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Aide médicale à mourir et maladie psychiatrique: pourquoi avoir peur?

La levée de boucliers suscitée par la perspective que des personnes atteintes de maladies psychiatriques aient accès à l’aide médicale à mourir illustre à quel point cet enjeu demeure émotif pour nombre de Québécois.  

• À lire aussi: Plus besoin d’être en «fin de vie» pour obtenir l’aide à mourir  

Pourtant, la ministre de la Santé ne s’engage pas sur une pente glissante en maintenant la porte ouverte. Elle respecte simplement les jugements déjà très étoffés des tribunaux au fil des ans.  

L’histoire de E.F.  

Permettez-moi un petit détour.  

En 2016, alors que le Parlement fédéral débattait de la future loi sur l’aide médicale à mourir, la Cour suprême avait permis aux Canadiens d’en faire la demande, individuellement, aux tribunaux. L’objectif était simple: éviter que des patients continuent de souffrir sous prétexte que la classe politique s’était traîné les pieds suite au jugement Carter.  

C’est ainsi qu’en Alberta, une femme, E.F., a obtenu l’aide médicale à mourir, même si elle n’était pas en fin de vie, et que la seule maladie dont elle souffrait était une maladie psychiatrique.  

E.F. souffrait d’un trouble de conversion sévère. Elle ressentait spasmes et douleurs qui n’avaient aucune cause neurologique ou médicale connue. Ce type de douleur est de nature psychologique et survient généralement à la suite d'un stress émotif important. E.F. ne pouvait plus ouvrir les yeux, ne mangeait presque plus, était confinée à un fauteuil roulant. Elle jugeait n’avoir plus aucune qualité de vie et désirait mourir.  

Et donc, bien qu’elle ne souffre «que» d’une maladie psychiatrique, la Cour d’appel de l’Alberta l’a autorisée à recevoir l’aide médicale à mourir. Pourquoi? Parce qu’elle répondait aux critères établis par la Cour suprême. Elle était une adulte apte à donner son consentement éclairé, elle souffrait de problèmes de santé graves et incurables et éprouvait des souffrances persistantes et intolérables.  

Maladie mentale n’est pas inaptitude  

Qu’est ce que nous apprend cette histoire exceptionnelle?  

De un, elle nous rappelle que les patients souffrants de maladie psychiatriques ne sont pas systématiquement incapables d’offrir un consentement libre et éclairé quant aux soins qu’ils reçoivent.  

La bible des maladies mentales, le DSM-5 comporte près de 300 diagnostics psychiatriques. Tous ces patients ne sont pas inaptes, suicidaires ou psychotiques.  

Deuxièmement, la cause de E.F. illustre que le test établi par la Cour suprême est capable de protéger les patients vulnérables contre une décision mal éclairée quant au suicide assisté. Le critère essentiel est celui du consentement libre et éclairé à mettre fin à sa vie. C’est ce même critère que les gouvernements fédéral et québécois ont défini davantage dans leurs lois respectives.  

Car au Québec il faut être «majeure et apte à consentir aux soins» pour recevoir l’aide médicale à mourir. Au fédéral la personne doit «âgée d’au moins dix-huit ans et est capable de prendre des décisions en ce qui concerne sa santé». Le patient psychiatrique inapte est d’emblée exclu.  

Et ça ne s’arrête pas là. Pour se qualifier, le patient doit afficher un «déclin avancé et irréversible de ses capacités» et éprouver des «souffrances physiques ou psychiques constantes, insupportables et qui ne peuvent être apaisées dans des conditions qu’elle juge tolérables».  

Ce sont au moins deux médecins qui doivent attester que le patient répond à ces critères qui sont médicalement et légalement définis.  

Voilà pourquoi la Cour supérieure du Québec dans son jugement sur Jean Truchon et Nicole Gladu a clairement indiqué que la maladie psychiatrique ne devait pas être exclue. Car «ni l’arrêt Carter, ni la loi fédérale n’excluent les personnes souffrant d’une condition psychiatrique de la possibilité (...) de demander et de recevoir l’aide médicale à mourir. Ces personnes y deviennent donc admissibles, peu importe leur diagnostic officiel, du moment qu’elles sont jugées aptes par deux médecins indépendants et qu’elles satisfont aux autres exigences de la loi. »  

Confrontés à nos propres préjugés  

Finalement, le malaise que nous éprouvons face à l’idée qu’une personne qui souffre «juste» d’une maladie psychiatrique ait accès à l’aide médicale à mourir est le reflet de nos propres préjugés et de notre ignorance face à la maladie mentale.  

Car si nous faisons confiance au corps médical pour bien encadrer l’accès dans le cadre de maladies et de souffrances physiques, pourquoi ce même corps médical, appuyé de psychiatres (tel que l’envisage la ministre Danielle McCann) ne serait pas capable de naviguer les écueils du consentement éclairé et la maladie mentale?  

Cette levée de boucliers face aux maladies psychiatriques est d’autant plus surprenante que l’on évoque de plus en plus le consensus autour d’un débat éclairé autour des personnes atteintes d’Alzheimer!  

Il faut croire qu’en 2020, il y a encore des maladies acceptables et les autres...

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