Près de la moitié des décrocheurs au Québec ont 15 ans et moins, a appris Le Journal. Un phénomène qui inquiète des experts.
« C’est préoccupant. Il y a de sérieuses questions à se poser sur le type de suivi qu’on donne à ces jeunes-là », affirme Égide Royer, professeur à l’Université Laval et expert en matière de décrochage scolaire.
Ces chiffres, obtenus par Le Journal auprès du ministère de l’Éducation, sont rendus publics pour la toute première fois.
Selon ces données provenant des 72 commissions scolaires, 4474 jeunes de 15 ans et moins étaient absents du réseau scolaire québécois durant l’année scolaire 2017-2018, alors qu’ils y étaient l’année précédente, ce qui représente 47 % de l’ensemble des décrocheurs au Québec.
Il s’agit du « nombre de sortants sans diplôme ni qualification », une mesure que Québec utilise pour déterminer le taux de décrochage.
Cet indicateur comprend les jeunes qui ont décroché, mais aussi ceux qui ne fréquentent plus le réseau scolaire québécois pour d’autres raisons (déménagement à l’extérieur de la province, scolarisation à la maison non déclarée, maladie grave ou décès). Leur nombre exact est toutefois impossible à déterminer, selon le ministère de l’Éducation.
Ces chiffres incluent aussi les élèves autochtones des trois commissions scolaires à statut particulier, où le taux de décrochage atteint des sommets.
Situation « questionnable »
Même si ces données doivent être utilisées « avec prudence », Michel Perron, professeur retraité de l’Université du Québec à Chicoutimi et du cégep de Jonquière, affirme, de son côté, que la situation est «questionnable» puisque l’école demeure légalement obligatoire jusqu’à 16 ans au Québec.
Alors que le taux de décrochage global est en baisse constante depuis dix ans au Québec, ces chiffres permettent de constater que la diminution s’est surtout fait sentir dans les rangs des élèves plus âgés, souligne-t-il.
Selon la Loi sur l’instruction publique, les directions d’écoles sont tenues de signaler à la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) tout élève de 15 ans et moins qui arrête d’aller à l’école pour des motifs non valables.
Or, en réalité, la DPJ n’intervient que très rarement pour ce type de signalement.
Élèves qui ont abandonné le réseau scolaire québécois selon l’âge (2017-2018)

*Ces chiffres comprennent des décrocheurs, mais aussi des élèves qui ont quitté l’école pour d’autres raisons (déménagement hors province, scolarisation à la maison non déclarée, maladie, décès, etc.).
**Sur le nombre total de jeunes qui ont abandonné le réseau scolaire.
Le taux de décrochage global est toutefois en baisse constante au Québec depuis une dizaine d’années, étant passé d’environ 20 % à 13 % pendant cette période.
Source : ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur
Peu d’interventions de la DPJ malgré des signalements
Les directions d’école font appel à la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) lorsqu’un élève de moins de 16 ans quitte l’école, mais les interventions sont très rares. C’est du moins ce qu’affirme Nicolas Prévost, président de la Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement (FQDE).
« Quand le jeune quitte l’école avant l’âge de 16 ans, on le signale à la DPJ. Je pense que ça se fait de façon systématique », affirme-t-il.
Mais dans la très grande majorité des cas, les signalements ne sont pas retenus s’il n’y a que la non-fréquentation scolaire qui entrave le développement de l’enfant, ajoute-t-il. « On a les pieds et les mains liés », lance M. Prévost.
Du côté de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, on indique que la DPJ est tenue d’évaluer tous les signalements impliquant une non-fréquentation scolaire selon des critères bien précis, afin de mieux comprendre quelles pourraient être les causes derrière cet abandon scolaire.
« On peut se demander où sont les parents pour supporter l’enfant dans son cheminement scolaire », indique sa vice-présidente, Suzanne Arpin, qui précise que ce sont les parents qui sont d’abord responsables de s’assurer que leur enfant fréquente l’école.
Le président de la FQDE, Nicolas Prévost, reconnaît quant à lui que le réseau scolaire pourrait en faire plus pour convaincre les jeunes qui ont décroché de retourner sur les bancs d’école.
Initiatives mises sur pied
Dans certaines commissions scolaires, des initiatives ont été mises en place afin d’intervenir spécifiquement auprès des élèves qui ont abandonné l’école, précise-t-il.
À la commission scolaire Pierre-Neveu, dans les Laurentides, une quinzaine d’intervenants sont réunis au sein d’un comité qui vise à offrir des services à ceux qui ont décroché afin qu’ils obtiennent un diplôme.