Un Montréalais est mort quelques heures après avoir quitté l’urgence de l’Institut de cardiologie. Il s’était découragé quand une employée lui a dit qu’il devrait payer 400 $ pour voir un médecin, car sa carte d’assurance maladie était expirée.
« C’est gênant [...] Chose certaine, [les médecins] l’auraient probablement gardé, soigné et peut-être sauvé », déplore le coroner Louis Normandin, qui a publié un rapport cet automne sur le décès d’Antonio De Felice, âgé de 57 ans.
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Le triste événement est survenu en février dernier à l’Institut de cardiologie de Montréal.
M. De Felice, connu pour ses problèmes cardiaques, s’est présenté en taxi à l’urgence parce qu’il ressentait des douleurs au thorax.
Mais avant même de voir une infirmière au triage, une agente administrative l’a avisé que sa carte d’assurance maladie était échue et qu’il devrait débourser 400 $ sur-le-champ pour être évalué, puis davantage pour les soins requis.
N’ayant pas cette somme sur lui, ni carte de crédit, il a quitté les lieux dans l’intention de corriger la situation le lendemain.
Or, il est mort d’un infarctus, selon l’autopsie. Il a été retrouvé inanimé dans son lit le lendemain par des paramédicaux, appelés par des proches inquiets d’être sans nouvelles de lui.

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Antonio De Felice
Des soins, peu importe !
Dans son rapport, le Dr Normandin recommande aux hôpitaux que « toute personne se présentant à leur urgence reçoive une évaluation médicale, peu importe l’état de sa carte d’assurance maladie ».
Selon lui, les bandes vidéo de l’établissement montrent que M. De Felice a hésité avant de partir, qu’il est resté à l’urgence un « certain moment ».
« Il avait l’intention d’avoir des soins, mais des considérations financières ont retardé la consultation », souligne-t-il.
Le coroner déplore que ce que le Montréalais a retenu de son échange avec une commis à l’entrée de l’urgence est le besoin de payer pour les soins, plutôt que la nécessité de voir un médecin pour les malaises qui l’incommodaient.
Remboursement possible
Contactée hier, une porte-parole de la Régie de l’assurance maladie du Québec a assuré que toute personne avec une carte expirée qui doit recevoir des soins est admissible à un remboursement, une fois la carte renouvelée.
Pour sa part, le ministère de la Santé et des Services sociaux a répondu qu’il a pris connaissance du contenu du rapport et prend acte de la recommandation du coroner. Il finalise un plan pour y répondre.
À l’Institut de cardiologie de Montréal, la porte-parole Sylvie Mireault a expliqué que divers aménagements ont été faits pour faciliter l’accès au triage. Elle a ajouté qu’un patient n’est jamais refusé, et ces règles ont été réitérées au personnel.
- Avec la collaboration d’Héloïse Archambault
Incompréhension pour ses proches et des organismes

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Paul Brunet, Protection des malades
Les proches d’Antonio De Felice sont encore abasourdis, même des mois après sa mort, ne comprenant pas qu’un hôpital lui ait d’abord parlé d’argent plutôt que de soins.
« Pour que Tony se rende en taxi à l’urgence, c’est parce qu’il ne feelait vraiment pas [...] Et si tu t’en vas à l’Institut de cardiologie, ce n’est pas parce que tu as mal à la tête », rage encore Precilla Bachelili, près d’un an plus tard.
Son fils de 13 ans vient de passer son premier Noël sans figure paternelle à ses côtés.
Une pensée crève-cœur alors qu’il a traversé une dernière année « extrêmement difficile » à la suite du décès soudain de son père, en février.
Mme Bachelili souligne que son ex-conjoint, avec qui elle était restée en très bons termes, avait déjà été opéré au cœur à l’Institut de cardiologie.
La famille est restée dans l’incompréhension totale à la suite du décès de M. De Felice, dit-elle, ne comprenant pas comment un hôpital l’a laissé partir sans l’évaluer.
Sa fille de 18 ans, Meagan De Felice, espère quant à elle que la recommandation du coroner sera suivie partout.
« Parce que la vie de quelqu’un peut être en jeu », insiste-t-elle.
En cette période des Fêtes, elle garde en mémoire le souvenir d’un père aimant et aimé.
Mission oubliée
« La mission première d’un hôpital, c’est de soigner le monde », renchérit le président du Conseil de la protection des malades, Paul Brunet.
« On est rendus tellement bureaucratisés qu’on a oublié pourquoi ça existe un hôpital », déplore-t-il.
Surtout, il se demande pourquoi on ne semble pas avoir demandé à voir le permis de conduire de M. De Felice ou une autre preuve de résidence au Québec.
« Une fois que tu prouves que tu es résident au Québec, il ne te manque plus grand-chose pour avoir des soins », souffle-t-il.
« C’est inacceptable », lance à son tour le président du Regroupement provincial des comités des usagers, Claude Ménard, appelant les hôpitaux à offrir d’abord l’ensemble des soins aux patients qui se présentent chez eux.