La Floride attend avec impatience le retour des touristes québécois. La pandémie de COVID-19 retarde la décision de plusieurs d’entre eux. À l’approche des élections présidentielles, entre tensions raciales et crise sanitaire, J.E explore les différents enjeux de cet état du Sud dans le cadre d’un grand reportage.
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Il était midi le 11 septembre à l’Aéroport Montréal-Trudeau, cinq vols seulement étaient prévus vers les États-Unis d’ici la fin de la journée. Boston, Chicago, Détroit et deux départs sur Newark au New Jersey.
Aucun vol direct ne nous permettait d’atterrir en Floride, destination prisée par 3,5 millions de Canadiens chaque année. Le deuxième trimestre de 2020 a vu fondre l’achalandage de 97% à Montréal-Trudeau. La reprise est timide et l’industrie aérienne a changé : le masque chirurgical est obligatoire dans les aéroports et dans les avions.

Le passage à la douane américaine se fait en douceur. Nous remplissions un formulaire électronique qui nous demande si nous avons séjourné dans les pays hautement infectés par la COVID-19, comme la Chine. Le douanier ne pose aucune question supplémentaire liée à la pandémie mondiale. Tous les sièges sont vendus sur les deux vols que nous empruntons vers Fort Lauderdale.
La peur
Au menu: Homestead, Miami, Sunny Isle, Hollywood, Hallandale, Fort Lauderdale, Coral Springs, Coconut Creek, Dania. Le premier arrêt de notre périple de 1000 kilomètres dans le sud du Sunshine State s’effectue à Palm Beach.
L’avenue Worth qui enchaine les boutiques de luxe comme Chanel ou Salvatore Ferragamo est déserte et plusieurs annoncent des ventes de fermeture. Il faut dire que le commerce de détail écope de la COVID-19.

Plusieurs bannières populaires américaines comme J. Crew, Neiman Marcus et J.C. Penney se sont placées sous la protection du chapitre 11 de la loi sur les faillites.
Dans le cas du Stein Mart, magasin à rayons chouchou des snowbirds, c’est la fermeture complète.

«Je sens beaucoup d’inquiétude», affirme Marie Poupart qui gère la page Facebook «La Floride de Marie» suivie par plus de 37 0000 personnes.

«Je ne sais pas si la moitié d’entre eux va revenir. Les snowbirds ne savent plus sur quel pied danser. Peut-être qu’ils ont peur de ce qui va se passer ici au niveau des normes sanitaires ? Mais ce qui revient beaucoup, c’est la peur des manifestations. Qu’arrivera-t-il si Donald Trump est réélu? Y aura-t-il de la violence ? La Floride, ça reste encore assez violent», conclut-elle.
Déjà des départs
Les souhaits de la communauté d’affaires de la Floride risquent toutefois d’être difficiles à exaucer, surtout au milieu d’un quasi-confinement de 28 jours au Québec.
Une visite du Séville Mobile Home Park de Hallandale confirme que certains Québécois sont en train de vendre leur propriété. «Ils ne reviendront pas avant longtemps», affirme John qui travaille depuis plusieurs années comme concierge du parc de maisons mobiles.
L’état d’esprit des gestionnaires de l’endroit traduit une certaine peur de la pandémie. «Nous refusons de sortir [de l’immeuble] pour vous parler en raison de la pandémie ! Pas d’interview !», lance sèchement une dame à l’accent français qui nous enjoint également de quitter les lieux.
80 % d'indécis
Le dernier sondage sur les habitudes de voyage des snowbirds mené par CAA-Québec dévoile que :
92 % sont inquiets de la réponse des autorités américaines à la pandémie;
54 % des répondants souhaitent quitter le Québec cet hiver;
80 % des Québécois n’ont pas encore décidé s’ils voyageraient vers le Sud.
C’est cette dernière statistique qui fait peur au maire de Hollywood qui veut conserver sa part des 6,5 milliards de dollars par année laissés en Floride par les touristes canadiens.
«Nous aimons les Canadiens qui viennent ici», lance Josh Levy. «J’espère qu’ils comprennent que nous sommes ouverts, que nous avons le vent, la plage et le soleil. C’est plus sécuritaire sur la plage en temps de pandémie», argumente-t-il.

Le maire démocrate porte son couvre-visage même sur la plage et interpelle ceux qui déambulent sur le fameux Boardwalk où le masque est obligatoire. «S’il-vous-plait, portez votre couvre-visage. Prenez soin de vous et prenez soin des autres», lance-t-il à un septuagénaire qui ne le portait pas.
À la fameuse plage de South Beach, le masque est obligatoire sur la plage.

Une préposée s’assure que la consigne soit bien comprise par tous ceux qui viennent y prendre un bain de soleil.
Cependant, personne ne respecte le règlement.
Assurances
«Le gouverneur républicain Ron DeSantis a pris des décisions qui étaient très politisées. Ce n’étaient pas les bonnes décisions. On ne peut pas demander au gouvernement de gérer nos affaires comme il le faut. Alors, faites attention, observez les règles et informez-vous», conseille Denise Dumont, journaliste au Soleil de la Floride.
Selon elle, la deuxième vague du virus rendra plusieurs voyageurs réticents. Surtout pour les Québécois qui y effectuent un court séjour. Pour eux, la quarantaine obligatoire au retour au Canada risque de modifier leurs plans de voyage. C’est sans compter la question des assurances.
La Croix bleue du Québec et Médipac offrent maintenant des protections pour la COVID-19. Des compagnies aériennes comme Air Transat offrent aussi une police qui «couvre les frais médicaux d'urgence et de quarantaine si le virus est contracté pendant un voyage», valable pour 21 jours. Air Canada offre aussi un produit similaire.
L’Association canadienne des compagnies d'assurances de personnes recommande aux consommateurs de bien lire les polices d’assurance, car certaines peuvent contenir des exclusions qui pourraient compliquer le séjour à l’étranger.
Il faut «s’informer auprès de son assureur pour savoir si leur police couvrira les hospitalisations et les traitements qui résulteraient de la COVID-19», affirme la responsable des affaires publiques de l’association Dominique Biron-Bilodeau.
Perdants
Tous ne sont pas égaux devant le nouveau coronavirus. Le propriétaire du Motel Chez Richard fréquenté par plusieurs Québécois a perdu 1⁄4 de million de dollars depuis le début de la crise.

«Peut-être que les Québécois n’aimeront pas ça mes merci à monsieur Trump ! C’était la meilleure année que nous avons jamais eue jusqu’à la mi-mars où la propagation est arrivée. C'est tombé drette mort, tout le monde est parti et la misère a commencée» déplore-t-il.
Pour lui, le salut économique de la Floride semble passer par la réélection de Donald Trump.

«Toutes les villes qui sont contrôlées par des démocrates c’est le gros bordel, c’est la guerre dans les rues, le monde se tue», dénonce l’homme d’affaires qui possède maintenant la citoyenneté américaine.
Claudia D’anello et Enrico Di Buono, préparent des polpettes dans leur restaurant la Cucina de Fort Lauderdale. Cette recette de boulette italienne est importée du restaurant familial Magnani à Montréal, l’une des meilleures tables italiennes de la métropole. Le couple a tout laissé pour vivre le rêve américain en 2012, mais le nouveau coronavirus les plonge dans l’insécurité.

«On a eu peur de tout perdre et on a encore peur. On s’attendait à une bonne saison surtout avec les Québécois qui descendent... Mais là il n’y a personne qui descend. On est des survivants !» Lance Enrico entre deux gorgées de vin sicilien.
Gagnants
500 compagnies canadiennes et québécoises emploient 43 00 personnes en Floride sur une base annuelle. Patrick Galipeau fait partie des «gagnants» de la COVID-19.
Le vice-président d’Intermarine, une entreprise cofondée avec un autre Québécois, vend près de 50 % plus de bateaux qu’à l’habitude. Particulièrement des embarcations de taille moyenne à petites prisée par des familles.

On est loin du bateau à plus d’un million de dollars dans lequel nous sillonnons les canaux de Fort Lauderdale.
«Il y a eu un transfert du budget des Floridiens vers le secteur de la marine, affirme-t-il. La demande ne faiblit pas puis en plus, l’eau... Ça calme.»