Paul Piché ne s’étonne pas du déclin du français à Montréal. Il estime que l’assimilation des Québécois est déjà en cours. «Si on ne réagit pas, si on ne se relève pas, il va arriver ce qui est arrivé à d’autres peuples», avertit-il.
Malgré ses paroles alarmistes, au bout du fil, le ton de l’artiste de 67 ans est posé. Il ne veut pas que les Québécois sombrent dans le désespoir, mais plutôt qu’ils relèvent les manches.
«On s’imagine toujours que l’assimilation, ça va venir plus tard, il reste que c’est en train de se passer. C’est le début de ça. Ça peut clairement se passer ici. Ce n’est pas parce que les Anglais sont méchants. C’est dans la nature humaine et des interactions entre sociétés : le plus grand nombre va noyer tout le monde. Il faut un effort de résistance.»
Paul Piché a fait cette déclaration lors d’un entretien avec Le Journal en marge de son concert en webdiffusion, vendredi soir, au Palais Montcalm de Québec, au cours duquel il jouera l’intégrale de son album Sur le chemin des incendies, paru en 1988.
Pire dans les années 1980
Il dresse justement un parallèle avec la situation du français durant les années 1980, qui était bien pire à ses yeux.
Un château de sable, une des nombreuses chansons à succès de cet album, traitait d’ailleurs de la fragilité de la langue française il y a trois décennies.
«Tout le mouvement nationaliste était à son plus bas. Même chanter en français, ce n’était pas évident. C’était out. Et chanter en québécois, c’était pire que chanter en français. Si tu venais de France, c’était mieux», se souvient celui qui parle d’un phénomène d’autorejet qu’il attribue à l’échec du premier référendum.
«C’était une décennie très à droite. Le nationalisme, le féminisme, ce furent des années très difficiles pour ces mouvements. Pour tout ce qui était progressiste, on avait le vent dans la face.»
Un envol laborieux
Écoulé à plus de 125 000 exemplaires grâce aux extraits J’appelle, Sur ma peau et Car je t’aime, l’album Sur le chemin des incendies avait d’ailleurs connu un envol laborieux.
«En partant, ça n’avait pas été si bien reçu. Quand j’avais fait le vidéoclip pour Un château de sable, avec le réalisateur Erik Canuel, qui était assez nationaliste comme moi, nous avions mis un petit drapeau du Québec. C’était un clip nationaliste. Les gens de la compagnie de disques ne trouvaient pas que c’était une bonne idée.»
«Nous avions, poursuit-il, essayé de sortir Car je t’aime à la radio, mais tout le monde l’avait refusé. On trouvait qu’elle n’était pas dans le ton, pas à la page. C’était l’époque à la suite du disco, du gros rock. Ce n’était pas le temps d’une ballade.»
Les gens de radio ont finalement ravalé leurs paroles puisque Car je t’aime a finalement été la chanson de Paul Piché la plus jouée de sa carrière sur les ondes hertziennes.
«On prêchait dans le désert»
La langue française n’était pas le seul cheval de bataille de Paul Piché quand il a créé Sur le chemin des incendies à la fin des années 1980. L’environnement, un sujet qui n’était pas vraiment à la mode dans le temps, l’inquiétait aussi.
«L’eau qui ruisselle après la pluie, n’a plus le même goût», chante Piché sur J’appelle, première des neuf chansons de l’album.
«En 1988, on prêchait dans le désert», se rappelle le chanteur.
«Je me souviens que j’essayais de convaincre des gens dans des partis politiques de prendre ça plus en main. Quant à la population en général, on aimait la nature, mais il ne fallait pas devenir fou avec ça. Nous n’avions pas cette conscience planétaire globale.»
Plus de trente ans plus tard, les choses ont évolué, se réjouit-il.
«C’est beaucoup plus fort. Au Québec, j’ai senti un changement important à partir du documentaire L’erreur boréale, de Richard Desjardins. Il y a eu un déclic.»
Un accouchement difficile
Paul Piché prendra le temps de discuter des chansons et de la conception de Sur le chemin des incendies lors de son concert virtuel, vendredi soir, au Palais Montcalm.
Il se rappelle que l’enregistrement n’avait pas été une sinécure. Le projet a même failli être abandonné en cours de route.
«Nous avions été obligés de tout recommencer. On ne trouvait pas le ton juste.»
Sur le chemin des incendies n’était pas d’emblée vu comme une œuvre à fort potentiel commercial, surtout que six des neuf titres durent plus de cinq minutes.
«On me disait que c’était trop long et d’essayer de les raccourcir, mais je n’y arrivais pas. Imagine, je répète le refrain de Sur ma peau quatre fois à la fin de la chanson. Même moi, quand je la fais en show aujourd’hui, je m’arrête à trois.»
Deux chansons, les mêmes mots
Autre particularité de cet album : l’utilisation des mêmes vers pour lancer les chansons Je lègue à la mer et Un château de sable : «Je lègue à la mer un château de sable. Un ruisseau creusé à même une fable.»
Le procédé, inusité, a été improvisé en studio, raconte Paul Piché.
«Ce n’était pas planifié du tout. J’ai d’abord composé Je lègue à la mer. En fait, je ne pensais même pas en faire une chanson. C’est un poème que j’écrivais pour moi-même. Pour le plaisir d’écrire des mots alors que j’étais sur le bord de la mer. C’était très existentialiste, ça parlait de ce qu’on laisse de notre vie. Pour moi, c’était un thème trop lourd pour en faire une chanson.»
«À un moment donné, quand je travaillais avec (les musiciens) Rick Haworth et Mario Légaré, on cherchait des sons, un décor pour les chansons. Rick est arrivé avec une musique qui me faisait penser à mon poème. Je me suis mis à chanter, à trouver des mélodies avec les mots. Finalement, on avait une sorte de chanson qu’on pensait qui ne jouerait jamais à la radio parce que c’était trop long, vaporeux et complexe.»
Mais ils l’ont fait pareil.
«On a continué de travailler et j’ai commencé une autre chanson avec les mêmes vers en me disant que ça pouvait s’appliquer à d’autres choses. Je lègue à la mer, ça concerne la personne, mais je trouvais que ça pouvait s’appliquer à un peuple et j’en suis venu à la culture du français.»
Un château de sable était née.
En concert le 27 novembre, sur le web en direct du Palais Montcalm, à 20h.