On peut dire qu’ils ont été piégés par la COVID-19. De nombreux artistes québécois ont lancé des albums, en janvier et en février 2020, sans se douter une seule seconde que tous leurs plans allaient tomber à l’eau quand le premier ministre François Legault a mis le Québec sur pause, en mars, à cause de la prolifération du coronavirus.
Oubliez les tournées et les entrevues pour promouvoir les nouvelles chansons. La pandémie a tout effacé.
« Ne pas pouvoir défendre mes chansons en show, c’est dommage. Ce n’est pas un coup d’épée dans l’eau, mais quasiment », partage Ludovick Bourgeois, qui a lancé son album 2 le 7 février.
Quand le duo 2Frères a lancé À tous les vents le 21 février, tous les espoirs étaient permis. Sur la lancée de l’immense succès remporté par leurs albums précédents, Érik et Sonny Caouette voyaient grand.
« Nous avions mis le paquet pour la tournée. On avait un code vestimentaire, un décor, une mise en scène. Nous avions hâte de la faire », raconte Érik Caouette.
Même après l’annonce du premier confinement, ils demeuraient optimistes. « Nous étions loin de nous douter que ça allait durer aussi longtemps », se souvient-il.
Et pourtant. Les mois ont passé et, à l’exception de quelques concerts en cinéparc, l’été dernier, et de quelques apparitions télé, leurs chansons, comme celles de plusieurs autres artistes québécois qui ont sorti un album au début 2020, n’ont pu connaître la vie sur scène que leurs créateurs espéraient.
Donner de l’amour aux chansons
Le choc a été aussi brutal pour Marie-Pierre Arthur. Son album Des feux pour voir avait été reçu par un concert de louanges à sa parution, le 24 janvier.
Elle s’apprêtait à partir en tournée et se trouvait même en pleine répétition quand le premier ministre a décrété la pause générale.
« C’était son destin. Plus de chansons de cet album ne seront allées au bout de leur potentiel », philosophe-t-elle, en racontant que, contrairement à ses albums précédents, qu’elle ne réécoute jamais, Des feux pour voir l’a accompagnée pendant les premiers mois du confinement.
« Je l’ai écouté full. On dirait que je ne pouvais pas le laisser tomber, que je ne pouvais pas l’abandonner de même. »
Même sentiment pour Rosie Valland, qui avait de grandes ambitions quand elle a lancé Blue, le 28 février.
« J’ai passé la dernière année à faire mon deuil. Rapidement, j’ai compris que ça allait tomber dans le vide et que je ne pouvais rien y faire. À la fin 2020, j’ai fait le EP Bleu (reprises piano-voix des pièces de Blue). C’était ma façon de redonner de l’amour à mes chansons et ça m’aidée à tourner la page. »
Impact sur les ventes
Étant donné que l’industrie musicale souffrait déjà à cause de la croissance des plateformes d’écoute en ligne, il est difficile de quantifier les pertes de ventes encourues à cause de la COVID-19.
Pour Ludovick Bourgeois, c’est néanmoins une évidence : la pandémie a accéléré le déclin. « Nous avons gagné trois ou quatre ans de déclin en douze mois », estime le chanteur.
Malgré 15 000 exemplaires vendus, un score honorable, mais loin de leurs standards, « c’est presque un album qui va passer dans le beurre », se désole Érik Caouette.
Marie-Pierre Arthur a opté pour la stratégie du déni. « Je me tiens loin des chiffres en ce moment parce que c’est challengeant pour rien. »
Elle n’est sûrement pas la seule.
12 DATES MARQUANTES
12 mars 2020 : Interdiction des événements intérieurs de plus de 250 personnes.
15 mars 2020 : Fermeture des salles de spectacles.
7 avril 2020 : Tous les festivals de Montréal sont annulés.
9 avril 2020 : Le Festival d’été de Québec annule son édition.
10 mai 2020 : Présentation du spectacle télé Une chance qu’on s’a.
19 juin 2020 : Marc Dupré inaugure la série de concerts Musiparc. Au cours de l’été, des artistes se produisent devant un public confiné à son véhicule.
22 juin 2020 : Réouverture des salles, avec 50 personnes maximum.
23 juin 2020 : Le traditionnel spectacle de la Fête nationale est présenté sans public, en direct de l’Amphithéâtre Cogeco de Trois-Rivières.
1 octobre 2020 : Une nouvelle hausse des cas de coronavirus incite le gouvernement à fermer de nouveau les salles de spectacles dans trois zones rouges : Montréal, la Capitale-Nationale et Chaudière-Appalaches. Le reste du Québec subira le même sort en vue de la période des Fêtes.
1 novembre 2020 : Malgré la pandémie, le Gala de l’ADISQ a quand même lieu devant un parterre restreint.
8 février 2021 : Après une longue pause, les spectacles peuvent reprendre dans six régions qui basculent en orange. Le reste du Québec, à l’exception du grand Montréal, les rejoint un mois plus tard.
11 mars 2021 : Fred Pellerin (Palais Montcalm) et Roch Voisine (Capitole) font partie des premiers artistes à remonter sur scène à Québec.
Ils ont été surpris par la pandémie

Photos courtoisie
24 janvier : Des feux pour voir, Marie-Pierre Arthur
31 janvier : J’connais rien à l’astronomie, Dany Placard
31 janvier : Fruit-Dieu, Fuudge
31 janvier : Horizon, Mon Doux Saigneur
7 février : 2, Ludovick Bourgeois
7 février : Tu ne mourras pas, Maude Audet
7 février : Les duos de Gen, Geneviève Leclerc
14 février : Florence, Florence K
21 février : À tous les vents, 2 Frères
21 février : Weird Ones, Matt Holubowski
28 février : Blue, Rosie Valland
28 février : Boîte aux lettres, Les Hay Babies
28 février : Les Deuxluxes, Lighter Fluid
28 février : Homme objet, Luis Clavis
6 mars : Dire combien je t’aime, Luce Dufault
13 mars : Mémoires, Foisy
13 mars : Broderie, Olivier Bélisle
Certains artistes se sont remis à l’écriture

Photo Agence QMI, Mario Beauregard
Ludovick Bourgeois
À défaut de pouvoir partir en tournée avec leurs nouvelles chansons, des artistes qui ont été piégés par la pandémie se sont remis à l’écriture plus tôt que prévu.
« Je suis rendu au prochain album. Il va arriver plus vite qu’on pense », annonce Ludovick Bourgeois, qui se voit déjà en compléter l’écriture pendant sa prochaine tournée, contrairement à son habitude.
« Je suis en mode écriture, indique Rosie Valland. J’ai envie de revenir rapidement avec du nouveau matériel. »
Chez 2 Frères, « des discussions sont en cours », révèle Érik Caouette, tandis que Marie-Pierre Arthur estime commencer « à avoir plus d’espace pour imaginer d’autres musiques » maintenant qu’elle est moins sous le choc.
Chansons pandémiques ?
À savoir si leurs nouvelles compositions seront teintées de tout ce que nous avons vécu durant la dernière année, les avis divergent.
Érik Caouette est dans le camp du oui. « Qu’on le veuille ou non, nous sommes tous confinés. Nous vivons tous de la solitude, du stress comme nous n’en avons pas vécu avant dans notre vie. Ce sont toutes des affaires qu’on ne comprend pas. C’est certain qu’au moment de se remettre en mode créatif pour refaire des chansons, ça va ressortir. »
Marie-Pierre Arthur abonde. « Je n’en reviens pas à chaque fois de constater que même si ce n’est pas ce que je choisis d’écrire, l’émotion associée au dernier vécu est là. »
Rosie Valland met des bémols. « On le sait, ce qu’on vient de vivre. Je n’ai pas envie de chanter ça », tranche-t-elle.
« Je pense qu’on a besoin d’entendre d’autres choses. Quand j’écoute de la musique, ça me fait du bien qu’on me transporte dans une ambiance qui n’en est pas une de fin du monde. »
La principale différence, croit-elle, sera dans ses ambitions. « J’ai appris à avoir moins d’attentes quand je sors quelque chose ».
Une période difficile
« Ce que j’ai trouvé tough, c’est que j’avais pris une longue pause avant cet album pour des raisons familiales. Je pesais sur le gaz pour reprendre de l’élan et tout a arrêté d’un coup sec. »
– Marie-Pierre Arthur
« Si on passe directement à une autre tournée, ça me ferait de la peine de voir qu’il y a des chansons qu’on n’aura presque pas jouées sur scène. C’est tellement d’investissement, faire un album, et déjà, aujourd’hui, on consomme rapidement. Les albums passent plus vite et ce sera encore plus vite cette fois. »
– Érik Caouette
« Je vis des hauts et des bas. Il y a des jours que je me sens au sommet du monde, tout va bien, je suis chanceux, je suis le premier dans la file pour repartir les spectacles. D’autres jours, je me trouve inutile, renfermé chez nous. »
– Ludovick Bourgeois
« Nous avions décidé de faire le lancement un mois après la sortie de l’album parce qu’il y avait un bon écart avec mon album précédent. On voulait prendre le temps de faire la promo. J’étais en pleine préproduction quand tout s’est arrêté. Je n’ai même pas pu construire mon show au complet. C’était beaucoup de deuils. »
– Rosie Valland