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Natation artistique Canada: un appel à l’aide ignoré à l'époque

La situation était devenue tellement intenable que les nageuses de l’équipe canadienne ont tenté de pousser l’entraîneuse-chef Julie Sauvé vers la sortie à seulement quelques mois de Jeux olympiques de Londres en 2012.

« En contactant la direction de Natation artistique Canada [NAC] pour demander le départ de Julie [Mme Sauvé est décédée le 7 avril dernier] à six mois des Jeux, nous étions suffisamment confiantes de mieux faire à Londres sans elle, a confié Chloé Isaac. Nous avons joué une grosse carte, mais nous étions prêtes à tout. Nous avons tenté le tout pour le tout, mais nous n’avons pas été entendues. »

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La demande des nageuses est demeurée lettre morte.

« On s’est senties complètement abandonnées, a affirmé Isaac, dont l’équipe a pris le quatrième rang aux Jeux. De façon formelle, nous avions contacté le président de NAC pour lui faire part des problèmes et on s’attendait à un changement. Au retour à l’entraînement, je ressentais la même détresse. J’ai décidé de poursuivre quelques mois de plus en me disant que tout serait réglé après les Jeux.

« C’est triste comme constat, mais j’étais rendue à ce point. »

Les abus ont continué  

Dans la demande d’action collective concernant cet événement, on peut lire ceci : « Parce qu’elles étaient craintives et stressées de passer six semaines en camp d’entraînement avec elle, les nageuses ont demandé que l’entraîneure soit congédiée ou qu’il y ait un rappel à l’ordre. La présidente Catherine Gosselin-Després a ajouté quelqu’un au personnel, mais les abus ont continué. » 

En juin, les parents d’Erin Willson et de Chloé Isaac ont contacté le NAC pour déplorer les méthodes de Sauvé. Voici ce qu’on retrouve dans les documents déposés à la cour, mardi : « Après les Olympiques, Erin Willson a quitté pour des raisons médicales après avoir été diagnostiquée souffrant d’anxiété, de dépression et de troubles alimentaires. Willson devait quitter pour six mois, mais la nouvelle entraîneure Meng Chen a exigé qu’elle revienne après trois mois si elle voulait participer au championnat mondial de 2013, en ajoutant que Willson devait perdre du poids pour retrouver un physique d’athlète. Elle s’est retirée peu de temps après à l’âge de 24 ans. »

Huit ans après sa retraite, Willson consulte encore un psychologue. Étudiante au doctorat en kinésiologie, ses recherches portent sur les abus dans le sport.

« J’admire Erin, a exprimé Isaac. C’est une femme exceptionnelle qui a dédié ses études à cette cause. Même si je connaissais son histoire, ce fut vraiment difficile quand j’ai entendu son témoignage ce matin [mardi]. Ce fut éprouvant et ça m’a rappelé des souvenirs douloureux. »

Amertume  

Isaac n’a pas gardé un bon souvenir de son expérience olympique.

« J’ai ressenti de l’amertume parce que ce ne fut pas à la hauteur de mes attentes sur place, a-t-elle raconté. Quand les gens me questionnent, j’ai de la difficulté à raconter mon expérience olympique. Ils s’attendent à ce que j’aie vécu une expérience formidable, mais je n’ai pas apprécié. C’est déjà difficile de vivre une année olympique en raison de la pression qu’on s’impose même quand tu es bien entourée, ce qui n’était pas notre cas. »

Isaac espère que les prochaines générations de nageuses n’auront pas à vivre pareille expérience.

« C’est un très, très beau sport et c’est pourquoi on a pris les moyens pour le changer. Ça ne peut plus durer. J’espère que d’autres filles vont suivre notre exemple. J’ai des craintes pour les filles de l’édition actuelle et j’espère qu’elles ne vivront pas de représailles. » 

De la négligence qui laisse des séquelles  

Gabrielle Boisvert a gardé des séquelles d’une commotion cérébrale mal soignée qui l’a menée à la retraite en 2018.

Victime d’une commotion cérébrale dont l’impact a été si violent qu’il a cassé ses lunettes quelques semaines avant la présentation des championnats mondiaux en 2017, Boisvert aurait reçu un ultimatum de l’entraîneuse Leslie Sproule.

« Elle m’a dit que si je n’étais pas à cent pour cent dans les cinq prochains jours, elle me mettrait dehors de l’équipe, que mon temps serait terminé a-t-elle raconté. C’était impossible puisque je devais suivre sept étapes de 24 heures avant de reprendre la compétition. Ce fut une semaine horrible. Des adjointes étaient présentes, tout comme la directrice de la haute performance, et personne n’a dit un mot. »

Contre son gré  

En plus de brusquer son retour, Sproule aurait obligé Boisvert à demeurer avec l’équipe après avoir reçu son coup.

« Au lieu de m’isoler, il a fallu que je suive l’entraînement pendant neuf heures sur le bord de la piscine à la chaleur et avec la musique, ce qui est contraire à la façon de faire dans le cas d’une blessure à la tête, en plus de subir les regards désapprobateurs de l’entraîneure, a-t-elle indiqué. J’ai écrit aux dirigeants pour les informer, mais je n’ai pas reçu une réponse satisfaisante. J’ai lancé plusieurs appels à l’aide au cours de ma carrière et à ma retraite pour faire changer les choses, sans succès. Natation artistique Canada sait ce qui se passe, mais ne bouge pas. »

Oubliée  

Boisvert n’a pas participé aux championnats mondiaux et s’est retrouvée sans aide pour dénicher des ressources au moment de sa retraite.

« Je n’étais pas à l’aise de revenir à la compétition et je ne voulais pas mettre ma vie en danger, et celle de mes coéquipières. À mon retour après les deux compétitions, c’est comme si je n’existais plus aux yeux de Natation artistique Canada. Ils avaient passé au suivant, ils m’avaient oubliée. J’ai dû trouver mes propres ressources pour essayer d’aller mieux. Je subis encore aujourd’hui les conséquences de cette négligence avec plusieurs symptômes résiduels. » 

Impliquée comme entraîneuse, Boisvert tenait à participer au recours collectif.

« Je vois encore le positif dans le sport et j’aime encore la synchro. J’entraîne pour changer cette culture. Le problème, c’est que j’entraîne des juniors, les prochaines filles qui vont aller dans l’équipe nationale. Je me sens coupable de les faire progresser, sachant que c’est le cauchemar que j’ai vécu qui les attend. Ce n’est pas normal que je ressente ce sentiment. »

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