Les règlements de comptes entre gangs de rue ont fait exploser le nombre de meurtres au pays depuis deux ans. C’est le contraire au Québec, où les gangs autrefois ennemis sont devenus d’improbables partenaires d’affaires.
«C’est tellement rare qu’on parle des gangs de rue que c’est un peu comme s’ils n’existaient plus ! » mentionne René-André Brisebois, qui donne le cours « Phénomène des gangs », à l’Université de Montréal.
Suivant l’adage « l’union fait la force », les premiers gangs de rue étaient apparus il y a plus de 30 ans à Montréal « en réaction à de la discrimination ou du racisme », avant de se lancer dans le crime, d’après ce criminologue.
En 2012, les bandes longtemps rivales ont poussé le dicton plus loin.
Sous la férule de Gregory Woolley, seul gangster noir à avoir été admis dans la famille des Hells Angels, ils se sont laissé convaincre de s’unir au sein d’une alliance économique avec les motards et les factions mafieuses.
«Ils ont compris qu’il y avait de la place pour tout le monde [sur le marché criminel] et qu’ils pouvaient faire plus d’argent par des associations d’affaires. Ce n’est plus une question de respecter des couleurs, mais plutôt de maximiser les profits », a expliqué le commandant David Bertrand, de la Division du crime organisé à la police de Montréal (SPVM).
En 2017 et en 2018, sur un total de 15 meurtres attribuables au crime organisé à Montréal, le commandant Bertrand a confirmé au Journal qu’aucun n’est relié aux gangs de rue.
«Ils ont appris à faire de la business ensemble, souvent dans des créneaux lucratifs comme le proxénétisme et la fraude, où les enquêtes policières sont difficiles à mener. Ils sont moins visibles qu’avant et attirent moins de chaleur policière », a précisé René-André Brisebois.
Il n’existerait pas d’alliance criminelle d’une telle ampleur ailleurs au Canada, selon nos informations.
La plus longue accalmie
Il y a une douzaine d’années, les Bloods (Rouges) de Montréal-Nord, les Crips (Bleus) du quartier Saint-Michel et les nombreux Posse d’origine jamaïcaine dans l’ouest de l’île de Montréal se tiraient dessus chaque semaine.
«C’était la guerre. Or, les gangs de rue sont définitivement dans la période la plus paisible que j’ai vue à Montréal », dit Harry Delva, un spécialiste des gangs et du travail de rue dans le quartier Saint-Michel depuis 30 ans.
Il n’aurait jamais cru cela possible, d’après le témoignage que M. Delva a livré devant un comité de députés à Ottawa, le 30 janvier 2007.
Pas la bonne couleur
«Arrivera-t-on à stopper tout ça ? Moi, je vous dis à l’avance que non, malheureusement », avait-il déclaré en rappelant que ces jeunes n’ayant « rien à perdre » s’affrontaient « dans les rues, autour des écoles et dans les parcs ».
Le midi du 28 octobre 2005, Patricio Astudillo, 17 ans, avait été poignardé à mort devant une école secondaire de Cartierville pour avoir affiché son allégeance « bleue » devant ses agresseurs au « bandana » rouge des Bloods.
«C’était fou. Tu pouvais mourir si tu ne portais pas les bonnes couleurs. Il y a eu une centaine de morts pour ça à Montréal», déplore le sergent-détective à la retraite Jean-Claude Gauthier.
Durant ces années troubles, l’ancien expert sur les gangs de rue au SPVM compilait « sur un tableau blanc » la liste des meurtres et des tentatives de meurtre, leurs dates et endroits, le nom des cibles et les suspects.
Il a eu besoin de plusieurs tableaux. De janvier 2006 à décembre 2007, les gangs furent mêlés à 26 homicides et à 96 tentatives de meurtre, incitant la police de Montréal à faire d’eux sa priorité numéro un.
En deux ans, les policiers ont fait 2850 arrestations et saisi plus de 300 armes à feu dans le giron des gangs.
En 2007, Bill Blair, alors chef de la police de Toronto, a profité d’une visite à Montréal pour vanter la lutte aux gangs de rue dans la Ville Reine. Il s’estimait « plus chanceux » que son homologue du SPVM.
Car malgré la pression exercée par le SPVM, les tensions entre gangs s’étaient à peine refroidies.
Puis, le 9 août 2008, Fredy Villanueva, 18 ans, fut abattu dans un parc alors que des policiers tentaient d’appréhender son frère Dany, membre du gang Blood Family Mafia. Le lendemain, une violente émeute éclatait à Montréal-Nord.
424 fusillades à Toronto
Depuis 2010, le SPVM a retiré les gangs du sommet de ses priorités.
«On met le focus sur les crimes de violence, peu importe le groupe qui les a commis », d’après le commandant Bertrand.
Bill Blair est maintenant ministre de la Réduction du crime organisé au gouvernement Trudeau, et Toronto vient de connaître une année record de 96 meurtres. Le maire John Tory a déclaré que les gangs ont été mêlés « à plus de 75 % » des meurtres et des 424 fusillades dans cette ville en 2018.
«Ce qui se passe à Toronto ressemble à ce qu’on a vécu ici il y a 15 ans», a évoqué Harry Delva.
L’alliance des gangs durera-t-elle au Québec ? Chose certaine, tous semblent y trouver leur compte puisque cette accalmie historique persiste, a noté le criminologue Brisebois.
Meurtres liés aux gangs
L’alliance conclue en 2012 entre les gangs de rue montréalais afin de se partager le marché criminel avec les Hells Angels et la mafia a fait chuter les meurtres commis par les bandes du crime organisé au Québec, selon des données inédites de Statistique Canada, obtenues par Le Journal. On ne peut en dire autant dans les quatre autres provinces les plus populeuses, où les gangs de rue restent divisés.
L’union ne fait pas la force ailleurs au Canada
Le nouveau modèle d’affaires des gangs de rue et de leurs partenaires motards et mafieux au Québec n’a pas encore été adopté en Ontario et dans l’Ouest canadien.
«Ici, les Hells ne contrôlent pas tous les marchés illicites comme au Québec. Il y a certaines alliances impliquant des gangs, mais on retrouve plus de compétition et c’est très volatil», a expliqué le criminologue Martin Bouchard, professeur à l’Université Simon-Fraser, en Colombie-Britannique.
«Ce qui se passe à Toronto et à Vancouver, ce sont souvent des gangs peu connus qui se battent pour tenter de prendre des miettes qui restent dans le marché criminel, a-t-il ajouté. Ou encore des jeunes exposés à la sous-culture des armes à feu qui se tirent pour des pacotilles. Ça crée une escalade de répliques.»
On partage le gâteau
M. Bouchard estime que le portrait des gangs est fort différent à Montréal.
«Ils ont atteint un niveau de maturité. Il y a une hiérarchie bien établie avec les autres groupes du crime organisé. Les règles sont claires, on se partage le gâteau et on sait à quoi s’attendre.»
Il croit qu’à elle seule, la police ne pourra freiner la violence entre gangs de l’Ontario ou de l’Ouest « seulement par des arrestations ».
«Ils peuvent en accélérer la fin. On l’a vu au Québec lors de la guerre des motards avec l’escouade Carcajou et l’opération Printemps 2001 contre les Hells. Mais ils auront besoin d’aide.»
Par ailleurs, il n’a pas été possible de quantifier les effectifs québécois actuels des gangs de rue, comme c’était le cas dans le passé.
À Montréal, le SPVM dit ne plus tenir de statistiques sur le nombre de gangs ou leurs membres. Les services de police de Laval, Longueuil et Gatineau ont préféré ne pas dévoiler leurs chiffres au Journal.
À Québec, où le défunt Wolf Pack a fait la manchette entre 2002 et 2004 dans un scandale de prostitution juvénile sans précédent, la police affirme qu’aucun gang de rue n’y est présentement établi.
Ils disaient former «une famille»
Les dessous de l’enquête policière qui a mis au jour l’alliance entre gangs de rue, mafia et motards
Gregory Woolley « est l’acteur qui a changé le portrait du crime organisé à Montréal » en orchestrant l’alliance de tous ses clans, a déclaré au Journal le commandant du SPVM David Bertrand. Voici un portrait de cet influent chef de gang.
Les policiers n’avaient encore jamais vu un chef de gang de rue arriver aux funérailles d’un Hells Angel dans la Ferrari d’un avocat de la mafia italienne.

Photo courtoisie
Une perquisition du SPVM chez Jean-Philippe Célestin, un proche de Gregory Woolley et leader du gang K-Crew qui contrôlait plusieurs clubs sur la rue Saint-Laurent, a permis de trouver cette peinture de Célestin assis sur un trône.
C’est ce qui s’est produit à Montréal, le 2 septembre 2012, quand Gregory Woolley et Me Loris Cavaliere se sont présentés ensemble dans un salon funéraire de la rue Sherbrooke Est, avant les obsèques du motard Gaétan Comeau
Bien malgré lui, Cavaliere — qui a longtemps représenté le défunt parrain Vito Rizzuto et qui a été radié du Barreau après sa condamnation pour gangstérisme en 2017 — a fini par expliquer à la police la forte symbolique de ce geste.
Tous sous le même toit

Photo d'archives
L’avocat Loris Cavaliere photographié avec le parrain Vito Rizzuto en 2003.
Après avoir lu un article dans Le Journal, la conjointe de l’avocat lui avait demandé pourquoi « les Italiens », les motards et les gangs travaillaient et mangeaient « tous sous le même toit », contrairement au passé.
«Ça, c’est grâce à moi. Tu te souviens quand je suis allé aux funérailles [du Hells] avec Greg [Woolley]?» lui a-t-il répondu sans se douter que la police l’enregistrait.
Le 20 août 2015, c’est aussi en espionnant ce qui se disait dans les bureaux de Cavaliere que les policiers de l’opération Magot ont pu mesurer toute l’ampleur de cette nouvelle alliance entre les groupes du crime organisé.

Photo d'archives
Le Hells Angel Gaétan Comeau mis en état d’arrestation lors de l’opération SharQc en avril 2009.
«Pour garder la ville»
Les micros de la police ont alors enregistré Woolley, le chef intérimaire de la mafia, Stefano Sollecito et le fils du défunt parrain, Leonardo Rizzuto, en pleine réunion.
«On forme une famille ! Je surveille ses arrières et il surveille mes arrières», disait alors Sollecito en parlant de sa relation avec celui qu’il appelait simplement « Greg ».
Mais c’est Woolley qui dictait aux mafiosi «ce qu’il faut faire pour garder la ville».
«Une balle dans la poitrine, c’est ce qu’on est supposés faire», a-t-il lancé alors que les trois hommes soupçonnaient un de leurs associés d’être un traître qui informait la police.
Il était aussi question du partage des territoires de drogue dans la région de Montréal, des «taxes» de vente à verser aux Hells et de conflits à régler.
Pareille synergie paraissait impensable après que l’ex-haut gradé mafieux Francesco Arcadi eut comparé les Noirs des gangs à «des singes» qui «poussent comme des champignons». Lui aussi était enregistré par la police. Il a regretté ses paroles quand on l’a accueilli en prison en 2008.
Rapprochements en taule
C’est Woolley, alors incarcéré pour avoir fait la guerre des motards dans le camp des Hells, qui a réglé ce conflit.
Woolley, qui a passé toute la période de 2000 à 2011 derrière les barreaux, en avait aussi profité pour y tisser des liens avec le parrain Vito Rizzuto.
À l’été 2005, les deux ont passé trois mois au pénitencier de Sainte-Anne-des-Plaines où ils ont été « vus ensemble à plusieurs reprises en train de discuter dans la cour extérieure », a insisté le sergent François Lambert du SPVM en témoignant durant le volet judiciaire de l’opération Magot.
Le «parrain» des gangs de rue
Comme Vito Rizzuto l’a été pour la mafia italienne, Gregory Woolley est vu comme le «parrain des Noirs» formant les gangs montréalais.
C’est ainsi qu’il est décrit par des informateurs de police issus du milieu des gangs et cités dans des documents judiciaires de l’opération Magot, qui a mené à l’arrestation de Woolley en novembre 2015.
«On a pu voir à quel point il joue un rôle très, très majeur [dans le milieu interlope], a souligné le commandant David Bertrand, du SPVM, qui a participé à ce projet d’enquête. C’est lui qui a changé le portrait du crime organisé à Montréal avec ses alliances.»
Rendez-vous révélateurs
Ses rencontres dans la seule journée du 5 août 2014 en donnent un exemple probant, selon les rapports consultés par Le Journal.

Photo courtoisie
Le chef de gang a aussi été surveillé lors d’une rencontre avec le mafioso Andrea Scoppa.
Épié par une équipe de surveillance policière, Woolley a quitté son domicile de Saint-Hubert vers 11 h au volant d’une Mercedes S450 grise. Il s’est rendu dans un hôtel du centre-ville de Montréal pour y rencontrer Andrea Scoppa, une grosse pointure de la mafia avec laquelle il s’est brouillé l’année suivante.

Photo courtoisie
Gregory Woolley, à gauche, en compagnie des Hells Angels Salvatore Cazzetta (vu de dos) et Stéphane Jarry (à droite), tous trois filmés par les policiers durant l’enquête Magot.
Deux heures plus tard, il stationnait sa Mercedes près d’un restaurant du boulevard Newman où l’attendaient deux Hells Angels de haut rang, Salvatore Cazzetta et Stéphane Jarry.
«Ils se donnent tous les trois une poignée de main et une grosse accolade avec la tape dans le dos», ont noté les policiers en filature.

Photo courtoisie
Woolley rencontrait souvent celui qui était chef intérimaire de la mafia montréalaise à cette période, Stefano Sollecito.
Woolley a complété sa tournée en allant discuter pendant une heure avec le chef intérimaire de la mafia, Stefano Sollecito, dans une ruelle près d’un café italien.
«Coke» payante
Woolley brassait alors des millions $ sur le marché des stupéfiants. Avec son bras droit Dany « Lou » Cadet-Sprince, il dirigeait « Les Bronzés », une clique qui contrôlait l’approvisionnement et le trafic de cocaïne dans Hochelaga-Maisonneuve.
Les consommateurs y ont reniflé environ 40 kilos de coke par année provenant des Bronzés, entre 2011 et 2015, d’après le juge Eric Downs.
Et comme les Hells Angels, Woolley percevait une « taxe » de quelques milliers de dollars par mois aux trafiquants de « HO-MA » pour qu’ils aient le droit d’y écouler leur drogue.
En octobre dernier, Woolley a écopé une peine de huit ans après s’être reconnu coupable de complot, trafic de drogue et gangstérisme. Il pourrait obtenir sa libération conditionnelle d’ici la fin de 2020 puisque le tribunal lui a crédité cinq ans en détention provisoire déjà purgée.
Recruté par les Hells pour éliminer la concurrence
Avant d’unir les gangs de rue dans une alliance d’affaires, Gregory Woolley a participé à la guerre sanglante des Hells Angels contre une bande concurrente, les Rock Machine.
Revolver chargé à l’aéroport

Photo courtoisie
Il avait dans son sac ce revolver Smith & Wesson de calibre Magnum .44 chargé de trois balles.
Gregory Woolley a tenté de monter à bord d’un avion à l’aéroport de Mirabel avec un revolver chargé dans ses bagages.

Photo courtoisie
Il voulait partir pour Haïti avec son foulard de motard à l’effigie des Rockers.
Le matin du 5 avril 2000, celui qui était à la fois membre d’un club-école des Hells et dirigeant du nouveau gang de rue Syndicate, s’est présenté à l’aéroport de Mirabel pour prendre un vol à destination de la ville où il est né en Haïti, Port-au-Prince.

Photo courtoisie
Le sac de sport à l’intérieur duquel se trouvait l’arme.
Le personnel de la sécurité a aussitôt remarqué le sac de sport noir qu’il transportait comme bagage à main, orné d’une tête de mort et identifié aux motards Rockers.
Woolley a calmement donné son sac aux agents pour qu’il soit examiné en radioscopie. Tout à coup, il a demandé à reprendre son sac, mais trop tard.
«J’ai oublié quelque chose dans mon sac, il faut que j’aille le porter dans mon auto», a-t-il vainement insisté, selon le rapport d’enquête de la police de Mirabel.
Les agents ont pu observer le canon, le barillet et la crosse de l’arme sur leur moniteur avant d’alerter les policiers.
C’est «en se pognant la tête» qu’il a attendu l’arrivée de ces derniers. L’arme en question était un revolver argenté Smith & Wesson chargé de trois balles.

Photo courtoisie
Une partie des 8934 $ que Woolley transportait avec lui.
Le contenu de sa valise bleue a aussi été fouillé. Les policiers y ont notamment trouvé 8934 $, un foulard à l’effigie des Rockers et une cagoule noire en laine.
Il a plaidé coupable le 16 juin 2000 et a écopé de deux ans de prison.
Accusé de neuf meurtres
«Je veux pas vous voir», avait lancé Gregory Woolley aux deux enquêteurs venus le mettre en état d’arrestation pour pas moins de neuf meurtres, le 28 mars 2001.

Photo courtoisie
Gregory Woolley lors des procédures judiciaires de l’opération Printemps 2001.
Détenu au pénitencier à sécurité maximum de Donnacona, il faisait alors face à de lourdes accusations liées à l’opération Printemps 2001, qui avait porté un grand coup aux Hells. Lui et plusieurs autres motards étaient inculpés des meurtres de membres ou de trafiquants des Rock Machine.

Photo courtoisie
Johnny Plescio, un membre fondateur des Rock Machine, a été tué par balles dans sa résidence, à Laval.
Parmi ces derniers, on comptait Johnny Plescio, un fondateur des Rock Machine tué par balles dans sa résidence, à Laval, le 8 septembre 1998.

Photo courtoisie
La bague sertie de diamants à l’effigie des Rock Machine au doigt de Renaud Jomphe, le soir de son assassinat dans un restaurant de Verdun, en 1996.
Après l’avortement d’un mégaprocès de 19 mois et un acquittement dans un procès séparé, Woolley n’a été trouvé coupable d’aucun de ces meurtres.
Mais en juin 2005, Woolley suivait l’exemple de la quasi-totalité de ses acolytes et plaidait coupable à des accusations réduites de complot, trafic de stupéfiants et gangstérisme. Il est ressorti de taule à l’été 2011.
Les contribuables ont alors payé la majeure partie de la facture pour sa défense, comme pour plusieurs Hells accusés dans ce coup de filet.
Son avocate, Cristina Nedelcu, a eu droit à des honoraires totalisant 394 550 $ par l’entremise de l’aide juridique du Québec.
Délateur poignardé 187 fois
Un délateur qui a connu une fin sordide a raconté en cour que Gregory Woolley l’avait accompagné comme « back-up » lors de son premier meurtre parce qu’il était « habitué ».
Aimé Simard avait mené une courte carrière dans « l’équipe de football » des Rockers, regroupant les plus violents hommes de main du club-école des Hells.
Toutefois, le jury ne l’a pas cru quand Simard a voulu incriminer Woolley pour le meurtre du trafiquant Jean-Marc Caissy, à Ville-Émard, le 28 mars 1997.
Originaire de Québec, Simard a témoigné que lui et Woolley avaient chacun un véhicule pour se rendre dans un centre des loisirs où Caissy jouait au hockey ce soir-là.
La recrue dit avoir exécuté le contrat en ajoutant que Woolley était armé et prêt à intervenir en cas de pépin.
Simard avait ensuite eu des félicitations à une fête au repaire des Rockers sur la rue Gilford. Les policiers avaient intercepté une conversation téléphonique entre lui et Woolley, qui était chez lui. Ce dernier lui a demandé s’il y avait bien du monde au party et si les gars étaient contents.
«Mets-en, crisse! Je me sens quasiment comme une p’lotte, tellement je me fais embrasser depuis que je suis arrivé icitte», a répondu Simard.
Le 18 juillet 1998, Woolley a été acquitté.
Cinq ans jour pour jour après ce verdict, Simard a été tué de 187 coups de couteau dans un pénitencier en Saskatchewan.
Le détenu qui l’a poignardé a admis que les Hells l’avaient payé 25 000 $ pour ce crime.
Acquitté malgré une preuve d’ADN

Photos d'archives et courtoisie
Pierre Beauchamps (en mortaise) a été abattu dans son véhicule sur la rue Sainte-Catherine, le 20 décembre 1996.
«Tuer, pour lui, c’est comme un citoyen qui travaille de 9 à 5...»
C’est avec cette phrase prise en note par un enquêteur de l’escouade Carcajou que le délateur Stéphane Sirois a décrit le sang-froid de son ex-camarade Gregory Woolley.
Le « striker » des Rockers avait la réputation d’être « très travaillant » et de n’avoir peur de rien, d’après Sirois, un ex-membre de ce club-école des Hells.
Le 20 décembre 1996, Pierre Beauchamps, un fournisseur de cocaïne des Rock Machine, s’était fait tirer à bout portant au volant de sa minifourgonnette sur une rue Sainte-Catherine achalandée en raison du magasinage de Noël.
Sirois prétendait que Woolley lui a admis qu’il était l’auteur du meurtre. Selon le délateur, l’accusé lui avait demandé de brûler le manteau qu’il portait lorsqu’il a criblé Beauchamps de balles. Un manteau que Sirois lui avait offert dans les semaines précédentes.
La mission de Sirois semblait gagnée d’avance puisque son témoignage servait à corroborer une preuve scientifique quasiment irréfutable en cour.
En effet, l’ADN de Woolley avait été identifié dans un chapeau de pêcheur retrouvé dans une poubelle de la station du métro Bonaventure. La même poubelle contenait aussi un revolver, mais les empreintes digitales de l’accusé ne s’y retrouvaient pas.
Un peu comme lors du célèbre procès d’O.J. Simpson pour le meurtre de sa femme, en 1995, Woolley a fini par être acquitté à la suite de nombreuses lacunes dans le dossier de la Couronne.
En raison d’un « manque de personnel », la police avait envoyé un technicien recrue qui en était à son tout premier meurtre afin d’aller documenter la scène de crime.
Ce policier a non seulement commis plusieurs erreurs de débutant, mais il a aussi menti sous serment pour tenter de camoufler quelques bourdes. Un cas « troublant » aux yeux du juge du procès, ce qui avait incité la défense à évoquer la possibilité de fabrication de preuves.
De plus, aucun des témoins oculaires de la police n’avait été en mesure d’affirmer sous serment que l’accusé était bel et bien le tireur. L’un d’eux a même dit en cour qu’il n’était plus certain que le suspect était de race noire.