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Trudeau et l’art de se donner en spectacle

Grâce à sa séance de potinage au Palais de Buckingham, on se demande si Justin Trudeau n’a pas réussi quelque chose d’extraordinaire: donner raison à Donald Trump.

On comprend les dirigeants de l’OTAN d’en avoir ras le bol de voir le président américain prendre en otage leurs réunions. Des rencontres en tête-à-tête qui se transforment en épisode de «The Apprentice», où le président intimide et humilie ses homologues.

Ras-le-bol aussi du refus de tout compromis, de l’improvisation systématique sur des enjeux stratégiques, la fixation sur l’injustice que subit l’Amérique. On aurait besoin de ventiler à moins que ça.

Pas surprenant donc que Justin Trudeau, Emmanuel Macron, Boris Johnson, la Princesse Anne et le premier ministre des Pays-Bas se soient laissés aller à casser un peu de sucre sur le dos de Donald Trump.

On imagine même que ce genre de conversation à la fois moqueuse et exaspérée a lieu assez fréquemment dans les coulisses des grands sommets.

Toujours plus...

Objectivement, l’incident diplomatique tourne autour de commentaires assez anodins.

Aux dires de Justin Trudeau, les échanges coupables faisaient état du retard causé par un interminable point de presse de Donald Trump et la surprise de ses conseillers à le voir annoncer que le prochain sommet du G7 sera à Camp David.

Il n’y a pas de quoi causer une telle tempête internationale. Faut-il rappeler que la chef de cabinet de Jean Chrétien avait déjà traité Georges W. Bush de «moron»?

Là où le bât blesse, c’est la performance de notre premier ministre. Les rires, les grimaces, la surenchère, le spectacle quoi. Et oui, encore une fois, Justin Trudeau n’a pu résister à l’envie de se donner en spectacle.

Voyage en Inde, déguisement d’Aladin outrageant, bas fantaisistes avec ses complets, larmes à répétition, costume de Superman aux Communes, Justin Trudeau doit toujours être «plus».

Plus cool, plus indien que les Indiens, plus déguisé, plus féministe, plus empathique. Faut-il vraiment se surprendre qu’au cours du badinage d’une réception diplomatique il ait eu le besoin d’être «plus» pour épater la galerie?

Cette manie de toujours vouloir être le centre d’attention a déjà assez nui à l’image et la réputation de Justin Trudeau qu’on oserait croire qu’il a appris sa leçon. De toute évidence, c’est plus fort que lui.

Là où ça fait mal...

Un président normal se serait élevé au-dessus de la mêlée et balayé l’affaire du revers de la main. Mais Donald Trump dicte ses propres règles. Pyromane de la diplomatie, il n’a pu s’empêcher d’allumer le brasier. « He’s two-faced » a réagit le président.

A-t-il improvisé ou prémédité sa réaction? Chose certaine en accusant Justin Trudeau d’être «two-faced», il a frappé là où ça fait mal.

Plusieurs ont traduit le «two-faced» par «hypocrite» mais en anglais l’expression est plus nuancée. On pense davantage à «un visage à deux faces» ou de quelqu’un qui a l’habitude de tenir des doubles discours.

Et à ce sujet, même le chef du NPD a donné raison au président. Car voyez-vous, ce n’est pas la première fois que Justin Trudeau se fait prendre au jeu du double discours.

La politesse aux côtés de Donald Trump pour se moquer de lui ensuite, s’apparente aux appels à la réconciliation avec les Premières nations pour finalement se moquer de militants dénonçant l’empoisonnement au mercure de leur eau potable. Ça rejoint aussi, bien sûr, l’incontournable débat autour de son blackface en campagne électorale.

C’est une bien mauvaise habitude pour un premier ministre que de dire une chose et son contraire en public et en privé. Justin Trudeau y semble particulièrement enclin.

Quelles suites?

Difficile de prévoir les conséquences de cet incident. Donald Trump est imprévisible et les deux hommes n’en sont pas à leur premier accrochage.

Mais le coût immédiat, lui, est indiscutable. Le Canada s’était donné pour mission de faire le pont entre les priorités divergentes des États-Unis et de ses alliés européens de l’OTAN. Le premier ministre a plutôt contribué à exacerber la méfiance du Président face à ces vieilles élites.

Personne ne demande à Justin Trudeau de s’écraser devant la personnalité intempestive du Président américain. Il s’agit juste de se conduire comme un chef de gouvernement, plutôt que comme un adolescent dans le vestiaire.

Malgré ses bonnes résolutions, Justin Trudeau nous laisse ainsi avec la triste impression de n’avoir pas su tirer les leçons nécessaires de l’élection et de son dernier mandat.

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