Des Canadiennes se sentent délaissées par Ottawa alors que le seul bureau de l’immigration de Cuba a fermé ses portes au début du mois, retardant l’arrivée au Canada de leurs maris.
« Je suis épuisée. [Le gouvernement] n’est plus là pour nous aider. Je suis citoyenne canadienne et j’ai besoin qu’on réponde à mes questions et qu’on m’informe de la suite des choses », lance en larmes Mélissa Jiménez-Éthier, mariée avec un Cubain depuis le 5 novembre 2017.
En raison de la fermeture du bureau d’immigration du Canada à La Havane, le 8 mai, la Mirabelloise de 38 ans n’a aucune idée du moment où son mari Daniel Jiménez sera à ses côtés pour voir grandir leur fille Leina-Flor, âgée de cinq mois.
Les documents légaux ont été envoyés en deux étapes à Cuba, tel que demandé en octobre 2018 et en mars dernier. La demande de parrainage a ensuite été acceptée. Mais depuis, plus rien.
Et la situation de Mme Jiménez-Éthier est loin d’être isolée. Aucun de ces 180 dossiers n’a été réglé depuis juillet 2018 d’après les statistiques obtenues par Le Journal de Montréal.
Selon le gouvernement canadien, un peu plus de 700 demandes de parrainage entre Cuba et le Canada sont traitées par année.
Attaques sonores
Selon nos sources, les attaques sonores survenues au printemps 2017 à Cuba contre des diplomates canadiens seraient à l’origine de la fermeture du bureau.
Ces sons à haute fréquence auxquels auraient été exposés pendant plusieurs minutes les employés de l’ambassade canadienne à La Havane leur auraient causé des nausées ainsi que des maux de tête et des étourdissements. Depuis, la GRC a ouvert une enquête, toujours en cours.
« Nous avons la responsabilité de protéger la santé et la sécurité de nos employés », a écrit au Journal de Montréal le bureau du ministre, Ahmed Hussen, estimant que sa décision de fermer le bureau de La Havane était la bonne.
Ottawa a confirmé ne pas avoir l’intention de rétablir ses services à La Havane pour l’instant. Le gouvernement n’a pas voulu se prononcer sur une future date de réouverture.
Jusqu’à 10 000 $
La fermeture du bureau implique que les Cubains qui veulent immigrer au Canada doivent sortir du pays et se rendre à Trinité-et-Tobago, un pays des Caraïbes situé à près de quatre heures de vol de La Havane, afin de se soumettre aux obligatoires tests de biométrie (empreintes digitales) et médicaux.
« C’est impensable pour les Cubains de se payer de tels voyages. On parle de trois voyages qui peuvent coûter environ 10 000 $ », dénonce Johanne Boivin-Drapeau, conseillère réglementée en immigration canadienne.
Son époux « ne coûterait rien aux contribuables »
Une mère de famille en congé de maternité craint de devoir vendre sa maison, son écurie et ses cinq chevaux si son mari cubain n’arrive pas au pays d’ici la fin de l’année, alors que quatre employeurs lui garantiraient un emploi.
« Il ne coûtera rien aux contribuables. Mieux que ça, j’ai la certification de quatre employeurs qui auraient grandement besoin de ses services. Je le sais qu’il va travailler. Il est tanné de me voir à bout et fatiguée. Daniel n’a jamais voulu quitter le pays, mais là, même sa mère a hâte de le voir partir tellement il est triste », confie en pleurant l’éducatrice en petite enfance de Mirabel Mélissa Jiménez-Éthier.
Elle s’est aussi engagée auprès du gouvernement à assurer l’hébergement et les besoins essentiels de son mari pendant trois ans.
Depuis la fermeture du bureau de l’immigration à La Havane, la mère de famille songe à aller porter sa fille à Cuba jusqu’à ce que son mari puisse immigrer au pays. Pendant ce temps, elle en profiterait pour amasser de l’argent pour éviter de tout vendre.
« Ça n’a pas de sens. Cette enfant a deux bras, elle a un père qui est censé être ici pour m’aider à m’en occuper. Nous devions prendre soin de notre fille à deux », a-t-elle dit.
La femme de 38 ans a rencontré son mari Daniel Jiménez en avril 2017 à l’hôtel Sol Rio Luna y Mares, à Holguin. Il était le DJ du bar. Bien qu’elle voyage à Cuba depuis 20 ans, jamais elle n’était tombée en amour avec un résident de l’île. Puis, le 7 avril 2017, après une séparation et sans aucune attente, elle a rencontré son prince charmant.
« Je me rappellerai toujours cette soirée-là. J’étais très loin de me douter que je trouverais l’amour. Encore moins que j’allais me marier sept mois plus tard avec un homme extraordinaire », se souvient-elle.
Après le mariage, Leina-Flor, une petite fille âgée maintenant de cinq mois, est née.
Pour arrondir ses fins de mois, Mélissa Jiménez-Éthier travaille dans un bar deux soirs par semaine.
Elle soutient que d’ici la fin de son congé de maternité son mari pourrait aller travailler le jour pendant qu’elle s’occuperait de leur fille et de ses autres enfants nés d’une autre union.
Impossible de voir son papa
Une nouvelle maman qui devait aller trouver son mari à Cuba avec leur nouveau-né pour quelques mois devra garder son argent pour payer les tests indispensables à l’obtention de son visa.
« Tomber enceinte c’est un choix qu’on fait. On planifie en conséquence. Du jour au lendemain, je dois prévoir 10 000 $. Je ne l’ai pas », confie Andréanne Tousignant, directrice des ressources humaines d’un magasin de jouets.
Lorsqu’elle a demandé des informations concernant sa future union avec son mari Yasmani Céspedes, sa conseillère en immigration l’avait avisée qu’elle devait avoir en poche 2000 $. Cette somme couvrait les frais médicaux, les tests de biométrie, les billets d’autobus, la validation des documents et les frais d’administration.
« Au lieu d’aller lui présenter son fils, je vais garder l’argent pour ses tests de biométrie. On espère que quelque chose va changer. On essaie de rester positifs », ajoute la femme de 37 ans.
Pour Mme Tousignant, cette mauvaise nouvelle n’est que la suite des malheurs qui s’acharnent sur son mari.
« Comme tous les Cubains, il n’a pas les moyens de payer. Lorsque je lui parle, il lutte déjà pour manger. Il lutte pour garder son emploi. Et là, il faut lutter pour rester ensemble », lance la femme de Brossard.
Atteinte du cancer, elle attend du réconfort
« Au moment où j’ai appris la nouvelle [de la fermeture], j’ai eu peur de mourir sans lui », s’attriste Nancy Tanguay.
La Québécoise atteinte d’un cancer du sein rêve maintenant de se faire enlacer et soutenir par son mari cubain, qui tarde à recevoir son visa à cause de la fermeture du seul bureau de l’immigration dans la capitale.
Le 16 janvier 2019, deux mois après avoir marié l’homme de ses rêves, la Repentignoise a appris qu’elle souffrait d’un cancer du sein.
Depuis février, elle suit des traitements de chimiothérapie. Elle a perdu ses cheveux et ne travaille plus comme factrice. Elle se bat contre la maladie, seule. Mais ce qui l’afflige le plus, c’est de voir Eulicer Ricardo Coba, son mari, souffrir avec elle à distance.
« Il se sent tellement impuissant. Il veut m’aider et prendre soin de moi, mais c’est difficile à distance. Chaque jour, il vit cette épreuve avec moi », se désole la femme de 49 ans.
Elle a rencontré son conjoint en novembre 2016 après huit voyages au même hôtel. Le Cubain était [et est toujours] sauveteur à la plage du Playa Costa Verde, à Holguin.
Ils ont convolé en justes noces le 15 novembre 2018 et se sont vus pour la dernière fois le 17 novembre dernier.
Le couple s’envoie aujourd’hui plus d’une dizaine de courriels chaque jour. Puisque Mme Tanguay ne peut plus travailler, c’est la façon la plus économique que les amoureux ont trouvée pour rester en contact.
Malgré son inquiétude face à la fermeture du bureau de l’immigration, le couple demeure positif.
« L’important est qu’on finisse nos jours ensemble et en santé », a écrit l’homme de 35 ans à son épouse souffrante dans l’un de ses nombreux courriels que Le Journal de Montréal a consultés.