La preuve ADN est devenue tellement importante pour les enquêtes policières que le seul laboratoire spécialisé qui dessert la province a dû repenser ses méthodes de travail pour rester efficace.
«Nous sommes victimes de notre succès, nous sommes extrêmement sollicités», soutient Diane Séguin, directrice du département de biologie/ADN du Laboratoire de sciences judiciaires et médecine légale (LSJML).
Dans l’ombre des enquêtes policières, une petite armée d’experts en sarrau blanc s’active pour tenter de faire des liens entre de minuscules particules biologiques et un suspect potentiel.
Annuellement, son équipe d’une cinquantaine d’employés est impliquée sur environ 5000 dossiers. Son travail permettra d’identifier autour de 1000 personnes liées à des crimes.
Depuis 2015, dans la foulée du mouvement #moiaussi, le LSJML connaît une hausse de 22 % des dossiers d’agressions sexuelles.
Une ligne rapide a d’ailleurs été mise en place avec les différents corps policiers pour accélérer les enquêtes en cette matière.
La vérité
«Comme enquêteur, c’est un plus. On est toujours à la recherche de la vérité. C’est phénoménal ce qu’ils peuvent faire», affirme le sergent-détective Ian Riddle, du Service de police de la Ville de Montréal.
Les spécialistes du laboratoire décortiqueront taches de sang, cheveux ou poils retrouvés sur une scène de crime, petits ou gros, pour établir le profil génétique d’un suspect.
Ils compareront l’ADN récolté avec celui de milliers d’autres individus déjà fichés ou encore celui d’une personne d’intérêt pour les policiers.
L’affaire de la «maquilleuse des stars», Pina Rizzi, vient spontanément à l’esprit du sergent-détective Riddle comme un exemple de réussite.
Selon lui, sans le travail acharné du LSJML, son meurtrier, Jean-Philippe Tremblay, aurait bien pu ne jamais être retrouvé.
Mme Rizzi, 47 ans, avait été brutalement tuée à coup de planches et d’un bloc de pierre dans un cabanon le 2 août 2009.
«Les spécialistes avaient passé 72 heures sur la scène de crime, se souvient-il. Ils ont pu isoler l’ADN du suspect sur les seins de la victime et dans un poil.»
Finalement, c’est au Saguenay-Lac-Saint-Jean en 2013 que l’enquête a débloqué. Dans un dossier complètement différent, le profil génétique de Tremblay a été matché avec le meurtre de la maquilleuse.
«Une opération de surveillance physique pour récupérer un mégot de cigarette a permis de confirmer le tout», ajoute l’officier.
Il est ensuite passé aux aveux.
«L’ADN a fait la différence entre une accusation de meurtre prémédité, en raison de l’agression sexuelle, et le meurtre non prémédité», mentionne M. Riddle.
«On ne néglige pas les petits dossiers. Souvent, ce sont eux qui permettent de lier un suspect à un crime plus grave», explique Diane Séguin, du LSJML.
Elle cite en exemple le cas de Claude Larouche, condamné pour le meurtre de Natasha Cournoyer et dont l’ADN a été retrouvé sur la scène d’une autre agression.
Toile d’araignée
«C’est une grosse toile d’araignée. Maintenant, on doit travailler sur la gestion des matchs, affirme-t-elle. Il faut toujours rester à l’affût et repenser nos méthodes. On essaie d’être créatifs avec les ressources que l’on a à notre disposition.»
Au cours des dernières années, le temps requis pour obtenir les résultats des demandes est passé de près d’un an à moins de trois mois.
Pour ce faire, ils sont devenus plus sélectifs dans le nombre de pièces à conviction à analyser. En 2015, ils ont aussi pris trois mois pour «faire le ménage» dans les quelque 2000 cas en attente.
«On peut maintenant traiter des dossiers en urgence en moins de trois semaines. Dans quelques rares cas, on peut même y arriver en 24 heures», soutient Mme Séguin.
Le meurtre de Pina Rizzi

Gracieuseté
Piza Rizzi
Quelques traces seulement
Lorsque le corps de Pina Rizzi a été découvert enroulé dans un tapis partiellement brûlé dans un cabanon isolé à Montréal en 2009, les enquêteurs avaient peu d’éléments à se mettre sous la dent. Les analyses ont permis d’isoler l’ADN d’un suspect sur une gomme à mâcher notamment. Le même ADN sera aussi retrouvé sur le corps de Mme Rizzi, puis sur un mégot de cigarette récupéré quatre ans plus tard.

Une empreinte
L’empreinte digitale de Jean-Philippe Tremblay avait notamment été retrouvée sur le bord de la fenêtre du cabanon. Bien que ce ne soit pas un élément d’ADN à proprement parler, le sergent-détective Ian Riddle, de la police de Montréal, souligne que l’ensemble du travail des membres du LSJML a permis d’élucider le crime.
Des aveux

Jean-PhilippeTremblay
Après son arrestation en mars 2013, Jean-Philippe Tremblay a nié pendant des heures avoir tué Mme Rizzi. L’enquêteur qui menait l’interrogatoire l’a finalement confronté à la preuve ADN. Tremblay a fondu en larmes avant d’avouer le crime. Il sera finalement condamné à la prison à vie en juin 2017.
Il n’y a pas de généalogie génétique ici
Plusieurs meurtres non résolus ont été élucidés aux États-Unis récemment grâce à la généalogie génétique. Mais cette technologie n’est pas encore utilisée par le Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale en raison de son coût prohibitif.
«C’est très impressionnant, mais ça coûte également très cher, estime la directrice Diane Séguin. S’il y a un besoin particulier pour une enquête, nous pouvons référer à une firme privée.»
À la fin juin, les autorités de l’État de Washington ont résolu une agression sexuelle et un meurtre 32 ans après les faits en utilisant la généalogie génétique pour retrouver l’individu.
«Tueur du Golden Gate»
En avril, en Californie, c’est le «tueur du Golden Gate» qui a été trahi par l’ADN de ses ancêtres. Il est soupçonné d’être l’auteur de 12 meurtres et une cinquantaine de viols dans les années 1970 et 1980.
La technique consiste à comparer l’ADN d’un suspect à celles utilisées pour des recherches généalogiques.
Une équipe est tout de même dédiée aux affaires non résolues.
«Ils réexaminent du matériel génétique d’il y a 20 ans. Aujourd’hui, on a besoin de l’équivalent d’une tête d’épingle pour faire une centaine de tests», explique Mme Séguin.
Elle rappelle que pour assurer l’intégrité des méthodes employées, le laboratoire se doit également de les tester et de les contre-vérifier, notamment pour qu’elles puissent tenir devant les tribunaux.
500 000 profils
La quasi-absence de banques d’ADN publiques est également un frein au développement de cette technique au pays.
Présentement, le laboratoire a accès à plusieurs «fichiers» de la Banque nationale de données génétiques dont le fichier des condamnés et celui de criminalistique, ce qui représente plus de 500 000 profils.
Cinq nouveaux répertoires ont vu le jour récemment, pour les personnes disparues et leurs familles, les restes humains, les victimes de crimes et un registre «volontaire».
Ce dernier permet entre autres de conserver l’ADN d’intervenants susceptibles de se rendre sur des scènes de crime.
Les prochains développements pour son département se feront dans l’utilisation de l’intelligence artificielle dans l’interprétation des mégadonnées.
«Ce sont des aides informatiques pour arriver à des résultats auxquels le cerveau humain serait incapable d’arriver.»