Incapables de garder ou embaucher du personnel payé 13 $ de l’heure, des centres d’hébergement pour les personnes en perte d’autonomie menacent de fermer.
« Si on publie [une offre d’emploi] sur les réseaux sociaux, on se fait insulter. “C’est quoi ça, une job à ce salaire-là”. Mais nous sommes financés à 100 % par le gouvernement », lance Valérie Coombs, copropriétaire de deux ressources intermédiaires à Montréal.
Elle est incapable d’offrir plus que le salaire minimum, soit 12,50 $/h, pour rester à flot.
Ces centres ont été créés pour devenir des milieux de vie pour les personnes âgées, handicapées ou autistes en perte d’autonomie. Les agences gouvernementales attribuent les places et versent un montant par usager.
La province compte environ 1000 ressources intermédiaires abritant 16 000 personnes vulnérables. Mais ces centres étouffent, dénonce Johanne Pratte, directrice générale de leur association.
En pleine pénurie de main-d’œuvre, les préposés aux bénéficiaires fuient au réseau public, plus avantageux.
Sinon, d’autres optent pour la restauration ou l’hôtellerie. Plusieurs McDonald’s offrent par exemple 13 $/h, plus des primes de nuit.
Plusieurs fermetures
Depuis cinq ans, l’Espace La traversée a fermé cinq centres dans la région de Montréal à cause du sous-financement. À la grandeur de la province, 179 centres ont fermé leurs portes depuis 2014.
La prochaine risque d’être la Maisonnée Henri-Dorion à Laval. Créée par la Fondation Le Pilier, elle a été amputée de 165 000 $ par an.
« C’est nous dire qu’on est mieux de fermer », déplore son directeur, Pierre Bélanger. « [Le gouvernement] sauve beaucoup d’argent sur le dos des plus vulnérables », dit-il, alors que la clientèle s’alourdit constamment, pour près du tiers du budget des CHSLD par usager.
Valérie Coombs et sa partenaire d’affaires Geneviève Perras doivent embaucher des personnes sans formation, mais « avec les meilleures intentions » et leur enseigner elles-mêmes.
Leur clientèle d’hommes autistes est lourde. Ils ont besoin d’une attention constante et d’aide pour manger ou se laver.
Pas sur la place publique
« Ça dépasse l’hébergement [...] Ça ressemble à de l’éducation spécialisée », plaide Mme Perras.
Les deux femmes, disponibles 24 h sur 24 et 365 jours par an pour leur RI, ne se paient même pas 22 $/h, soit moins qu’un préposé dans un CHSLD.
« Il y a deux poids, deux mesures avec l’argent public [...] Ça devient un peu indécent », tranche Johanne Pratte, de l’Association des ressources intermédiaires d’hébergement du Québec. Les propriétaires de RI ne cherchent pas à s’enrichir, assure-t-elle.
Par courriel, la ministre responsable des Aînés et des Proches aidants, Marguerite Blais, a refusé de discuter « du financement qui leur est octroyé sur la place publique ». Elle ajoute que des discussions seront entamées « sous peu » avec les ressources intermédiaires, soulignant que son gouvernement veut « équilibrer la qualité des soins et des services à travers tous les établissements ».
Des parents qui sont inquiets du sort de leur enfant
Des parents dont les enfants vivent dans une ressource intermédiaire sont inquiets de l’énorme roulement de personnel et des menaces de fermeture.
« On ne sait pas ce qui va arriver », souffle d’une voix étouffée Christopher Chipello, âgé de 66 ans.
Sa fille Evelyn est née avec une paralysie cérébrale sévère. Âgée de 34 ans, elle est confinée à un fauteuil roulant et s’exprime difficilement. Il y a 10 ans, M. Chipello et son épouse n’arrivaient plus à prendre soin d’elle à la maison.
Leur fille a été admise à la Maisonnée Henri-Dorion, à Laval, qui menace de fermer ses portes d’ici quelques mois, faute de financement.
« On voyait ça comme stable. Quoi qu’il nous arrive, on était à l’aise sachant qu’elle était bien », dit Christopher Chipello.
À Montréal, Samir Bacha est inquiète pour son fils autiste de 26 ans, qui vit à la Résidence Desautels.
Pas de stabilité
« C’est le défilé, le changement constant. On n’arrive pas à se rappeler des prénoms [des employés]. Ils restent deux ou trois mois et puis ils partent pour un travail plus payant », explique-t-elle.
Or, son fils, qui a été placé d’urgence à cause de son agressivité ingérable pour son mari souffrant de Parkinson et elle, a besoin de stabilité.
Le personnel n’est pas non plus spécialisé, dit-elle, mais les centres d’hébergement n’ont pas d’autre choix. La femme de 63 ans estime que le gouvernement avantage les préposés aux bénéficiaires du secteur public et nuit aux ressources intermédiaires.
À l’hôpital
Valérie Coombs et Geneviève Perras, qui gèrent la RI où vit le fils de Mme Bacha, disent que sans un centre d’hébergement, les personnes lourdement autistes ou en crise croupissent trop souvent à l’hôpital.
De plus, si leur état en hébergement s’améliore grâce aux soins du personnel, leur cas est considéré comme moins lourd, et la ressource intermédiaire perd du financement.