Même s’il était déjà un lecteur enthousiaste dès l’enfance et qu’il nourrit une passion pour l’écriture depuis l’adolescence, Michel Jean n’a pris la plume dans l’espoir d’être publié que dans la quarantaine. Depuis, il n’a de cesse de mettre en lumière ses origines innues. Son dernier roman, «Kukum», lui a valu le prestigieux Prix littéraire France-Québec. qu’il partage avec tous ses frères et soeurs autochtones.
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En ce jeudi après-midi, c’est jour de congé pour Michel Jean. Chef d’antenne le week-end à TVA et à LCN, il est aussi journaliste au Service des nouvelles en semaine. Nécessairement, depuis mars, il met les bouchées doubles. «Quand on est journaliste, notre travail est d’être au service du public pour l’aider à mieux comprendre son environnement, établit-il d’abord. Au cours de la dernière année, on a passé beaucoup de temps à chercher à comprendre et à expliquer aux gens. On a une responsabilité importante. Toutefois, ce n’était pas nécessairement toujours facile d’en parler chaque jour et de vivre ça au quotidien. Mais je retire beaucoup de satisfaction personnelle en essayant d’aider les gens.»
Comme journaliste, se rendre sur le terrain tout en respectant les consignes sanitaires vient avec son lot de contraintes. «La distanciation physique, ça signifie aussi que le caméraman et moi devons prendre deux véhicules. Le temps que je passe à conduire, je ne peux pas le consacrer à travailler. J’ai autant de reportages à livrer durant la journée, mais je dispose de moins de temps.»
Un jour, il se contente d’un sac de noix de cajous pour dîner, et le lendemain son lunch est un sac de fromage en grains. «Les gens pensent que la télé est glamour, mais elle ne l’est pas du tout.»
Durant les week-ends, à son poste de chef d’antenne, Michel Jean n’a jamais autant bossé que durant les premiers mois de la pandémie. «Ce sont de longues, longues heures... Certains samedis et dimanches, je faisais des journées de huit heures. Un chef d’antenne ne fait jamais ça. Tu sors de là et ça te prend un verre de rosé. Tu es “scrap”. Mais je ne me plains pas. Quand on regarde les autres autour, on ferme notre gueule.»
N’empêche, la crise sanitaire a frappé notre homme sans qu’il voie venir le coup. «Je ne suis pas un gars anxieux, mais j’ai été trois mois sans pouvoir lire ou écrire. Habituellement, je lis tout le temps, mais je n’en étais plus capable. Travailler à la télé ne me dérangeait pas, mais j’étais dans l’écriture d’un roman et ça ne menait à rien.»
Michel ne peut établir la cause précise de cette léthargie. «Pourtant, je ne suis absolument pas d’un tempérament anxieux. Je suis zen. C’est mon sang autochtone, ça.»
Le déclic
En 2012, Michel Jean avait déjà deux romans derrière la cravate lorsqu’il a publié «Elle et nous», un récit inspiré de sa grand-mère, et qui constitue une œuvre charnière dans sa carrière d’auteur. Il en rappelle la genèse, qui passe par la quête de ses racines. «Je suis arrivé aux funérailles de ma grand-mère, et la cousine de ma mère, que je ne connaissais pas, est venue me voir. Elle m’a dit: “Il faut que je te parle. Michel, l’Indien, tu l’as en toi.” Je lui ai répondu que c’était une belle phrase, mais je lui ai demandé ce qu’elle voulait dire. Elle m’a dit qu’elle s’était souvent retrouvée dans des situations où tout le monde était énervé, et elle a ajouté: “Toi, tu es toujours calme.” Ça m’avait frappé, parce que c’est vrai que je suis comme ça. Je pensais que c’était un trait de caractère, mais elle m’a dit que c’était plutôt un trait culturel.»
Ces quelques minutes de conversation ont littéralement changé sa vie. «C’est à ce moment que ma démarche de réappropriation culturelle a commencé. Ça m’a amené à me rapprocher de la branche autochtone de ma famille et à trouver des réponses aux questions que j’avais.»
Ses origines innues, Michel Jean ne les a jamais reniées, mais il ne les a pas nécessairement claironnées à chaque étape de sa vie. «Je n’en parlais pas beaucoup parce qu’enfant, à Alma, je m’étais tellement fait écœurer! Je grandissais dans une ville où nous étions la seule famille autochtone... On n’en parlait pas ouvertement, mais j’avais tout le temps plein de questions.»
Ses amis, de l’école primaire à l’université, savaient. Puis il s’est fait discret en entrant sur le marché du travail. «De un, à l’époque, ce n’était pas quelque chose de glamour. De deux, je ne voulais pas qu’on dise que j’avais eu une job parce qu’on avait besoin d’un autochtone. Mais, à partir du moment où j’ai fait une réflexion personnelle, j’ai commencé à le dire.» Et à l’écrire!
L’espace public
Michel Jean se défend d’être militant. Mais il s’assume et revendique. «Si je le dis aujourd’hui, c’est parce que j’ai l’impression qu’on n’est pas présents dans l’espace public. Dans les médias écrits, il y a Marie-Michèle Sioui au Devoir et, dans la presse électronique, il y a moi. J’en parle pour dire aux autres que c’est possible.»
De la même façon, il se réjouit que le Gala de l’ADISQ attribue, depuis 2019, le Félix de l’artiste autochtone de l’année. Mais, avant, il avait été profondément touché de voir une des siennes obtenir un rôle d’importance dans une télésérie millionnaire. «Quand j’ai vu Natasha Kanapé Fontaine dans “Unité 9”, j’ai pleuré. J’ai pensé à la petite fille de Pessamit qui voit un personnage autochtone joué par une autochtone. C’est gros! Ce n’est pas arrivé souvent.»
De la même façon, il constate que les salles de nouvelles font aujourd’hui preuve d’une plus grande ouverture. «Il y en avait moins avant. Dans toutes les salles de nouvelles où j’ai travaillé, j’ai entendu la phrase classique: “Les histoires d’Indiens, ça n’intéresse personne.”» Les choses ont changé.
Un honneur prestigieux
À travers ses romans, Michel Jean a pour objectif de faire ressentir aux lecteurs ce que les Autochtones ont vécu. «Je ne veux pas faire la morale. Quand on comprend ce que les gens ont vécu, on le ressent soi-même. Ensuite, je laisse les gens et leur bon jugement décider.»
Les gens ont décidé d’adopter «Kukum», son dernier roman. Celui-ci relate l’histoire de son arrière-grand-mère, Almanda Siméon qui, à 15 ans, quitte sa famille pour suivre son amoureux innu, Thomas, dans les bois. Paru en 2019, le bouquin était, la semaine dernière, en 11e place des “best-sellers”. Les ventes ont connu un nouveau souffle ces dernières semaines, quand le roman a valu à Michel Jean le convoité Prix littéraire France-Québec. «Quand je l’ai appris, j’ai pleuré pendant 15 minutes. Ce prix, je l’ai accepté pour tous les Autochtones. Sur le plan personnel, ça me touche, parce que ça fait longtemps que j’écris. “Kukum” n’a été retenu pour aucun prix au Québec, mais il a été finaliste pour deux prix en France, et il en a gagné un.»
En recevant cet honneur, il pense aux siens. «Je suis content pour les Autochtones de chez nous, parce que ça veut dire qu’on peut prendre une histoire d’ici et trouver un public outre-Atlantique qui trouve ça assez bon pour lui attribuer un prix important.»
Qui a dit: «Les histoires d’Indiens, ça n’intéresse personne»? L’auteur précise que l’intérêt des Européens pour Kukum n’a rien de folklorique. «À travers les témoignages que je reçois des lecteurs, je comprends que c’est la question de l’autodétermination des peuples et des droits des Autochtones qui les interpelle. Je crois que ça va mettre une pression sur le Canada pour régler des choses. Ils s’intéressent beaucoup à ce que font les divers paliers de gouvernements ici.»
La France lui ouvre les bras
Le Prix France-Québec lui sera officiellement remis au Salon du livre de Paris en mai prochain. Cette cérémonie coïncidera avec la parution, là-bas, du roman «Le vent en parle encore», sorti ici en 2013. Mais ça ne s’arrête pas là! «Je vais faire le tour de la France et présenter “Kukum” dans les différentes communautés. La personne responsable du prix me dit qu’il y a une grosse demande.»
Déjà, un lycée français a fait du livre une lecture obligatoire pour tous les élèves qui fréquentent les classes équivalant à notre niveau secondaire. Ailleurs, des professeurs l’ont inscrit à leur programme. L’an prochain, Michel ira les saluer et discuter avec eux. Entre-temps, chez nous, la Commission scolaire de La Jonquière a inscrit le roman au programme des élèves du secondaire.
Il y a fort à parier que “Kukum” aura d’autres vies. Son auteur nous confie: «Dix minutes après avoir gagné le prix, un producteur s’est montré intéressé. Téléfilm ou télésérie? Je ne sais pas. On est en train de négocier le contrat. À l’écran, ce serait la première fois qu’on raconterait notre histoire d’un point de vue autochtone.» Et de cette nouvelle étape, Michel Jean est aussi heureux qu’ému.
Publié chez Libre Expression, «Kukum» est en vente partout.