À deux mois de l’élection au Québec, le Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence s’inquiète de l’avènement de petits médias alternatifs qui mélangent allègrement informations, opinions et théories du complot.
Aux États-Unis, les Breitbart, Alex Jones et compagnie sont régulièrement désignés comme ayant contribué à l’élection de Donald Trump.
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Au Québec, des producteurs de contenus alternatifs qui s’en inspirent, particulièrement ceux qui s’expriment sur des thèmes comme l’islam, l’immigration tous azimuts et l’identité nationale gagnent en popularité. Leur essor s’effectue en parallèle avec celui de groupes identitaires comme Storm Alliance, La Meute et Atalante.
«Au niveau international, c’est déjà une tendance, une grosse partie de l’élection de Trump s’est jouée avec cette question des médias alternatifs, constate Benjamin Ducol, responsable de la recherche au Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence (CPRV). Et aujourd’hui, le Québec se trouve face à ce phénomène.»
Pendant plusieurs semaines, l’équipe numérique de notre Bureau d’enquête s’est intéressée à ce phénomène. L’expérience nous a permis d’interroger des producteurs de ces contenus controversés et de débusquer des faussetés qu’ils véhiculent. Nous avons également pu interroger des adeptes de ces sources d’information et des chercheurs qui se penchent sur la question.
Surtout à droite
Les médias alternatifs publient sous plusieurs formes: textes d’apparence pseudo-journalistique, vidéos tournées sur des iPhone, ou chaînes YouTube aux allures de téléjournal.
Leurs producteurs se positionnent un peu partout sur le spectre politique. M. Ducol reconnaît la présence de certains médias de l’extrême gauche, mais affirme que la croissance la plus marquée tire vers la droite.
«Les médias alternatifs d’extrême gauche sont très peu nombreux et se manifestent principalement en marge de manifestations ou d’événements auxquels participent ses membres», dit-il.
Les médias alternatifs de droite tenteraient de «réinformer la population québécoise sur des réalités qui seraient cachées par les médias de masse», explique le chercheur, dont l’organisation est financée par Québec et la Ville de Montréal.
Bien que la plupart de ces producteurs de contenus rejettent l’étiquette d’extrême droite, M. Ducol souligne que l’approche et les thèmes abordés (immigration, islam, liberté d’expression) les y ramènent.
«Le concept de réinformation prend racine dans l’extrême droite», souligne-t-il.
Vulnérables
La consommation de ce type de média n’est pas un problème en soi, précise le chercheur, pourvu que les auditeurs aient un recul critique. Mais ce contenu peut devenir problématique auprès d’une clientèle plus vulnérable, qui n’a pas les outils pour déconstruire ce genre de discours.
«On retrouve dans les parcours de radicalisation ce genre de contenus à des niveaux assez élevés», dit-il.
Il prévient que ce contenu est habituellement un mélange d’opinions et de croyances, et non un travail journalistique.
«Ces gens-là n’ont pas de comptes à rendre à personne du point de vue de la vérité ou la non-vérité de ce qu’ils disent.»
Le président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), Stéphane Giroux, confirme qu’aucun des producteurs de contenu cités dans ce reportage n’est reconnu par son organisation. Il rappelle qu’aucune loi n’empêche ces gens de publier sur internet.
«Mais s’ils veulent être membres [de la FPJQ], ils doivent prouver qu’ils font un travail journalistique légitime et qu’ils respectent un code de déontologie. Les publications super militantes ou qui ne produisent que de l’opinion ne sont pas admissibles», dit-il.
Selon la professeure de sciences politiques à l’Université Laval Aurélie Campana, plusieurs des informations publiées dans ces médias seraient carrément fausses, en plus de servir à «alimenter des stéréotypes et renforcer l’idée que le musulman, l’immigrant, le non-homme blanc sont l’ennemi qu’il faut cibler».
Elle redoute que ces idées puissent se manifester en gestes ou crimes haineux.
«Ça pourrait, mais c’est du conditionnel, laisser penser à un individu qui a l’impression que rien n’est fait pour contrer les problèmes identifiés, que finalement c’est à lui d’agir.»
Qui sont-ils?
Le Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence surveille une bonne vingtaine de médias alternatifs au Québec. Ceux-ci existent uniquement sur le web et prennent plusieurs formes:
1. Des sites «pseudo journalistiques» qui reprennent les codes des médias traditionnels
2. Des Chaînes YouTube qui produisent des opinions ou des avis
3. Des Pages Facebook militantes qui produisent des contenus alternatifs ou réinterprètent des contenus de médias traditionnels
Au cours des dernières semaines, notre Bureau d’enquête s’est intéressé entre autres aux producteurs de contenus suivants:
-Le site web Le Peuple
-Le commentateur Stu Pitt
-La chaîne YouTube Nomos.TV
-Le média Dans mes souvenirs (DMS)
-Le créateur de Dossier choc, Alex Parent
-La youtubeuse Josée Rivard
Tous ont refusé de nous accorder une entrevue ou n’ont pas répondu, sauf Josée Rivard.