Il paraît que les familles de 2500 travailleurs de Bombardier potentiellement mis à pied au cours des 18 prochains mois peuvent dormir tranquilles, ou presque. Quelqu’un veille au grain.
Québec veille au grain, l’industrie aérospatiale québécoise veille au grain, leur syndicat veille au grain, bref tout le monde sauf leur patron.
Sous couvert d’une énième restructuration pour espérer rentabiliser Bombardier, ses dirigeants auront réussi quelque chose que l’on croyait impensable il y a quelques années à peine: finaliser le divorce avec les Québécois.
Comme si Bombardier avait oublié d’où elle venait et qui a financé sa prospérité et sa survie.
Le PDG fantôme
« Une réduction d’environ 5000 postes à l’échelle de l’entreprise au cours des 12 à 18 prochains mois.»
Dix-sept mots sur un communiqué de 3170. Rien de plus. Rien de moins.
Depuis, le PDG Alain Bellemare n’a pas tenu à rassurer ses employés.
Il n’a pas non plus daigné se présenter lors du sommet d’urgence convoqué par le ministre de l’Économie Pierre Fitzgibbon auquel tous les autres grands acteurs de l’industrie aéronautique ont participé.
Que voulez-vous... Il est occupé M. Bellemare. Il gère une compagnie de 70 000 employés dans 29 pays avec des revenus de 16 milliards.
Il avait mieux à faire lundi matin que de s’assurer que toute l’expertise, tout le talent dans lequel nos gouvernements ont investi depuis des décennies ne soient pas sacrifiés dans sa grande restructuration.
Ne vous en faites pas, nous explique le VP Olivier Marcil, «il soutient l’initiative.»
On l’espère bien! Toute l’industrie se mobilise pour sauver SES employés!
Finalement, le silence et l’absence d’Alain Bellemare ont surtout pris des airs d’aveu. Bombardier n’est plus le navire amiral de l’industrie aéronautique qu’elle a déjà été. Et avec la vente prochaine des opérations entourant les jets régionaux, elle le sera encore moins.
Et si Ottawa avait eu raison?
Rappelez-vous toutes les critiques qu’avait essuyées le gouvernement Trudeau en 2017 pour la timidité de son aide à la C-Series.
Bombardier au bord du gouffre avait obtenu 1 milliard de Québec et sommait Ottawa de lui consentir une aide semblable.
C’en était presque une question de patriotisme économique. Ce fut certainement l’occasion d’un nouveau débat sur l’influence de Bay Street au ministère des Finances, la haine de Toronto envers le fleuron québécois, et j’en passe.
Et pourtant... Un an et demi plus tard, après cette vague de compressions, les bonus faramineux aux dirigeants, et surtout les emplois délocalisés à Plattsburgh et ailleurs, on est en droit de se demander jusqu’où Bombardier a su manipuler les gouvernements, et l’opinion publique, pour assurer sa survie.
Bien des Québécois ont le 1 milliard de dollars pour la C-Series en travers de la gorge.
Et pourtant, à Ottawa, silence radio, ou presque.
C’est vrai, conservateurs et néo-démocrates affirment haut et fort qu’il ne faut plus accorder de l’aide à des entreprises sans garanties d’emplois.
La réalité c’est qu’en 2017 Ottawa avait vu juste.
Du prêt de 372,5 millions$ consentis par Ottawa, le tiers est allé à la C-Series dont les emplois sont sauvegardés par la transaction avec Airbus, et 250 millions $ à la recherche et développement pour le Global 7000, le seul avion de Bombardier qui semble vraiment à l’abri.
À la lumière de l’attitude de Bombardier au cours des derniers jours, finalement, Ottawa avait peut-être raison de ne pas lui faire un autre chèque en blanc.
Réparer les pots cassés
Bombardier restructure, et laisse les autres réparer les pots cassés. Quel beau spectacle d’arrogance de la part d’une entreprise qui a bénéficié de quelque 4 milliards de dollars de fonds publics au fil des ans.
Le ministre Pierre Fitzgibbon a certainement envoyé une mise en garde lundi, en indiquant que la productivité de l’usine de La Pocatière sera à l’ordre du jour de sa rencontre prochaine avec Alain Bellemare. Lire ici, trouvez une façon d’y amener de l’ouvrage avant que l’on vous accorde d’autres contrats.
La direction de Bombardier a peut-être posé les bons gestes pour rassurer ses actionnaires du secteur privé.
Mais depuis une semaine, elle a du même souffle dilapidé un de ses atouts les plus précieux: la fierté profonde et l’affection historique qui liait les Québécois à l’entreprise de Joseph Armand.