La Caisse de dépôt détient un investissement de plus de 100 millions de dollars dans le géant techno Palantir mêlé au pire scandale de fuites de données de l’histoire et utilisé par l’administration Trump pour traquer les migrants.
Cofondée par le milliardaire Peter Thiel, proche du président Donald Trump, et par le fonds In-Q-Tel de la CIA, Palantir a développé des logiciels de surveillance pour le FBI et la NSA qui auraient servi à épingler Oussama Ben Laden et des bandits à cravate comme Bernard Madoff.
Le hic, c’est que Palantir est aussi accusée d’avoir aidé la firme Cambridge Analytica à scruter les profils Facebook de millions d’Américains pour favoriser l’élection de Donald Trump à la Maison-Blanche, selon le lanceur d’alerte Christopher Wylie.
Son logiciel aurait aussi été utilisé pour cibler les parents d’enfants de migrants appréhendés à la frontière en 2017, a rapporté The Intercept en mai dernier, en s’appuyant sur des documents du Department of Homeland Security (DHS).
«Un chef de file»
Or, la Caisse qui détient un investissement de 100 millions à 150 millions de dollars dans Palantir (au 31 décembre dernier) ne semble pas se formaliser de la réputation sulfureuse de la firme de Silicon Valley allant jusqu’à la qualifier de «chef de file».
«La société mentionnée est un chef de file du traitement et de l’analyse de données», estime son porte-parole Yann Langlais Plante, qui fait valoir qu’elle «a pris des engagements publics pour assurer la protection des données personnelles et respecter les réglementations en vigueur».
Pour l’instant, l’institution refuse de dire si son placement privé, effectué à l’interne en 2015, pourrait être reconsidéré.
«La Caisse ne télégraphie jamais au marché ses stratégies ou intentions en matière d’investissement», souligne M. Langlais Plante.
Mission attaquée
De son côté, le directeur général de l’Institut de la confiance dans les organisations (ICO), Donald Riendeau, pense que l’investissement du bas de laine dans Palantir «pourrait entrer en conflit avec la mission même de la Caisse».
«On devrait vérifier l’éthique des partenaires de tous les grands investissements de la Caisse et avoir des règles claires», insiste-t-il. Selon lui, la soif des rendements de 10 % à 12 % pourrait expliquer pourquoi la Caisse tend à se tourner vers ces sociétés «plus risquées».
Jointe par Le Journal, Palantir n’a pas été en mesure de répondre à nos questions.
Le géant technologique Palantir veut se défaire de son image de «Big Brother»
Après avoir cultivé une image mystérieuse d’elle-même, Palantir veut se débarrasser de l’étiquette de «Big Brother» qui lui colle à la peau dans l’espoir d’entrer en Bourse.
Même si elle est une créature de la CIA et que les contrats gouvernementaux ultra-secrets pèsent pour plus de la moitié de son chiffre d’affaires d’un milliard de dollars, Palantir se présente comme une société qui fait preuve de transparence.
Mais avec un nom comme «Palantir», en clin d’œil à la boule de cristal du Seigneur des anneaux de J. R. R. Tolkien, et un logiciel baptisé Gotham, en référence à Batman... le géant techno continue d’alimenter les fantasmes à son sujet.
Poids lourds
Pour changer son image, Palantir France a recruté l’an dernier l’ex-numéro 2 vedette d’Airbus, Fabrice Brégier, qui veut imposer ses puissants logiciels aux multinationales comme Airbus et Sanofi.
Mais la tâche est loin d’être facile. Il y a trois ans, la classe politique française a déchiré sa chemise quand les renseignements ont signé un important contrat avec Palantir.
Et même si la firme dit vouloir miser sur l’entreprise privée, elle continue de s’abreuver de juteux contrats publics. En mars dernier, elle a décroché un contrat historique de 800 millions $ US de l’armée américaine.
«Made in Canada»
Méconnue au pays, discrète avec les médias, Palantir a pourtant pignon sur rue en plein cœur de la capitale fédérale d’Ottawa depuis ses débuts.
En janvier dernier, elle s’est qualifiée comme fournisseur en intelligence artificielle dans un contrat fédéral. Trois mois après, elle a décroché un contrat d’un million $ de la Défense nationale.
Au Québec, le nom de Palantir n’apparaît pas au Registre des lobbyistes, contrairement à Amazon ou Tesla.
– Avec la collaboration de Marie-Christine Trottier
Qui sont les fondateurs de Palantir
Comme bien des jeunes entreprises technos de la Silicon Valley, Palantir est née d’une amitié forgée sur les bancs d’école. C’est à l’Université de Stanford, en Californie, que les cofondateurs de Palantir, Peter Thiel et Alexander C. Karp, font connaissance.
Peter Thiel a une feuille de route aussi solide que controversée. Il est cofondateur de PayPal en 1998 avec Elon Musk, PDG de Tesla. Quatre ans plus tard, il vend PayPal 1,5 milliard $ US à eBay. Peter Thiel a aussi misé sur LinkedIn, SpaceX ou encore Airbnb.
En 2004, Peter Thiel investit 500 000 $ US dans Facebook, ce qui va lui rapporter près d’un milliard $ US. Depuis 2005, il siège au conseil d’administration du réseau social aux côtés de Mark Zuckerberg.
Scandale politique
L’an dernier, Peter Thiel, libertarien près de la droite ultraconservatrice, proche de Donald Trump, se retrouve au cœur d’un immense scandale politique.
Un ex-employé de la firme britannique Cambridge Analytica, Christopher Wylie, lâche une bombe. Il soutient que Palantir l’a aidé à scruter les profils Facebook de dizaines de millions d’Américains pour influencer le vote en faveur de Donald Trump en 2016.
En gros, Palantir et Cambridge Analytica sont accusés d’avoir récupéré 50 millions de profils Facebook et conçu un logiciel pour prédire et influencer l’issue du vote.
Dans sa sortie, le lanceur d’alerte s’en prend aussi au directeur de la campagne électorale de Donald Trump, Steve Bannon, cofondateur de Cambridge Analytica.
Malgré ces révélations explosives, Peter Thiel reste très actif dans le monde des start-up. Auteur de plusieurs livres, il a même sa propre fondation. «Je ne crois plus que liberté et démocratie sont compatibles», est l’une de ses phrases les plus célèbres.
Peter Thiel figure dans le palmarès des 100 personnes les plus puissantes au monde de Forbes. Sa fortune est estimée à plus de 2,5 G$ US.
Dr Karp
Son ami, Alexander C. Karp, 51 ans, cofondateur de Palantir, est son PDG actuel. Diplômé en droit de l’Université de Stanford, il a décroché un doctorat en théorie sociale néoclassique de l’Université de Francfort. On l’appelle Dr Karp.
En 2002, il lance la firme de consultation Caedmon Group à Londres. Un an plus tard, il fonde Palantir. Aujourd’hui, il parcourt le monde pour vendre ses puissants logiciels en entrecoupant ses voyages de séances de méditation.
Alexander C. Karp détonne. Il boude le veston-cravate et préfère des habits décontractés et colorés. Il ne mâche pas non plus ses mots à l’endroit des technos de la Silicon Valley qui refusent de travailler avec le gouvernement comme lui.
«C’est une position de perdants», a-t-il dit d’eux dans une entrevue à Andre Ross Sorkin au Forum économique mondial de Davos. Sa fortune est évaluée à plus de 1,3 milliard $ US, selon Forbes.
Moins connu que les deux premiers, Joe Lonsdale, 36 ans, est aussi considéré comme l’un des cofondateurs de Palantir. Il est proche de la «PayPal Mafia», ces ex-employés de PayPal qui ont lancé d’autres sociétés comme Tesla, LinkedIn ou YouTube.
Joe Lonsdale a un lien avec le Québec puisqu’il est l’un des investisseurs de Diagram, présidé par Paul Desmarais III, premier v.-p. de Power Corporation.
Palantir en chiffres
♦ Fondation: 2003
♦ Siège social : Palo Alto, Californie
♦ 21 bureaux
♦ 2500 employés
- Palo Alto : 500
- Londres : 500
- Autres : 1500
♦ Chiffre d’affaires (2018): 1 milliard $ US
♦ Valeur estiméeentre 20 et 40 milliards $ US
Sources : Palantir, Bloomberg et Forbes