En dépit de revenus et de profits en forte baisse depuis le début de la pandémie, Hydro-Québec n’entend procéder à aucune mise à pied. Ni même, laisse entendre Sophie Brochu, d’ordonner le moindre gel d’embauche.
À la tête de la société d’État depuis déjà six mois, Sophie Brochu se dit convaincue qu’une telle approche comptable, guidée par le simple souci d’équilibrer les dépenses avec des revenus en déclin, constituerait une grave erreur.
«Couper du monde et couper des dépenses, c’est l’affaire la plus facile à faire. Pourtant, dit-elle, on va faire exactement le contraire.»
Des centaines de millions
À deux semaines de la présentation de ses résultats du troisième trimestre, la première présidente et cheffe de la direction de l’histoire d’Hydro-Québec a déjà une bonne idée du gouffre que la COVID-19 aura créé dans les finances de la société.
Globalement, résume-t-elle, les ventes d’électricité ont diminué de 5% depuis le début de l’année. Si la consommation a crû, au contraire, dans les mêmes proportions dans le résidentiel (en raison du confinement), elle a chuté de 8% dans le commercial et l’institutionnel, et de près de 10% du côté de sa clientèle industrielle.
Déjà, on sait que les conséquences se feront sentir par centaines de millions de dollars dans les coffres du gouvernement. Au cours de l’étude des crédits d’août dernier, Sophie Brochu avait évoqué un manque à gagner de l’ordre de 600 M$ et fait des projections de bénéfices d’un peu plus de 2 G$. Cela représente une chute de 30%, comparativement aux 2,9 G$ de bénéfices de l’exercice précédent.
La réalité d’Hydro
Qu’à cela ne tienne, au cours d’une entrevue avec Le Journal, l’ex-PDG d’Énergir (anciennement Gaz Métro) a dit croire pouvoir faire face aux conséquences financières liées à la pandémie sans devoir couper dans les services ou son personnel.
«Écoutez, il y a [la possibilité de prendre] des décisions difficiles et la réalité. Or, la réalité d’Hydro-Québec est qu’elle est une société de service public, qui offre un service essentiel. Et à ce titre, tu ne peux pas te défiler en décidant un beau matin de couper ton monde et produire moins d’électricité.»
Hydro-Québec compte quelque 20 000 employés, syndiqués à 80%. Depuis le début de la pandémie, un peu plus de la moitié (11 000) d’entre eux, des employés de bureau pour l’essentiel, travaillent de leur domicile. Il en sera ainsi au moins jusqu’au 21 mars, confirme la direction.
«Tu ne peux pas commencer à mettre [ces gens-là] à pied. Au contraire, il faut s’assurer qu’ils seront à pied d’œuvre dès qu’on a besoin d’eux. C’est ce qu’on a fait quand on a été capable de reprendre les travaux sur les chantiers en juin. On a renvoyé tout le monde sur le terrain pour rattraper le temps perdu et travailler encore plus fort, [comme] s’il n’avait pas arrêté un instant.»
Contrôle des coûts
Celle qui a succédé à Éric Martel, parti diriger Bombardier, affirme que l’essentiel des efforts budgétaires d’une société comme Hydro-Québec passe d’abord par une gestion «extrêmement vigoureuse» des dépenses d’exploitation. «Je peux vous assurer que nous sommes extrêmement en contrôle de nos coûts.»
Sophie Brochu rappelle d’elle-même avoir décrété un gel de salaire de la haute direction au début de la pandémie. Des efforts ont aussi été imposés au personnel-cadre. Les bonis à la performance ont été éliminés pour l’année courante. «Tout ce qu’on était capable de faire, qui était intelligent et sensé, on l’a fait», dit-elle.
Hydro a par ailleurs décidé, assez rapidement au printemps, de maintenir ses commandites aux festivals et évènements, même si la grande majorité d’entre eux ont fini par être annulés pour cause sanitaire.
«Si on était une entreprise privée, avec un objectif de maximiser le bottom line, c’est le genre d’affaires qui seraient passées au bout du pont», dit Mme Brochu, soutenant qu’Hydro pouvait et devait savoir concilier «à la fois la tête et le cœur» dans l’ensemble de ses actions.
«Certes, nous sommes une source importante de revenus pour le gouvernement. Mais notre façon de contribuer à l’économie du Québec doit aller bien au-delà de la production de dividendes. »
C’est pourquoi, dit-elle, en cette époque où l’intuition pousse des dirigeants à vouloir réduire les dépenses, Hydro-Québec entend contribuer à la relance en faisant le contraire. «Et cette contribution à l’économie, on ne pourra la faire que si on a eu l’intelligence préalable de garder nos employés à l’ouvrage».
Questions en rafale
D’où viendra la croissance d’Hydro dans les prochaines années?
D’abord, tranquillement, le Québec va reprendre le sentier d’une croissance économique. Hydro en profitera. Mais ensuite, il n’y a pas de doute que les grands projets d’exportation sur lesquels on travaille aujourd’hui vont être des vecteurs nouveaux de contribution au bénéfice d’Hydro-Québec.
Vous semblez y croire beaucoup. De quels projets parlez-vous précisément?
Certainement. C’est pourquoi nous mettons tant d’efforts. Il y a d’abord le projet d’exportation vers le Massachusetts, en passant par le Maine. Ensuite, il y a cet autre projet d’une nouvelle ligne de transport qui irait, elle, jusqu’à New York.
Le contexte entourant ce dernier projet paraît favorable, n’est-ce pas?
Oui. Nous souhaitons profiter de l’annonce récente de l’État de New York de reconnaître la grande hydroélectricité comme une énergie verte et renouvelable pouvant bénéficier de crédits environnementaux. Ces crédits pourraient, si on réussit à négocier comme on le souhaite, supporter les coûts de construction d’une ligne additionnelle qui s’étendrait jusqu’à la ville de New York.
Quelle importance ont ces deux projets pour Hydro-Québec?
Il faut comprendre qu’on a développé des capacités de production électrique de quelque 5000 mégawatts depuis 15 ans. Mais il ne s’est pas construit de lignes de transmissions électriques depuis des décennies. Alors, si on est capable de construire deux nouvelles «autoroutes» pour transporter notre électricité, c’est certain qu’on va être en mesure de générer des ventes additionnelles qui pourront contribuer de façon importante aux bénéfices d’Hydro-Québec.