À la suite de la question de sa collègue députée, Emmanuella Lambropoulos, guillemets compris, la ministre responsable des Langues officielles, Mélanie Joly, a soutenu qu’ «on ne peut pas nier présentement qu’il y a un recul du français à Montréal et au pays. Les statistiques le démontrent.»
Le déclin de français serait donc devenu une vérité absolue, une religion statistique qu’on ne saurait contester sans risquer l’excommunication.
La réalité est pourtant beaucoup plus complexe que la ministre ne semble le dire. Dans son dernier Rapport sur l’évolution de la situation linguistique au Québec », publié l’an dernier (125 pages de statistiques!), l’Office québécois de la langue française trace un portrait très nuancé de la situation.
Recul?
Y a-t-il recul? Certaines données laissent penser que oui, mais plusieurs autres chiffres montrent ou bien la stabilité, ou bien le progrès des francophones, en particulier depuis la francisation des enfants immigrants mise en place par la loi 101.
Au plan de la langue maternelle, par exemple, il est vrai que la proportion de parlant français a glissé de 80,9% à 77% de 1996 à 2016. Cependant, cette diminution ne s’est pas faite au profit des anglophones, dont la proportion a aussi diminué, de 8,3% à 7,5%. Non, le glissement du français langue maternelle s’est fait au profit des « autres » langues, c’est-à-dire la langue maternelle des immigrants, qui évidemment n’ont pas perdu instantanément leur langue maternelle en arrivant au Québec. Leurs enfants, par contre, iront à l’école française.
Les données sur la langue de travail et la langue d’enseignement fournissent un portrait tout aussi nuancé. Là où le bât blesse, c’est au niveau de la langue d’accueil dans les commerces du centre-ville. L’enquête publiée par Le Journal de Montréal il y a quelques jours confirme les données recueillies par l’Office, selon lesquelles la proportion de commerces du centre-ville de Montréal où la clientèle est accueillie en français a diminué brutalement au cours des dernières années. Cette chute s’est produite en faveur de l’anglais et du « Bonjour – Hi ».
Tout dépend de quoi on parle...
On ne peut donc pas parler de déclin généralisé du français. Tout dépend de quoi on parle. Le gouvernement doit certainement agir pour que l’accueil de la clientèle dans les commerces se fasse d’abord en français. Mais ces difficultés au niveau des commerces ne justifient pas une offensive linguistique tous azimuts, même si une telle politique serait certainement populaire. Il faudra y penser à deux fois, par exemple, avant d’imposer la loi 101 aux entreprises de juridiction fédérale, alors que rien n’indique que le problème du « déclin » du français trouve sa source dans ce secteur qui regroupe moins de 4% des travailleurs de la province.
En somme, on ne peut pas parler de déclin du français au Québec sans mettre beaucoup de nuances. On devrait pouvoir dire cela sans être accusé de tous les maux. Certes, la situation du français chez nous demeurera toujours fragile, et la vigilance s’impose. Mais fragilité et déclin ne sont pas synonymes. Pour que les politiques en la matière continuent d’être bien avisées, il faut absolument autoriser, voire encourager les débats et les questionnements, même lorsque ceux-ci viennent avec des guillemets.
André Pratte
Ancien journaliste et sénateur, l’auteur est directeur de la firme nationale de gestion d’enjeux Navigator