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Catastrophe prévisible dans les CHSLD: le vérificateur général avait déjà sonné l'alarme... en 2012

Huit ans après le rapport du VG sur les services d’hébergement pour les personnes âgées, plusieurs choses n’ont pas changé.

Photo d’archives, Stevens Leblanc

Huit ans après le rapport du VG sur les services d’hébergement pour les personnes âgées, plusieurs choses n’ont pas changé.

Le vérificateur général a sévèrement critiqué la gestion des centres d’hébergement pour aînés en 2012, réclamant des changements pour assurer un environnement sécuritaire et des soins de qualité. Mais peu de choses ont changé.   

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La pandémie de COVID-19 qui s’abat dans les CHSLD a fait prendre conscience aux Québécois des piètres conditions dans lesquelles se trouvent nos personnes âgées.      

Depuis le début de la crise, les témoignages bouleversants se multiplient : manque de personnel, mesures de surveillance des établissements inadéquates, désuétude des infrastructures, services aux usagers dysfonctionnels, dossiers criminels pour certains propriétaires de CHSLD privés, etc.     

Or, les élus de l’Assemblée nationale et les dirigeants du système de santé étaient au courant de ces nombreuses déficiences.      

La sonnette d’alarme avait été activée dans un rapport du vérificateur général du Québec, Michel Samson, en 2012, alors que Marguerite Blais était ministre libérale responsable des Aînés et Yves Bolduc, ministre de la Santé.     

Peu satisfaisant  

Pas moins de quatre gouvernements se sont succédé depuis le dépôt du rapport pointant du doigt la négligence qui règne dans la gestion des services d’hébergement pour personnes âgées en perte d’autonomie.     

Au total, le vérificateur général avait émis 15 recommandations. De ce nombre, seulement 67 % ont donné lieu à des progrès jugés «satisfaisants».     

Le sous-ministre à la Santé qui était en poste à l’époque, Jacques Cotton, avait pourtant assuré qu’il y avait «un plan d’action élaboré en réponse à chacune des recommandations».   

Encore des efforts  

Contacté par notre Bureau d’enquête, l’ex-vérificateur général, Michel Samson, n’a pas voulu commenter le dossier huit ans plus tard.     

En 2013, M. Samson avait toutefois mentionné, devant la Commission de l’administration publique, qu’il restait encore des efforts importants à faire pour donner suite à l’ensemble de ses recommandations.      

«On va évidemment surveiller de près, pour voir les gestes qui vont être posés pour améliorer la situation», avait-il dit.     

En réponse au vérificateur, l’actuelle ministre de la Santé, Danielle McCann, qui était à l’époque PDG de l’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal, avait alors défendu la gestion de son organisation.      

«Beaucoup de choses ont été réalisées. Et nous pouvons en être fiers. Toutefois, nous sommes à une étape cruciale, et nous devons, avec l’ensemble des établissements, poursuivre le travail pour compléter cette transformation de nos services», avait-elle indiqué.     

Ce qui clochait, selon le VG     

Michel Samson

Photo d'archives, Jean-François

Michel Samson

Dans la gestion des ressources d’hébergement   

  • Le temps moyen quotidien pour les soins par usager variait de façon importante, soit de 7 à 29 minutes par usager, et les services différaient;     
  • En CHSLD, le quart des évaluations dataient de plus de 5 ans. Pour les autres types de ressources, l’information était non recensée;     
  • Les ressources d’hébergement existantes ne correspondaient pas toujours aux besoins des personnes âgées en perte d’autonomie. Parfois, l’utilisation des ressources était inadéquate;     
  • Le niveau de services offerts aux usagers et le taux de réponse aux besoins manquaient de précisions. Aucun renseignement sur la qualification des employés;     
  • Les établissements vérifiés ne disposaient pas de toute l’information requise pour effectuer une gestion efficace des ressources d’hébergement;     
  • Absence d’un portrait à jour de l’ensemble des personnes hébergées, incluant leur profil d’autonomie et leurs besoins, des services offerts par les établissements et de l’accès aux ressources d’hébergement;     
  • L’outil d’évaluation des usagers adopté par le MSSS en 2003 n’était pas toujours utilisé;     
  • Les listes d’attente comportaient des lacunes.          

Dans le contrôle de la qualité   

  • Pas d’assurance que l’ensemble des mesures de contrôle de la qualité permettaient une surveillance suffisante et adéquate de tous les types de ressources d’hébergement;     
  • Lacunes observées pour les visites ministérielles en CHSLD et en ressources intermédiaires : contrôle peu fréquent avec seulement 10 % des installations par année à l’époque;     
  • Agrément auprès du CSSS, mais pas de visite dans certains CHSLD des CSSS vérifiés;     
  • Aucune visite en ressources intermédiaires n’avait été faite depuis 2009;     
  • 85 % des résidences étaient certifiées;     
  • Non-respect des critères de certification observé;     
  • Visites annoncées;     
  • Plusieurs résidences privées pour aînés n’avaient pas les autorisations requises;     
  • Achats de places auprès de résidences privées n’ayant pas de permis;     
  • Pas d’intégration des résultats des différents contrôles;     
  • Absence de portrait global de la qualité de l’ensemble des ressources et pas de comparaison entre elles.          

Dans le financement des services d’hébergement   

  • Les modes de financement des services d’hébergement comportaient des disparités et ne tenaient pas suffisamment compte des besoins de la clientèle et des services requis;     
  • Le coût complet de chaque type d’hébergement n’était pas calculé par le ministère afin d’orienter les choix effectués;     
  • CHSLD : la contribution de l’usager et les règles servant à l’établir n’avaient pas été revues depuis plus de 15 ans.          

Ils se renvoient la balle      

Yves Bolduc  

Ministre de la Santé, 2008 à 2012   

Quebec, Assemblee nationale

Photo Stevens LeBlanc

Yves Bolduc assure que plusieurs mesures avaient déjà été mises en place pour régler les problèmes soulevés par le VG avant le départ des libéraux.   

« Les rapports du vérificateur général, on les prenait toujours au sérieux. Je me souviens très bien de ce rapport-là. Il avait été reçu très positivement de notre part. Le vérificateur avait fait une évaluation objective. Celui qui a dû répondre aux recommandations est Réjean Hébert et après ça, Gaétan Barrette », indique M. Bolduc.   

« Le rapport, ce qu’il dit, c’est que ça prenait plus d’outil pour mesurer. Il y avait beaucoup de patients qui n’étaient pas au bon endroit, principalement à Montréal. Il manquait de ressources intermédiaires alors on les avait dans nos CHSLD. Le profil de la clientèle s’est alourdi beaucoup dans les CHSLD au cours des années. Aujourd’hui, les gens dans les CHSLD sont super malades. On a développé des ressources intermédiaires. »   

Il admet cependant qu’il y a toujours place à l’amélioration. Selon lui, la cause de la crise actuelle dans les CHSLD est principalement dû au manque de main-d’œuvre. « Il y a moins de monde pour traiter. Ce n’était pas notre cas à l’époque. »  


Marguerite Blais  

Ministre responsable des Aînés, 2007 à 2012 et actuelle   

Photo Didier Debusschère

La ministre a décliné notre demande d’entrevue. Son cabinet a toutefois voulu spécifier que la ministre Marguerite Blais, lorsqu’elle était ministre des Aînés en 2012, n’avait pas la responsabilité de l’hébergement pour les aînés.   

« Elle était ministre des Aînés dans une optique de vieillissement actif, au sein du ministère de la Famille. Toute la question de l’hébergement et des soins de santé pour les aînés était de la responsabilité du ministère de la Santé. »   

Sa porte-parole, Marjaurie Côté-Boileau, mentionne que Mme Blais a pour la première fois la responsabilité des milieux de vie pour aînés, au sein du ministère de la Santé. « Nous ne souhaitons pas commenter la réforme passée ni faire le bilan des décisions qui ont été prises par les précédents gouvernements. Nous sommes dans l’action pour faire face à la crise actuelle afin de prendre soin des personnes hébergées et du personnel », a ajouté son attachée de presse.  


Réjean Hébert  

Ministre de la Santé, 2012 à 2014   

Réjean Hébert

Photo Jean-François Desgagnés

Quelques mois après le dépôt du rapport du vérificateur général, le Parti québécois a été élu. Le nouveau ministre de la Santé héritait du rapport du vérificateur général.
M. Hébert assure avoir mis en place plusieurs mesures et travaillé à la création d’une assurance autonomie des personnes âgées.  

« Il y avait des questionnements qui étaient demandés par le vérificateur général. J’ai demandé, c’est un portrait global de l’offre de lits en CHSLD public et privé, pour planifier les besoins futurs de la population dans le contexte de la mise en place de l’assurance autonomie qui aurait mis beaucoup plus l’emphase sur les soins à domicile et diminuer le recours à l’institution lorsque les personnes âgées sont en perte d’autonomie. Nous avions aussi mis en place un processus de visite d’appréciation ministérielle de la qualité. Ces visites-là étaient normées. Ils devaient faire rapport. »    


Gaétan Barrette  

Ministre de la Santé, 2014 à 2018   

Periode des questions

Photo Agence QMI, Simon Clark

L’ex-ministre de la Santé admet qu’il ne connaissait pas ce rapport du vérificateur général. « En 2012, je n’étais pas là. Je suis arrivé à une époque où les gens comme Réjean Hébert avaient diminué le nombre de places en CHSLD au profit du maintien à domicile. Moi, quand je suis arrivé, ma philosophie était de faire les deux », a mentionné l’ex-ministre de la Santé.   

Gaétan Barrette assure qu’il s’en allait dans la bonne direction, selon les budgets qui lui étaient alloués. Il affirme avoir augmenté par exemple les inspections et l’offre alimentaire. « J’ai arrêté la décroissance des places en CHSLD, je les ai augmentés. J’en ai fait construire. On s’est adressé à la problématique des ratios et des salaires du personnel et on a mis en place les meilleures pratiques en CHSLD et en maintient à domicile. Sauf que pour compléter le tout, ça demandait une suite dans le mandat d’après », a-t-il dit.   

« On était en train de le régler et là arrive la crise. » Il soutient qu’on ne peut pas juger la situation normale des CHSLD, en observant la situation durant la crise du coronavirus.     

Ce qu’ils disaient, un an après le dépôt du rapport...     

Un an après la publication du rapport, le 10 avril 2013, les acteurs principaux visés ont défendu leur gestion devant la Commission de l'administration publique et le vérificateur général.   

Voici quelques extraits :   

«Une mesure importante consiste à réaliser des visites d'évaluation en CHSLD. Parallèlement, nous procéderons à la révision du processus des visites d'évaluation afin de le bonifier. Le ministère a augmenté le nombre d'évaluateurs à six.»

«En ce qui a trait à l'évaluation des besoins de la clientèle, nous sommes conscients des améliorations qui doivent être apportées afin de répondre adéquatement aux nécessités occasionnées par la perte d'autonomie associée au vieillissement.»

«Il y a des endroits qui sont connus où on a, et on y travaille, où il y a un manque important de ressources intermédiaires (...) dans des régions spécifiques au Québec où il est évident que, dans l'offre de services, il faut ajouter des ressources intermédiaires.»   

– Jacques Cotton, sous-ministre à la Santé de l’époque  

«Je dois dire que nous avons pris très au sérieux la démarche de suivi du rapport du vérificateur. Ces recommandations viennent confirmer notre vision et nous donnent un levier supplémentaire pour compléter la réorganisation des services aux aînés.»

«Nos établissements investissent beaucoup d'efforts en matière de formation des employés pour maintenir et rehausser leurs compétences puisque les besoins sont de plus en plus complexes. Des actions sont également en cours pour favoriser l'attraction et la rétention du personnel en centres d'hébergement (...) Une des initiatives que nous prenons, c'est d'attirer et de retenir nos médecins en centre d'hébergement.»   

– Danielle McCann, alors PDG de l’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal  

«Quand on parle d'aînés vulnérables, on parle aussi de ces drames-là [...] Et, quand Mme McCann parle de rétention de personnel, c'est aussi les salaires qu'on propose au personnel. Le personnel bouge parce que c'est un milieu difficile.»   

– Marguerite Blais, qui siégeait dans l’opposition

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