Un professeur en intelligence artificielle de Polytechnique Montréal, qui vient de refuser un salaire d’un million $ par année pour diriger le laboratoire de 100 millions $ du géant japonais Denso ciblé par le FBI, s’inquiète de voir des étrangères douteuses débarquer chez nous.
« Est-ce que je voulais avoir mon nom touché par une entreprise qui a fait de la collusion, qui a un impact environnemental et qui n’accorde presque aucune place aux femmes ? Non », confie Samuel Bassetto, professeur agrégé au département de mathématiques et de génie industriel de Polytechnique Montréal.
En janvier dernier, le premier ministre du Québec, la mairesse de Montréal et le ministre fédéral des Infrastructures ont accueilli à bras ouverts le fabricant de pièces d’auto japonais Denso venu créer cinq emplois ici.
Quand Le Journal a demandé à François Legault pourquoi aucun représentant de l’entreprise n’était à ses côtés à la conférence de presse, il a répondu avec humour.
« Ce n’est pas facile de rencontrer des journalistes. Les gens de Denso ont préféré ne pas faire de point de presse. On respecte ça », avait-il lancé.
Passé trouble
Deux mois plus tard, Samuel Bassetto raconte au Journal pourquoi il a refusé de diriger le centre de recherche en intelligence artificielle montréalais de la multinationale Denso, qui a déjà été ciblée par des enquêtes du FBI (voir autre texte plus bas).
Au départ, quand Denso l’a approché, l’entreprise pique la curiosité du chercheur québécois.
À l’invitation de ses dirigeants, il accepte alors d’aller visiter son siège social et ses usines au Japon pour mieux la connaître. Mais le choc est brutal.
Il déchante vite.
Samuel Bassetto découvre une compagnie qui traîne un lourd passé (255 millions de dollars américains d’amendes), qui n’accorde quasiment pas de place aux femmes dans sa gestion (0,9 %) et qui ne pose pas assez de gestes à son goût pour l’environnement.
« Il y a urgence d’agir pour mettre en place des mécanismes pour savoir avec qui on fait affaire, affirme M. Bassetto. Comme professeur, premier ministre, ministre fédéral ou mairesse d’une grande métropole, je veux savoir à qui je serre la main. »
Nouveaux critères
Pour M. Bassetto, il faut se doter au plus vite de critères pour ne plus accueillir n’importe quelle entreprise chez nous. Pour y arriver, le chercheur propose une grille simple avec quelques points clés.
« Est-ce que vous faites travailler les enfants ? Est-ce que vous avez eu des procès au criminel ? En avez-vous encore ? Favorisez-vous la diversité et l’égalité ? Avez-vous un impact environnemental fort ? » donne-t-il en guise d’exemple.
Il ajoute que Polytechnique Montréal est loin d’être la seule institution qui doit faire preuve de plus de vigilance. Toutes les universités québécoises sont dans le même bateau, insiste-t-il.
« Quand la grande entreprise nous donne un dollar et que, nous, on va en chercher trois, c’est nous qui avons le gros bout du bâton, pas l’entreprise », conclut l’homme, sourire aux lèvres.
Une société passée sous la loupe du FBI
La multinationale japonaise Denso a eu de multiples démêlés avec la justice américaine. En mars 2012, la société a plaidé coupable dans une affaire de fixation de prix. Le géant a alors été condamné à payer une amende de 78 millions $ US, selon des documents du FBI consultés par Le Journal.
Deux ans plus tard, l’un de ses dirigeants a plaidé coupable et a accepté de purger une peine de un an et un jour de prison pour son rôle joué entre 2009 et 2010 dans une histoire de fixation de prix, toujours selon le FBI.
À l’époque, près de 27 entreprises ont admis leurs fautes dans ce système et payé une amende totale de 2,3 milliards $ US.
Denso
Siège social : Kariya (Japon)
Chiffre d’affaires : 48 milliards $
Installations : 220
Employés : 170 000
Pays : 35
Montréal International mal équipée pour faire les vérifications

Photo courtoisie
Le 10 janvier 2019, François-Philippe Champagne, François Legault et Valérie Plante (à gauche), entre autres, ont rencontré le PDG de Denso, Koji Arima (1er à droite).
Même si elle se dit « sensible à ces causes », Montréal International (MI), qui accueille chaque année des dizaines d’entreprises étrangères ici, n’a pas de « règle » qui l’empêche d’ouvrir la porte aux sociétés ayant des démêlés avec la justice.
« Il n’y a pas de règle qui stipule par exemple que nous ne pouvons pas attirer d’entreprises étrangères avec un litige en cours ou qui n’a pas la même représentation de femmes que d’hommes parmi ses employés », confirme la directrice des communications de Montréal International Céline Clément.
Faute de moyens, Montréal International dit devoir se fier à ses bailleurs de fonds gouvernementaux pour effectuer des vérifications plus poussées. Par exemple, Ottawa peut lui indiquer si une compagnie est une menace pour « la sécurité nationale ».
« Partenaire toxique »
Une situation que déplore le professeur et expert en éthique de l’UQAM, Michel Séguin, qui estime qu’il faut se poser le plus de questions possible avant d’accorder sa confiance en affaires.
« Est-ce un partenaire toxique ? Est-ce qu’il va entacher notre notoriété ? Il faut faire attention à ça », insiste l’expert. Selon lui, toute organisation doit s’assurer de faire affaire avec des sociétés qui ont une certaine éthique pour préserver son intégrité.
« On ne peut pas dire que l’entreprise est bonne ou mauvaise en fonction de ce qu’elle a fait dans le passé », précise-t-il. Il estime cependant qu’il faut faire preuve de grande vigilance quand on s’associe avec une société au passé trouble.
IQ rassurante
De son côté, Investissement Québec (IQ), qui attire elle aussi des étrangères ici, dit accorder une très grande importance aux vérifications d’entreprises.
« Bien sûr qu’Investissement Québec effectue des vérifications sur les entreprises et leurs dirigeants qui souhaitent venir s’installer au Québec », assure sa vice-présidente aux affaires publiques Mirabel Paquette.
Bureaux à l’étranger, registres publics, plateformes gouvernementales, bases de données, procédures de vérification des dirigeants et actionnaires... la société d’État insiste sur l’importance de ses vérifications pour « la gestion des deniers publics ».