Les automobilistes peuvent bien être excédés par l’état des routes: le Québec est trop pauvre pour entretenir le réseau qu’il s’est construit, selon le principal expert des chaussées au ministère des Transports.
« On ne peut pas refaire toutes les routes, il y en a trop, on n’a pas assez d’argent pour les reconstruire toutes », tranche Guy Bergeron, ingénieur spécialisé en conception de routes au ministère des Transports du Québec (MTQ).
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Notre Bureau d’enquête a passé près de deux heures en sa compagnie, question de mieux comprendre les maux qui affligent le réseau routier québécois.
Selon l’expert, le gouvernement agit tout simplement en fonction de sa capacité de payer.
« On pourrait difficilement comprendre que nos écoles et notre système de santé soient dans un pire état qu’ils le sont déjà » pour se payer des autoroutes neuves, dit-il.
Un trop grand réseau?
Avec seulement huit millions d’habitants, le Québec doit gérer un réseau de plus de 30 000 km, l’un des plus vastes d’Amérique du Nord.
« Ça fait moins de 270 personnes par kilomètre, dit M. Bergeron. Si vous faites le même calcul pour l’Ontario, ils ont 21 000 km de route et ils sont 15 millions [d’habitants]. Ça, ça veut dire qu’ils sont plus de 700 par kilomètre... Ça change la donne ! J’ai travaillé en Europe et ils ont environ 4000 personnes par kilomètre... »
Pourtant, les projets d’expansion se multiplient.
Troisième lien à Québec, prolongement de l’autoroute 19 dans la métropole... La province construit-elle trop de routes pour ses capacités d’entretien ? Le porte-parole du MTQ, Guillaume Paradis, a refusé de laisser son expert répondre. « Ce sont des choix politiques », a-t-il justifié.
Idéalement, le Québec aurait bien besoin de reconstruire le gros de son réseau. Les ingénieurs qui l’ont conçu, dans les années 1960 et 1970, ont sous-estimé la circulation future. Les entrepreneurs ont appliqué des couches d’asphalte trop minces et ont lésiné sur la qualité des fondations.
L’heure de payer
Cinquante ans plus tard, c’est l’heure de payer. Mais « les besoins dépassent les ressources », dit M. Bergeron. « On ne peut pas reconstruire tout. »
Seulement 15 % de routes québécoises ont été construites, reconstruites ou durablement réparées dans les 10 dernières années.
Dans le reste du réseau, le MTQ se débrouille en appliquant de nouvelles couches d’enrobé bitumineux sur des chaussées abîmées... et les fissures remontent.
« On se retrouve avec des recouvrements qui ne peuvent pas performer très bien là-dedans », mentionne M. Bergeron.
Résultat : les autoroutes sont sous respirateur artificiel. « On a une approche au ministère qui est de faire beaucoup, beaucoup de renforcements d’autoroutes, reconnaît l’ingénieur. C’est un legs de tout ça. »
Moins d’improvisation
M. Bergeron est tout de même fier de ce que le MTQ arrive à faire avec les fonds que lui attribuent les décideurs.
« Avec ce montant-là, il faut optimiser, dit-il. Et c’est ce que le ministère fait de mieux en mieux. Par rapport aux années 1990, on est pas mal mieux équipés en termes de connaissance du réseau, où intervenir et comment. Il y a moins d’improvisation. »
Quant à l’hiver québécois, il a le dos large quand vient le temps d’expliquer le piteux état des routes.
« Ne jouons pas à l’autruche... Une chaussée en excellent état résiste beaucoup mieux », affirme-t-il.