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Elle défie encore la mort après le tsunami de 2004

Marie-Pier Deharnais

Courtoisie

Marie-Pier Desharnais avait 19 ans lorsqu’elle a miraculeusement survécu au tsunami de 2004 en Thaïlande. Victime d’un stress post-traumatique, elle a trouvé son salut en étudiant en gestion des désastres. Depuis, elle carbure aux défis et vit à 100 milles à l’heure. « Je veux croquer dans la vie », dit-elle, consciente que tout peut s’arrêter du jour au lendemain.     

«Le tsunami, ce n’était juste pas mon heure, explique en un souffle Marie-Pier Desharnais, aujourd’hui âgée de 34 ans. Il n’y a pas d’autre moyen de l’expliquer, car il n’y avait aucune chance que je sorte de cette chambre-là. »    

Partie voyager seule le sac au dos en Australie, la jeune femme originaire de Victoriaville s’est rendue à Phuket, en Thaïlande, où son père et sa conjointe l’ont rejoint pour passer les fêtes de Noël. Le 26 décembre devait être leur dernière journée ensemble.    

Réveillés en sursaut par un tremblement de terre vers 8 h le matin, Marie-Pier, son père et sa femme se sont levés pour aller déjeuner. Au restaurant, le père leur a fait part de son inquiétude, évoquant les raz-de-marée. Les filles lui ont répondu de ne pas s’en faire, se moquant même légèrement de lui.    

Le trio est retourné à la villa pour se mettre de la crème solaire. Ils rigolaient lorsque Marie-Pier a vu de l’eau boueuse entrer rapidement dans la chambre.    

« J’ai eu peur, j’ai crié : “Papa, Papa !”, en me précipitant vers la porte pour essayer de l’ouvrir, mais c’était vraiment difficile à contre-courant. Mon père est venu m’aider et nous a fait sortir. Ça s’est passé très vite. Quand on s’est rendu compte que sa femme n’était pas là, il a crié : “Viens, tu vas mourir !” Elle était au fond de la chambre, regardant ce qui passait sans savoir quoi faire. »    

Rapidement, l’eau a atteint le niveau de leurs aisselles.    

« Mon père et moi étions dehors, de l’autre côté de la porte vitrée. Sa femme est restée coincée avec son bras entre le pas de la porte et la porte. Je me suis retournée pour essayer de tirer la poignée. La vitre a craqué et ça m’a aspirée à l’intérieur. Toute l’eau est rentrée dans la villa. Mon père est parti d’un bord, sa femme de l’autre, moi j’étais prise dans l’eau jusqu’au plafond à travers les meubles, j’étais en train de me noyer. »    

La jeune femme se rappelle avoir, à ce moment, entrevu le fil de sa vie.    

« Si j’avais vu cela dans un film, j’aurais dit que ça ne se peut pas. Entre la première et la deuxième vague, toute l’eau est retournée vers la rive et ça m’a fait sortir de la villa. Je me rappelle m’être agrippée au toit du resto. Puis, je me suis comme réveillée, hébétée. Il y avait une femme qui criait “Mon bébé, j’ai perdu mon bébé !” »    

L’épaule ouverte et des blessures aux pieds, Marie-Pier est descendue du toit et s’est mise à marcher en direction du lobby de l’hôtel. Autour d’elle, il y avait des corps inertes.    

« Puis, j’ai vu mon père. Il criait : “Marie, tu es vivante !” Puis j’ai vu son visage changer et il a crié : “Vite, il en vient une autre” ! Je me suis juste retournée un peu et j’ai vu un mur d’eau noire arriver du large. Tout ce qui avait été détruit par la première vague était dans la deuxième. »    

Elle s’est mise à courir derrière son père qui a trouvé une échelle et l’a rejoint sur un toit lorsqu’a frappé la deuxième vague, puis une troisième. Son père a lancé à son amoureuse, grimpée dans un arbre, que s’ils s’en sortaient, ils se marieraient (ce que le couple a d’ailleurs fait à son retour).    

La panique après la troisième vague a séparé le trio. Un sauveteur a amené Marie-Pier à l’hôpital alors que son père et sa femme sont partis trouver refuge sur une montagne.    

« Tout le monde était affolé, se souvient-elle. C’était comme un peu surréel, ça semblait la fin du monde. »    

La famille est parvenue à se réunir le lendemain. « Mon père portait un t-shirt sur lequel il avait écrit : “Searching for Daughter Canada”. Il avait fait plusieurs hôpitaux pour me retrouver. On s’est serrés dans nos bras et on pleurait tous les deux. »    

Au sommet de Grunstein, en Allemagne, en octobre dernier.

Photo courtoisie

Au sommet de Grunstein, en Allemagne, en octobre dernier.

  

Donner un sens à la vie  

Le retour au Canada reste flou pour Marie-Pier. Elle a pris un mois pour soigner ses blessures puis est repartie en Australie, n’ayant « ni l’envie ni le temps de gérer tout cela ». « Quand mes proches essayaient de m’en parler, je ne le voulais pas vraiment. Ce n’était évidemment pas la bonne chose à faire. »    

Dans les mois qui ont suivi, elle faisait des cauchemars, refoulait le traumatisme. « J’ai souvent pensé que j’aurais dû crever, admet-elle. Je portais un poids immense sur mes épaules. Je n’arrivais pas à me trouver chanceuse d’avoir survécu. J’étais triste, choquée, en colère. »    

Elle a fait une thérapie durant un an. Puis, la lumière au bout du tunnel. Un cours en gestion de crise à l’université et un autre d’initiation aux phénomènes naturels ont enfin donné un sens à ce qu’elle avait vécu. Le nouveau programme de gestion des désastres l’a fait revivre.    

« C’était le chemin que je devais suivre pour donner un sens à ma vie, il me semblait. Je devais aider, par mon métier, à faire en sorte que nous soyons plus résilients face aux désastres. J’étais loin de me douter que ce serait un processus personnel de résilience qui débutait et qui me préparait à ma vie actuelle. Le tsunami a été le cataclysme à l’expérience de transformation la plus intense de ma vie. J’en ressens toujours les effets tangibles, mais aujourd’hui je m’en sers plutôt comme un carburant. »    

À Doha, au Qatar, en décembre dernier.

Photo courtoisie, rizphotosqa

À Doha, au Qatar, en décembre dernier.

Elle vit maintenant à Doha, au Qatar, où elle travaille dans ce domaine tout en poursuivant ses nombreux voyages.    

Toujours plus haut  

En septembre 2016, lors d’un voyage au Népal, la grande voyageuse a découvert le trekking qui est rapidement devenu une passion.    

« La synchronicité avec la nature, les défis, les gens passionnés avec qui on connecte dans ces périples et les rapports plus vrais et authentiques ; tout cela me faisait vibrer. »    

Lors d’un roadtrip à Petra, en Jordanie, en mars 2019.

Photo courtoisie

Lors d’un roadtrip à Petra, en Jordanie, en mars 2019.

C’est peu après qu’elle a décidé de commencer à gravir des montagnes. Après sa première randonnée au camp de base de l’Everest, elle s’est rendue au Kilimandjaro, dont elle a échoué la montée, effectuée trop rapidement, aux prises avec le mal de l’altitude.    

Entêtée, elle est retournée s’entraîner, mais surtout s’informer. Depuis, elle a effectué plusieurs autres ascensions. Sa relation avec la montagne a changé ; ce n’est plus tant d’atteindre le sommet qui l’allume, que le parcours, les rencontres, l’histoire et les moments passés ensemble.    

« J’ai toujours carburé aux défis, mais je pense que le tsunami et ses suites ont particulièrement contribué à forger mon état d’esprit actuel (aucun rêve n’est trop fou, absolument rien n’est impossible) et ma résilience individuelle : tous deux requis en expédition sur les hauts sommets. Une certaine humilité et un certain lâcher-prise aussi dans les situations où c’est la montagne qui décide. »    

La jeune femme est retournée monter le Kilimandjaro et a gravi, depuis, plusieurs montagnes et volcans dont l’Elbrous en Russie, le mont Denali en Alaska, le Carstensz en Indonésie et le Manaslu au Népal (la 8e plus haute montagne au monde). Elle s’apprête à conquérir cinq sommets d’envergure – dont le K2 et l’Everest – au courant de la prochaine année.    

« Ça m’a tellement chamboulée de me rendre compte aussi brutalement, à 19 ans, que tout peut s’éteindre à l’instant, que je crois que je suis dans une quête quotidienne de vivre le plus à fond possible. Je veux croquer dans la vie qui est absolument délicieuse, même si elle est parfois difficile. Si je peux inspirer qui que ce soit à vivre pleinement en fonçant dans la réalisation de ses rêves, alors mon cœur sourit. »   

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