Derrière les manchettes accablantes, il y a des êtres humains qui ont payé de leur vie la désorganisation et les manquements dans les CHSLD depuis que la COVID-19 s’y est infiltrée, donnant lieu à de véritables tragédies humaines.
Aussi sensible que troublant, le grand reportage Indignité, à voir sur Club illico, montre comment les CHSLD, avec leur manque de ressources, ont failli à leur tâche dans le contexte délicat du moment. Et comment la crise se préparait depuis longtemps déjà.
Dès le début de la pandémie au Québec, le journaliste Jules Richer, du Bureau d’enquête, a été appelé à rendre compte de la situation alarmante dans les CHSLD dans ses différents reportages : nombres de décès, établissements les plus touchés par la COVID, manque de personnel, etc.
L’été dernier, le sujet était toujours aussi brûlant, et la matière devenait – hélas – assez abondante pour la consigner dans un documentaire.
Une trentaine d’entrevues plus tard, filmées par le vidéoreporter Jean-Sébastien Lozeau et réalisées en distanciation entre les deux vagues de COVID (avec des proches endeuillés, des spécialistes, des préposées, la députée Véronique Hivon, co-auteure de la Loi concernant les soins de fin de vie, et trois anciens ministres de la Santé, Pauline Marois, Jean Rochon et Rémy Trudel, réunis en table ronde), le documentaire «Indignité» expose de cruelles réalités des CHSLD et en souligne les lacunes. Et il porte tristement bien son nom.

PHOTO COURTOISIE/ Club illico et Bureau d'enquête
«On se demande pourquoi c’est arrivé, soulève Jules Richer. Juste au printemps, on a eu autour de 3500 morts [dans les CHSLD]. C’est vraiment une tragédie sans précédent qu’on a vécue, au Québec. Ce sont les gens les plus vulnérables de la société qui en ont souffert, et souvent dans des conditions inhumaines, indignes.»
Impuissance
Les témoignages de gens ayant récemment perdu leurs parents alités dans des CHSLD, dans Indignité, sont crève-cœur. Tous ont été privés de contacts avec leurs proches souffrants et n’ont pu que constater, impuissants et déchirés, l’étendue des dégâts alors qu’il était impossible de revenir en arrière, et se sont parfois butés à du personnel sans grande compassion.
Outrée, Sylvie Nelson, présidente du Syndicat québécois des employées et employés de service de la FTQ, dénonce «l’improvisation» qui a donné lieu à beaucoup trop de catastrophes, et juge que le Québec n’a pas à se «péter les bretelles» de la façon dont il considère sa population du troisième âge. Matériel manquant sur le terrain, gestion centralisée par les «géants» que sont les CISSS et CIUSSS, piètres conditions de travail des «anges gardiens» : Sylvie Nelson ne mâche pas ses mots. Dans la même veine, le professeur et chercheur Louis Demers, de l’École nationale d’administration publique, mentionne que les directives désormais toutes centralisées ont entraîné beaucoup trop de morts inutiles.

PHOTO COURTOISIE/ Club illico et Bureau d'enquête
Puis, les ex-ministres péquistes de la Santé, Pauline Marois (1998-2001), Rémy Trudel (2001-2002) et Jean Rochon (1994-1998) se questionnent à voix haute, abordant tour à tour les notions d’actes manqués, de vieillissement de la population et de «ghettoïsation» des aînés. Une discussion que Jules Richer qualifie «d’éclairante», avec trois acteurs-clés du système, «qui ne se sont pas défilés de leurs responsabilités du passé.»
«Ils ont admis que le Québec a failli à la tâche. Pauline Marois nous dit, entre autres, que tous les gouvernements sont responsables de ce qui s’est passé au printemps dernier, parce que la crise de la COVID et des CHSLD était une crise annoncée. On savait déjà qu’il manquait de personnel, que le réseau était sous-équipé, et la question des pandémies n’était pas nouvelle, après la grippe H1N1 et le SRAS...»
Non, il n’était pas calculé que seuls les points de vue d’ex du Parti Québécois soient en lumière. Pointé du doigt dans le document pour sa réforme marquée par la fusion d’établissements, l’ex-ministre libéral Gaétan Barrette, qui a officié à la Santé de 2014 à 2018, a été invité à participer au débat. Il a décliné l’offre, tout comme l’actuelle ministre responsable des Aînés, Marguerite Blais.
Écoutez l'entrevue de Pierre Nantel avec le journaliste Jules Richer sur QUB radio:
Leçons à tirer
Quelles sont les leçons à tirer de l’hécatombe de 2020 dans les CHSLD? Il y en a deux, estime Jules Richer.
Ce dernier revient d’abord sur les institutions qui devront être mieux préparées aux autres pandémies qui viendront inévitablement dans le futur, et du rôle des préposés, qui devra être davantage valorisé. Puis, sur la façon dont on considère les aînés du Québec.
«On vit dans une société où ils sont mis de côté. Aussitôt qu’on passe un certain âge, on devient presque un poids dans la société. On le voit souvent dans la manière dont sont considérés les CHSLD. Dans l’esprit de certains, ce sont des endroits tristes, qui coûtent cher. Il y a un manque de dignité. Ce n’est pas juste une question de béton et de construire des maisons des aînés.»
Le grand reportage Indignité, du Bureau d’enquête, sera disponible sur Club illico le jeudi 3 décembre.