Un neurochirurgien de Montréal qui travaille dans le réseau privé tire profit des longues listes d’attente en offrant des forfaits tout inclus sur mesure à ses patients québécois pour les opérer aux États-Unis.
«C’est vraiment un service complémentaire au service public. Je ne me vois pas en compétition, mais comme associé», confie le Dr Rémi Nader.
Âgé de 42 ans, ce neurochirurgien qui a grandi et étudié la médecine à Montréal est établi dans une clinique privée de Houston, au Texas. Or, depuis 2015, il revient au Québec environ 10 jours par mois pour traiter des patients québécois dans le réseau privé.
La grande majorité des gens consultent pour des maux de dos et de cou. Il a des cliniques à Montréal, Laval et Québec. Bien qu’il réussisse à traiter la plupart de ses patients en cabinet (injections, médication), certains doivent être opérés.
«Quand l’opération est nécessaire, ils ont toujours l’option de payer ou de continuer dans le public. C’est vraiment ouvrir l’accès au patient», précise celui qui dit être le seul à offrir ce service dans son domaine.
Selon le Conseil de la protection des malades, cette réalité montre clairement les problèmes d’accès au réseau public.
«J’ai toujours dit que je n’ai rien contre le privé pourvu que les patients qui paient leurs impôts en aient pour leur argent, dit le président, Paul Brunet. Mais quand le privé règle les problèmes d’accès au lieu du public, c’est là le scandale.»
Chaque mois, le Dr Nader opère un patient québécois dans un hôpital privé de Houston. En général, il n’y a pas de délai d’attente.
Forfaits sur mesure
Bien que le médecin ne veuille pas donner de détails sur les coûts, il dit offrir des forfaits tout inclus sur mesure (avion, hôtel, chirurgie) qui ne sont «pas si chers».
«N’importe qui, qui aurait aussi mal que moi, ferait la même chose», confie Pierre Rozon, un résident de Gatineau qui a payé 32 000 $ (US) pour sa chirurgie au dos en octobre dernier.
D’ailleurs, un des avantages qu’offre le Dr Nader est le suivi postopératoire au Québec. Depuis 2015, le médecin calcule avoir traité entre 500 et 1000 patients en clinique. Et contrairement à la croyance populaire, ils ne sont pas tous riches.
«Ils viennent de partout, et c’est monsieur Tout-le-Monde. Les gens ont des problèmes, il y a de longs temps d’attente. Ils veulent voir quelqu’un tout de suite», note-t-il.
Compliqué d’opérer ici
Par ailleurs, le Dr Nader préférerait pouvoir opérer ses patients au Québec. Or, il déplore la difficulté à accéder à des centres de chirurgie privés.
«J’ai essayé, dans deux ou trois centres. C’est des problèmes de permis et de réglementation. C’est pas mal plus compliqué qu’on pensait», avoue-t-il.
Dans l’avenir, il ne perd pas espoir que le réseau privé se développe pour offrir ces services.
«J’espère qu’un jour, la partie de la population qui voit ça d’un aspect négatif va ouvrir les yeux et voir le positif pour le système en général. Et aussi que le gouvernement nous facilite les choses un peu plus, pour qu’on puisse offrir plus de services encore», dit-il.
Il savait qu’il voulait revenir au Québec
Installé aux États-Unis depuis plus de 10 ans, le Montréalais Dr Nader a toujours su qu’il reviendrait travailler au Québec un jour.
«J’ai grandi ici, je sens que je suis d’ici, c’est mon identité», avoue-t-il.
«Très important»
Issu d’une famille d’origine libanaise, le Dr Rémi Nader a grandi à Montréal.
Après avoir complété son cours de médecine à l’Université McGill, en 1999, il a fait sa résidence en neurochirurgie au Texas, aux États-Unis.
Malgré cela, il a complété les examens du Collège royal du Canada, en 2006, pour avoir l’option de pratiquer au Québec.
«C’était très important pour moi. Je savais que je voulais revenir ici d’une façon ou d’une autre.»
Le déclic
Le Dr Nader raconte que le déclic pour revenir pratiquer ici s’est fait après avoir accompagné sa mère dans le système public, pour des soins en neurochirurgie.
Après un certain délai de prise en charge, elle a été bien traitée en urgence. «Je me suis dit: il faut que je fasse quelque chose. Que j’aide la communauté où j’ai vécu.»
Bien qu’il envisage éventuellement un retour dans la province, le Dr Nader compte rester dans le réseau privé.
«Mon optique c’est de rester dans le privé pour pouvoir offrir des services complémentaires au service public, pour pouvoir décharger les longues listes d’attente et donner plus d’accès aux patients. C’est ça l’objectif final de ce que je fais.»
La population forcée d’aller au privé
Les patients vont continuer à se tourner vers le privé tant que le réseau public ne répondra pas à leurs besoins, selon des organismes.
«On force la population à se tourner vers le privé. Elle y va parce qu’elle a besoin de certains soins et services, elle ne les trouve plus au public», réagit Jacques Benoit, porte-parole de la Coalition solidarité santé.
Tannés d’attendre
«Les gens sont tannés d’attendre et vont aller chercher ailleurs des soins, ajoute Paul Brunet, du Conseil de la protection des malades. On ne peut pas leur reprocher d’aller au privé, de payer ou d’hypothéquer leur maison.»
Selon M. Benoit, le système public a perdu de son efficacité depuis 30 ans et doit être réorganisé pour mieux répondre aux besoins. Parmi les solutions, il note le mode de rémunération des médecins.
«Le problème, ce n’est pas le système public, c’est le gouvernement qui force la réduction des soins et des services», croit-il.
«Tranquillement, on a mis en place les conditions pour forcer les gens à chercher réponses à leurs besoins ailleurs que dans le secteur public.»
Opérés hors délai
Selon un récent document publié par l’Institut Fraser, l’attente médiane entre la rencontre avec un médecin et le début d’un traitement est de 16 semaines au Québec. Il s’agit d’une amélioration de cinq semaines par rapport à l’an dernier.
Or, selon Paul Brunet, l’accès aux soins s’est généralement détérioré depuis quelques années, et il déplore que beaucoup de patients soient opérés hors délai.
«Il y a tellement de gens qui sont mal traités ou pas traités, c’est décourageant», croit M. Brunet.
«Les gens veulent aller chercher de l’aide, ils sont prêts à payer ou sacrifier autre chose, dit M.Brunet. Il y a beaucoup d’ouvrage à faire pour redonner l’accès.»
«Je n’avais plus de qualité de vie»
Pierre Rozon s’est fait opérer au Texas l’automne dernier par le Dr Nader pour ses problèmes de dos, une chirurgie qui lui a redonné une qualité de vie.
Aux prises avec de graves problèmes de dos qui l’empêchaient de travailler, un homme de 52 ans a retrouvé une qualité de vie après avoir été opéré rapidement au Texas.
«Je marchais comme un vieux de 96 ans», se rappelle Pierre Rozon.
« Je n’étais pas capable de marcher, je n’avais plus de qualité de vie du tout. »
Opération repoussée
Résident de Gatineau, l’homme était aux prises avec une grave hernie discale qui le faisait souffrir au point de ne pas pouvoir travailler dans son laboratoire dentaire, depuis neuf mois.
Puisque l’attente au public pour voir un neurologue était de trois ans, il s’est tourné vers le Dr Nader au privé, l’été dernier.
«Il pouvait m’opérer un mois plus tard !, se rappelle le patient. C’est moi qui ai repoussé la chirurgie parce que je ne voulais pas avoir un plâtre durant l’été.»
En octobre dernier, M. Rozon s’est rendu à Houston avec sa conjointe durant une semaine, pour subir l’opération.
«C’est sûr que j’aurais aimé être opéré à Montréal, avoue le patient. Mais j’étais prêt à aller n’importe où, en Europe s’il le fallait!», dit-il.
Au total, le voyage lui a coûté 32 000 $ US. En plus de la chirurgie, le forfait incluait les billets d’avion, l’hôtel, la nourriture et les transports.
Peu importe le prix
«J’avais l’argent pour payer la chirurgie. Mais, si je ne l’avais pas eu, j’aurais hypothéqué ma maison!», jure l’homme qui a recommencé à travailler récemment et qui n’a plus de douleur.
«Peu importe le prix, il n’y a rien qui m’aurait empêché d’aller me faire opérer», jure-t-il.
Par ailleurs, ce Gatinois dit avoir grandement apprécié la qualité du service et le suivi postopératoire au Québec.
«La qualité de vie que ça nous redonne... N’importe qui, qui aurait aussi mal que moi, ferait la même chose», conclut l’homme.