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Des avortements tardifs faits au Québec à cause de la COVID

La fermeture de la frontière américaine a obligé le réseau de la santé à offrir le service d’avortement de troisième trimestre au Québec. Les interruptions de grossesse effectuées après 23 semaines doivent se faire à l’hôpital, et non en clinique.

Photo d’archives

La fermeture de la frontière américaine a obligé le réseau de la santé à offrir le service d’avortement de troisième trimestre au Québec. Les interruptions de grossesse effectuées après 23 semaines doivent se faire à l’hôpital, et non en clinique.

La pandémie a obligé le réseau de la santé à offrir le service d’avortements tardifs aux Québécoises, un véritable casse-tête pour les soignants qui font face à un climat hostile.

«À chaque cas, on change d’hôpital. C’est un bordel effrayant, avoue un gestionnaire du dossier, qui a requis l’anonymat pour éviter des représailles. Ce n’est pas facile de développer le service rapidement.»

Bien que l’avortement soit un droit sans restriction au Canada, les Québécoises qui voulaient interrompre une grossesse après 23 semaines étaient depuis longtemps envoyées aux États-Unis aux frais du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS).

La raison? Aucun hôpital ne voulait offrir le service ici. Or, la fermeture de la frontière au sud, en mars 2020, a obligé le réseau à traiter ces femmes.

Entre avril 2020 et mars 2021, 36 Québécoises ont subi une interruption volontaire de grossesse (IVG) de troisième trimestre, selon les données du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) du Centre-Sud-de-l’île-de-Montréal.

Il s’agit d’un bond important, puisque la moyenne annuelle est de 20. 

En 2021-2022, 15 femmes ont déjà reçu ce service, signe que la hausse se poursuit. 

Et ces chiffres n’incluent que les patientes qui sont passées par ce CIUSSS (le plus gros centre de services à Montréal). Quant au MSSS, il ne compile pas ces données.  

Angoisse et perte d’emploi

Angoisse, perte d’emploi, peur: la pandémie explique en partie la hausse, selon le spécialiste qui s’est confié au Journal.

«Le nombre [de demandes] a frappé tout le monde. [...] Avec le temps, la tension monte, les problèmes arrivent. Le couple ne veut pas avoir un enfant dans ces conditions», décrit-il.

D’autre part, une panoplie de raisons expliquent aussi ce choix très difficile: malformation du fœtus, problème de drogue, détresse familiale, etc.

Ces femmes, qui proviennent de tous les milieux, reçoivent d’ailleurs un service psychosocial.

Seulement huit médecins

Par ailleurs, seulement huit médecins font ces avortements au Québec.

Malgré les difficultés à convaincre les hôpitaux d’accepter les femmes, toutes les demandes ont été traitées jusqu’ici, assure le gestionnaire.

Pour lui, l’option américaine doit être écartée pour de bon. «Ça n’a pas de bon sens. Il faut qu’on s’organise comme il faut.»

Avant la pandémie, le premier ministre François Legault avait dit vouloir que le service d’IVG tardives soit offert au Québec.

Le MSSS évalue le dossier, mais aucun échéancier n’est prévu. Si cela se concrétise, plusieurs hôpitaux offriraient le service.

Les IVG du troisième trimestre sont rares au Québec et représentent moins de 0,1 % du total annuel.

Des médecins intimidés par leurs collègues  

Les médecins qui pratiquent les avortements tardifs souhaitent pouvoir soigner les femmes sans tabou et sans être intimidés par des collègues.

«On va respecter votre objection de conscience de ne pas le faire, mais respectez la conscience des médecins qui le font. Il faut arrêter l’ostracisation des gens qui le font», réclame un gestionnaire du dossier des interruptions volontaires de grossesses (IVG) tardives au Québec, qui a requis l’anonymat.

«Stigmatisés» 

En 2018, un rapport du Collège des médecins du Québec soulignait que les services offerts au Québec « laissent à désirer », et qu’il est inacceptable que des hôpitaux limitent l’accès à l’IVG. 

«Cette intervention demeure marginale, et les intervenants qui la pratiquent sont stigmatisés, voire intimidés», lit-on.

Avant la pandémie, les rares IVG tardives pratiquées ici concernaient des malformations congénitales ou des femmes qui ne pouvaient pas voyager aux États-Unis.

Au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), on assure que si les IVG tardives sont rapatriées pour de bon au Québec, les médecins n’auront pas l’obligation d’en faire.

«Nous travaillons en proche collaboration avec les médecins spécialement formés à cette fin», écrit le porte--parole du MSSS Robert Maranda.

Tout à fait légal

Selon le gestionnaire, les médecins et les infirmières qui pratiquent ces IVG doivent souvent faire face à des commentaires disgracieux de collègues, et certains pensent même que la pratique est illégale.

«Ces gens-là ne comprennent pas le libre choix de la femme», résume le spécialiste.

«Ça soulève toutes sortes de réactions, ce qui est normal. C’est très tabou, et c’est pour ça que le travail est de sensibiliser et d’informer correctement les milieux médicaux», ajoute-t-il.

De plus, le deuil périnatal des femmes qui ont eu recours à cette IVG n’est souvent pas reconnu.

«C’est parfois refusé ou questionné. C’est comme un clivage, elles n’ont pas droit aux mêmes services que les autres», déplore-t-il. 

Avortements de troisième trimestre au Québec   

- 2018-2019: 21*  

- 2019-2020: 19*  

- 2020-2021: 36  

- 2021-2022: 15**   

*Les femmes ont reçu le service aux États-Unis, sauf une 

**du 1er avril au 27 juillet dernier 

Source: CIUSSS du Centre-Sud-de-l’île-de-Montréal