Les dizaines de milliers de ventilateurs médicaux commandés à grands frais par le gouvernement Trudeau ne trouvent pas preneur auprès des provinces, à cause de l’évolution des traitements contre la COVID-19.
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« On utilise beaucoup moins la ventilation mécanique. Au début, on intubait plus prématurément qu’à l’heure actuelle », explique le Dr Michel de Marchie, intensiviste à l’Hôpital général juif de Montréal.
Le médecin juge que les ventilateurs sont maintenant une « solution de dernier recours », en raison de leur impact sévère sur les poumons et l’état général des patients. On préfère employer davantage les canules nasales à haut débit d’oxygène, précise-t-il.
Résultat : jusqu’ici, seulement 500 des 27 000 ventilateurs achetés par Ottawa ont été distribués, dont à peine huit au Québec.
Les appareils restants risquent donc de dormir longtemps dans les entrepôts fédéraux.
Le ministère de la Santé du Québec a précisé à notre Bureau d’enquête qu’il attendait encore 50 autres unités de la réserve fédérale, mais pas davantage.
Vaste opération
À la fin du mois de mars 2020, le gouvernement Trudeau, inquiet de la tournure de la pandémie, a lancé une ambitieuse opération d’achat d’équipements médicaux. On a alors commandé 40 000 ventilateurs au prix de 1,1 milliard $, que plusieurs croyaient alors essentiels pour traiter la COVID-19. 27 000 appareils ont été reçus à ce jour.
Certains manufacturiers canadiens, sans expérience dans le domaine, se sont portés volontaires pour en produire, non sans déclencher la controverse.
Ainsi, une firme appartenant à un ancien député libéral depuis peu, Frank Baylis, a obtenu un contrat en sous-traitance pour fabriquer 10 000 appareils à fort prix, ce qui a entraîné des accusations de favoritisme de la part des partis d’opposition aux Communes.
Récemment, une responsable de l’Agence de la santé publique du Canada, Cindy Evans, a révélé, lors d’une comparution en comité parlementaire, que seulement 500 des ventilateurs avaient été envoyés aux provinces.
Production canadienne
De son côté, la ministre des Services publics et de l’Approvisionnement, Anita Anand, a défendu le processus d’attribution des contrats de ventilateurs en affirmant qu’il visait à soutenir une capacité de production d’équipements médicaux au Canada.
Le député conservateur Pierre Paul-Hus, lui, estime que le gouvernement Trudeau a carrément fait erreur. Il n’a pas hésité à parler de la « stupidité de la commande initiale » des ventilateurs.
Il soutient qu’Ottawa devrait faire tout en son pouvoir pour annuler les livraisons restantes.
Toutefois, Mme Anand n’a pu dire si cette option était possible pour le moment.
- 40 000 ventilateurs médicaux commandés par Ottawa
- 27 000 livrés jusqu’à maintenant
- 8 distribués au Québec
- 1,1 milliard $ coût total du programme
- 10 000 ventilateurs fabriqués et livrés par Baylis Médicale, propriété d’un ex-député libéral
- 237 millions $ pour le contrat signé pour les ventilateurs de Baylis
Sources : gouvernements du Québec et du Canada
«On a besoin de la meilleure qualité sur le marché ; pas des ventilateurs de transport ou militaires. »
–Le Dr François Marquis, chef du Service des soins intensifs de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont, à Montréal
«Là, on a des ventilateurs pour les 60 prochaines années. »
–Le député conservateur Pierre Paul-Hus, en comité parlementaire
«On s’est aussi rendu compte que pour l’essoufflement, les difficultés respiratoires [liées à la COVID-19], il y avait une composante anxieuse. »
–Le Dr Michel de Marchie, intensiviste à l’Hôpital général juif de Montréal
«Nous avions des contrats avec les compagnies de ventilateurs et nous [en] avons reçu une partie significative. Nous poursuivons les discussions avec elles concernant les appareils pas encore reçus. »
–Anita Anand, ministre des Services publics et de l’Approvisionnement
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De l’équipement pas suffisamment perfectionné
Le chef du Service des soins intensifs de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont, le Dr François Marquis, estime qu’Ottawa a fait fausse route en achetant un grand nombre de ventilateurs d’entrée de gamme.
À son avis, pour affronter la pandémie, on avait besoin de moins de ventilateurs, mais davantage d’appareils de haut niveau.
« On a réalisé qu’une grande partie des patients COVID n’avaient pas à se faire intuber », a-t-il expliqué.
Et que, quand cela était nécessaire, il fallait des appareils sophistiqués.
« Ils n’ont pas besoin d’un petit ventilateur qui pousse de l’air, ils ont besoin d’une Ferrari », dit le médecin.
Ces appareils sont dotés de logiciels perfectionnés permettant de contrôler précisément l’arrivée d’air aux poumons.
« Ce n’est pas un caprice de docteur, la technologie de ces machines fait toute la différence », note François Marquis.
Dans cette catégorie
Plusieurs des ventilateurs commandés par le fédéral tombent justement dans la catégorie des « ventilateurs qui poussent de l’air » décrite par le médecin.
C’est le cas des appareils produits par la compagnie Baylis Médicale, qui appartient à l’ancien député libéral Frank Baylis.
Il s’agit de copies produites avec autorisation du modèle PB560, fabriqué par le géant mondial Medtronic. C’est le modèle d’entrée de gamme de la compagnie.
Ottawa a acheté 10 000 de ces unités, qui ont toutes été livrées au prix de 237 millions $. Selon les estimations de notre Bureau d’enquête, le fédéral a payé presque deux fois le prix habituel de ces appareils.
C'EST LA PANIQUE MONDIALE
- Le Canada n’est pas le seul à s’être précipité pour acheter des ventilateurs.
- Plusieurs autres pays ont cru que ces appareils constituaient la principale ligne de défense contre la COVID-19 pour les patients qui étaient gravement touchés par la maladie.
- Ainsi, le Royaume-Uni a commandé 26 000 ventilateurs au tout début de la pandémie, pour environ un milliard $.
- Selon le quotidien The Washington Post, seulement quelques centaines d’unités ont été utilisées.
- Un comité parlementaire britannique s’est penché sur la question en novembre dernier et a conclu que le gouvernement avait mal évalué l’évolution des besoins pour les ventilateurs.