La perspective de retourner au théâtre ou dans une salle de spectacle, de prendre l’avion ou de renouer avec les foules, après la pandémie, en enchante plusieurs, sûrement la majorité, mais cette idée de se retrouver dans un lieu public, entouré de centaines de personnes, en effraie d’autres. Une hantise tout à fait compréhensible.
En raison d’une condition médicale à risque, Mélanie Boulet n’est pas à l’aise avec la possibilité de retourner s’enfermer dans une salle avec plusieurs dizaines de personnes.
«En ce moment, j’ai la vie d’une agoraphobe hypocondriaque, confie-t-elle. J’ai reçu un diagnostic d’asthme, en novembre dernier, suite à un problème de toux sévère et permanente qui durait depuis plusieurs années. Ce diagnostic a fait augmenter mon anxiété face à la possibilité d’attraper la COVID.»
Elle était donc plutôt contente quand le gouvernement a fermé toutes les portes des commerces à l’aube du congé des fêtes.
«J’étais quand même angoissée au début de l’année, lorsque j’ai dû retourner travailler, car je ne peux pas faire de télétravail. Heureusement, je suis dans un bureau fermé et je n’en sors presque pas. On a des masques et on respecte tout le protocole. Ce n’est pas si pire au travail, d’autant plus que je suis à temps partiel.»
Tester ses limites
Pour la psychologue Geneviève Beaulieu-Pelletier, qui est aussi professeure associée à l’UQAM, la crainte de sortir et de se retrouver en situation risquée est normale dans le contexte actuel.
«Dans la dernière année, beaucoup de peurs ont été créées, car toutes les directives qu’on entendait venaient activer l’anxiété et le stress. On a inconsciemment créé des nouvelles représentations d’une vie où le fait d’être en contact avec les autres pouvait être risqué. On ne s’en sort pas du jour au lendemain. Il va falloir recréer de nouvelles représentations de ce que sont les relations interpersonnelles.»
Mélanie Boulet a en outre développé d’autres craintes dans la foulée de la pandémie.
«J’ai aussi peur des foules. Ça s’est développé avec ma peur du virus. J’ai l’impression que, plus il y a de monde, et plus j’ai de chances de l’attraper, même si tout le monde porte un masque.»
Elle a toutefois osé tester ses limites. En entrevue, elle raconte avoir été récemment au cinéma pour voir un film qu’elle voulait absolument découvrir sur grand écran.
«J’ai choisi la représentation où il y aurait le moins de monde, et c’est bien tombé, car on était seulement cinq dans la salle. J’étais confiante que les règles sanitaires soient respectées et que c’était sécuritaire.»
Son stress semble toutefois plus profond que la simple peur de tester positive à la COVID.
«J’ai surtout peur de mourir si j’attrape le virus. Je fais donc extrêmement attention et je contrains aussi mon "chum" à suivre des règles plus strictes que la normale. J’ai hâte d’être vaccinée, je vais être plus prompte à faire des activités sociales après avoir reçu les deux doses. J’ai super hâte d’aller voir des spectacles, de voir mes amis et de sortir, mais ce n’est juste pas possible pour le moment.»
Conséquences à long terme
Mais la psychologue Geneviève Beaulieu-Pelletier prévient que, même lorsque la pandémie sera derrière nous, les conséquences de ce qu’on a vécu ne s’effaceront pas automatiquement.
«Il y a des blessures qui ont été créées et qui vont prendre un certain temps à se résorber. Quand on parle, par exemple, de toutes les séparations, des conflits familiaux, de la maltraitance, tout ça aura des répercussions à plus ou moins long terme. L’anxiété et la dépression sont aussi des symptômes qui peuvent perdurer longtemps, surtout si on les jumelle avec la difficulté d’accès aux soins psychologiques, comme c’est le cas actuellement.»
Apprivoiser son stress
Le temps de récupération, suite à un stress intense comme celui qu’on a collectivement vécu dans la dernière année, est propre à chacun. Pour tenter d’avancer vers la guérison, Geneviève Beaulieu-Pelletier conseille d’y aller pas à pas.
«Il y a une indulgence et une compassion à avoir avec soi-même. Il faut y aller graduellement, à son rythme. On peut commencer par sortir avec une ou deux personnes à l’extérieur, par exemple.»
La clé est aussi de comprendre qu’on n’est pas seul à vivre cette crainte de reprendre une vie presque comme avant.
«Il y a beaucoup de gens qui étaient bien dans le confinement, avec moins de pression sociale. Les interactions sociales au quotidien ne sont pas faciles pour tout le monde, c’est exigeant. Retourner à ces relations peut être plus difficile pour certains.»