La propriétaire d’une épicerie du Vieux-Québec, sur le point d’accoucher, n’a d’autre choix que de tenir son commerce à bout de bras, faute de main-d’œuvre. À 37 semaines de grossesse, Cynthia Laflamme doit faire la caisse, remplir les étagères, assurer l’inventaire et faire les commandes de sa petite épicerie du Vieux-Québec.
«On a dû fermer plus tôt tout l’été parce que je n’avais pas de monde pour travailler le soir. Et là, je serais censée être arrêtée, mais je n’ai pas d’autre choix. Si j’accouche demain ou la semaine prochaine, je suis tellement à court de monde que je vais devoir mettre une pancarte dans la porte qui dit: “Désolée, Naomie est née, je dois fermer quelques jours”», affirme Mme Laflamme, qui est propriétaire du Marché d’Emma depuis un an et demi.
Candidats exigeants
La femme d’affaires a mis plusieurs employés à l’essai au cours des derniers mois, mais rares sont ceux qui sont restés.
«On m’a souvent demandé de payer au noir pour pas qu’ils soient coupés de l’aide sociale ou on me dit qu’ils ne peuvent pas faire beaucoup d’heures parce que leurs allocations familiales seront coupées. Ça prendrait des gens qui veulent travailler pour vrai», raconte la femme d’affaires qui a réagi en voyant la sortie du grand patron de Chocolat Favori plus tôt cette semaine.
«De voir Dominique Brown faire de la caisse trois heures, ça m’a fait sourire. On est tous dans cette situation-là, même à 37 semaines de grossesse!»
Mauvais pour l’économie
Débordante de projets pour son magasin, l’entrepreneure se voit maintenant dans l’obligation de tout mettre sur pause, à regret. « Je devrais encourager les bonnes idées et l’initiative de mes employés, mais là je dois répondre: “Et qui va s’en occuper ?” Finalement, ce manque de main-d’œuvre freine l’économie», déplore Mme Laflamme.
Malgré la difficulté à recruter, la propriétaire ne perd pas espoir de trouver quelques perles rares pour venir l’appuyer. «J’en suis rendu à dire aux gens qui viennent porter un CV de rester quelques heures immédiatement pour essayer. Je ne prends pas le risque de les laisser repartir», lance-t-elle en riant, les deux mains bien installées sur son ventre tout rond.
200 $ à quiconque recommande un employé
Pour parvenir à recruter des employés sérieux, des compagnies offrent maintenant des sommes d’argent allant jusqu’à 200 $ si l’on parvient à leur trouver un employé fiable.
Une succursale de Pizza Salvatoré de Québec fait cette offre depuis une semaine à toute personne qui recommande un nouvel employé qui aura fait 30 quarts de travail au sein de l’entreprise. Cette nouvelle mesure plutôt drastique est la dernière tentative du propriétaire Sébastien Abbatiello pour recruter de la main-d’œuvre pour sa succursale de Sainte-Foy.
«J’ai mis 100 $ de publicité Facebook par semaine pendant deux semaines et j’ai eu juste un CV. Je préfère donc prendre mon 200 $ et l’utiliser comme ça. J’ai eu quatre CV en une semaine, c’est donc une amélioration», explique-t-il.
Succursales fermées et horaires modifiés
Faute de main-d’œuvre, les propriétaires du restaurant Sushi X ont été forcés de prendre une décision difficile en début d’été en fermant complètement leur succursale de Lévis.
«On a préféré fermer et rapatrier les deux associés à Lebourgneuf avec nous. C’est plus rentable de payer le loyer vide et de rouler à plein dans un seul restaurant», explique la propriétaire Nina Muongsouvanh, qui assure que les affaires allaient bien. «C’est lié à 100 % à la main-d’œuvre.»
Les boulangeries Paillard sont elles aussi touchées de plein fouet par les difficultés de recrutement. Deux de ses quatre succursales sont forcées de fermer leurs portes plus tôt du lundi au jeudi, soit à 16 h, pour donner une pause aux employés en place. «On a beau faire des publications sur Facebook, de l’affichage sur Emploi-Québec, on fait tout ce qu’on peut, mais ça ne fonctionne pas», soupire Mélina Simard, gérante de la succursale d’Auvergne.
Les clubs de golf doublement frappés
Affectés eux aussi par la pénurie de main-d’œuvre, les clubs de golf sont doublement pénalisés du fait qu’ils n’ont pour la plupart que des emplois saisonniers à offrir.
«Ce n’est pas évident», confirme Luc Harvey, directeur général du club de golf Lorette, à Québec. Les travailleurs en recherche d’emploi ont l’embarras du choix et ils sont moins tentés par un travail temporaire, explique-t-il. Les CV se font rares. «Du côté du casse-croûte, j’ai des cadres qui ont même dû faire des heures pour combler les besoins», raconte-t-il.
Sans surprise, c’est lors du retour en classe des cégépiens et des universitaires que le manque d’employés est le plus criant. «En faisant de la magie, on y arrive», souffle Claude Langlois, du club de golf Le Montmorency.