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La gentrification s’amène à Parc-Ex

Joël Lemay / Agence QMI

Le nouveau complexe des sciences de l’Université de Montréal, construit pour accueillir plus de 2400 étudiants et employés, vient de s’installer en bordure du quartier Parc-Extension. Ce premier élément du Campus MIL amène dans le secteur une problématique bien connue ailleurs à Montréal : la hausse du prix des loyers, alors que plus de personnes veulent maintenant s’installer dans ce quartier modeste.

Des dizaines de menaces d’éviction ou hausses draconiennes de loyers ont été répertoriées depuis juin 2018 par un organisme de Parc-Extension, qui a dû ajouter à son mandat la lutte contre la gentrification.

«Avant, on se concentrait sur les logements insalubres, mais avec la montée du nombre d’évictions, on a ajouté ce nouveau volet à notre mandat», explique André Trépanier, responsable des droits des locataires au Comité d’Action de Parc-Extention (CAPE).

L’arrivée du nouveau Campus MIL, couplée à d’autres développements dans des quartiers périphériques, a amené cette problématique dans le secteur, jusqu’alors assez peu prisé et reconnu pour ses loyers très abordables.

En 2018, le loyer médian d’un quatre et demi dans Parc-Extension n’était que de 600$ par mois, bien en deçà de ce qu’on peut trouver ailleurs à Montréal, selon des données de la Société canadienne d’hypothèque et de logement (SCHL).

Selon une carte produite par le CAPE, le secteur près du campus MIL est l’un des plus affectés par les «rénovictions», terme employé pour décrire la situation qui survient lorsqu’un propriétaire met ses locataires à la porte sous prétexte qu’il veut rénover le logement, pour ensuite le louer à un prix plus élevé.

Légal

Bien qu’elles puissent énormément bouleverser la vie des locataires, ces manœuvres d’expulsion et de reprise de logement ne sont souvent pas illégales.

Un propriétaire a le droit de reprendre un logement pour y effectuer des travaux majeurs de rénovation, pour s’y installer ou y installer un membre de sa famille, ou encore pour changer la vocation du logement.

Compensations

Plusieurs règles encadrent toutefois les évictions de locataires et les reprises de logement. Les propriétaires doivent dans la plupart prévenir les locataires 6 mois à l’avance (sauf en cas de bail de courte durée), et parfois même leur donner une compensation équivalent à trois mois de loyer, en plus d’un montant pour payer les frais de déménagement.

Le CAPE souligne qu’une bonne partie de la population n’est pas au courant de ces règles, tout particulièrement les nouveaux arrivants qui ne parlent pas toujours français ou anglais, et qui sont très nombreux à Parc-Extension.

Lorsque questionnée à propos de l’embourgeoisement du quartier causé par la venue du campus, la porte-parole de l’Université de Montréal Geneviève O’Meara a mentionné que la construction de logements sociaux ne fait pas partie du mandat de l’établissement. L’université s’implique dans la communauté en offrant des services pédagogiques dans deux écoles du quartier, a-t-elle souligné.

Les locataires sous pression

Un résident de Parc-Extension, qui souhaite conserver son anonymat par peur de représailles de son propriétaire, habite le quartier depuis 30 ans et en a constaté l’évolution au fil des saisons.

Dans l'immeuble où il habite, tout près du nouveau campus du MIL, deux logements ont vu leur loyer mensuel passer d’environ 600 $ à 1150$ en l’espace de deux ans, après le départ des locataires. Ils sont maintenant occupés par des étudiants.

L’homme ajoute que depuis plusieurs années, son propriétaire a tenté de lui faire quitter le logement pour pouvoir en augmenter le loyer, sans succès.

«Il ne peut pas me sortir vu que j'ai plus de 70 ans, mais il ne fait que le strict minimum, des réparations seulement en apparences. Par exemple, mon tuyau de renvoi d’eau a été brisé pendant une longue période sans qu’il ne fasse rien», raconte-t-il.

La loi prévoit une protection pour les aînés à faible revenu; dans la grande majorité des cas, un propriétaire ne peut reprendre un logement ou en évincer un locataire si celui-ci ou son conjoint est âgé de 70 ans ou plus, habite le logement depuis 10 ans ou plus et a un revenu annuel qui le rend admissible à un logement à loyer modique.

Mère monoparentale

Mary Antico, qui demeure dans le même secteur, est mère monoparentale et n’a pas d’emploi. «Mon enfant, qui a un handicap, doit rester dans le quartier en raison des services spécialisés qui lui sont offerts», explique-t-elle.

Au début de l’année, Mme Antico a dû quitter le logement où elle habitait depuis sept ans lorsque l’immeuble a été racheté par une nouvelle propriétaire, qui voulait y installer sa famille. Elle a réussi après beaucoup de recherche à se trouver un nouvel appartement, mais son loyer est passé de 745$ à 1130$ par mois, ce qui l’a obligé à jongler avec ses finances.

Celle-ci ne voit pas d’un bon œil l’arrivée du campus MIL, et craint d’avoir à revivre un scénario qu’elle connaît trop bien.

Avec un taux d’inoccupation de 1,9% sur l’île de Montréal, trouver un appartement s’avère un véritable casse-tête pour de nombreux locataires.

Seulement 7% de logements sociaux

L’organisme communautaire Brique par brique ne pèse pas ses mots quand vient le temps de parler de la situation du logement dans Parc-Extension.

«Il n’y a peut-être nulle part à Montréal présentement où l’érosion de l’abordabilité du parc locatif est aussi flagrante et rapide qu’à Parc-Extension», peut-on lire dans un rapport déposé le mois dernier par l’organisme à l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM), dans le cadre d'une consultation à propos du Règlement pour une métropole mixte.

Le parc locatif du secteur ne comprend que 7% de logements sociaux, une proportion qui devrait être augmentée à 20%, selon l’organisme, qui soutient que la Ville et l’Université de Montréal auraient dû mieux prévoir les impacts de l’influx de la population étudiante dans le secteur.

Environ 44% des résidents de Parc-Extension ont un revenu sous le seuil de la pauvreté, comparativement à 24,6% pour l’ensemble de Montréal. Des données du Comité d’Action de Parc-Extention (CAPE) démontrent que 900 ménages de Parc-Extension sont sur une liste d’attente pour un logement social.

Brique par brique vend d'ailleurs des obligations depuis 2016 dans l’objectif de mettre en place des logements sociaux dans Parc-Extension, pour des locataires en situation précaire ou qui se sont fait évincer.

Même si plus de 350 000$ ont été amassés de cette façon, le directeur général Faiz Abhuani, sonne l’alarme : impossible de suivre la montée du prix des immeubles dans le quartier.

«La vente d’obligation n’est pas assez pour couvrir la mise de fond de 50% du prix de l’immeuble. On n’a pas de rentrée d’argent en continu, ce qui n’encourage pas les investisseurs à financer notre projet pour la construction de logements sociaux», résume-t-il.

M. Abhuani ne veut toutefois pas baisser le bras; l’urgence est trop grande. «J’ai visité des logements pour une offre d’achat où les personnes vivaient à risque d’itinérance, ils dormaient sur le sol, sans matelas, et n’avaient même pas le strict nécessaire», déplore-t-il.

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