esclavagisme. Et dans un tableau très touchant, il fait aussi un clin d’œil aux États-Unis d’aujourd’hui, où une femme noire qui fait du jogging, sans son passeport, peut être arrêtée sans raison apparente, juste à cause de sa couleur de peau. L’obscurantisme est toujours présent dans le monde.
Les scènes de jeu manquent encore de finition, mais les parties chantées sont touchantes. La voix de Betty Bonifassi est toujours aussi remplie d’émotions, et les harmonies avec les six autres sont impressionnantes.
Quelques répliques sont aussi marquantes parmi lesquelles: «Pour retracer l’histoire des Noirs au Québec, il faut parfois passer par la généalogie des blancs» ou encore «le blues est né de la rencontre entre les Irlandais et les Afro-américains».
Le spectacle affichait complet, ce mercredi, mais les manifestants ont visiblement rebuté plusieurs personnes puisque de nombreux sièges, voire des rangées complètes, étaient vides. Comme le dit l’expression, les absents ont toujours tort, car «Släv» est avant tout un spectacle remplie d’amour et d’espoir, tout en démontrant l’absurdité du racisme.