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Campus francophone en Alberta: incapables d’étudier en français

Chiara Concini et Joannie Fogue Mgamgne auraient souhaité compléter l’ensemble de leur baccalauréat en français. Mais les compressions imposées par le gouvernement provincial les obligeront à suivre une partie de leurs cours en anglais.

Photo Patrick Bellerose

Chiara Concini et Joannie Fogue Mgamgne auraient souhaité compléter l’ensemble de leur baccalauréat en français. Mais les compressions imposées par le gouvernement provincial les obligeront à suivre une partie de leurs cours en anglais.

La communauté francophone albertaine implore les partis fédéraux d’assurer la survie du seul campus de langue française à l’ouest du Manitoba, mis en péril par les compressions de la province. Déjà, des étudiants sont contraints de poursuivre leur parcours universitaire dans la langue de Shakespeare. 

Joannie Fogue Mgamgne et Chiara Concini espéraient compléter leur programme de science politique en français. La première devra plutôt suivre trois de ses cinq cours en anglais cet automne, tandis que la seconde sait déjà qu’une partie de sa formation ne sera plus offerte dans la langue de Molière. 

Les deux jeunes femmes, respectivement présidente et vice-présidente externe de l’Association des universitaires de la Faculté Saint-Jean, craignent pour l’avenir de la communauté francophone si l’institution venait à disparaître. 

«Je crains qu’il y ait un exode des cerveaux», dit Chiara Concini, qui songe elle-même à s’exiler à Ottawa pour poursuivre ses études en droit. 

L’avenir du campus Saint-Jean de l’Université de l’Alberta est en péril depuis que le gouvernement Kenney a annoncé d’importantes compressions en éducation supérieure. Celles-ci touchent l’ensemble des universités, mais l’impact est ressenti plus fortement dans la petite faculté francophone d’environ 600 étudiants, qui a dû retrancher 20% de ses cours. 

<strong>Heather McPherson</strong><br>Députée, NPD

Photo Patrick Bellerose

Heather McPherson
Députée, NPD

«On est en danger de perdre le campus, il ne faut pas se faire d’illusion, il y a un véritable risque», prévient Heather McPherson, députée néo-démocrate d’Edmonton Strathcona, qui mène la charge à Ottawa pour sauver l’institution située dans sa circonscription. 

Au cœur de la communauté

Le campus centenaire est pourtant essentiel à la communauté francophone de l’Ouest. «Si les gens veulent poursuivre leurs études en français, ils n’ont pas d’autre choix. C’est le seul endroit», explique la présidente de l’Association canadienne-française de l’Alberta, Sheila Risbud. 

Mais surtout, c’est là que sont formés les futurs professeurs de français qui iront enseigner dans les écoles de l’Alberta et des provinces avoisinantes. «On a déjà une pénurie d’enseignants qualifiés pour enseigner en français, poursuit Mme Risbud. Alors, les coupures risquent d’avoir des répercussions sur la qualité et l’offre d’enseignement en français dans nos écoles.» 

Les psychologues et infirmières qui y obtiennent un diplôme pourront offrir des services de santé dans la langue de la minorité. «On l’a vu, avec la COVID-19, à quel point c’est important de pouvoir être soigné dans notre langue», souligne Valérie Lapointe-Gagnon, professeure d’histoire au campus Saint-Jean, spécialisée dans l’histoire de la francophonie canadienne. 

Pour Heather McPherson, le gouvernement fédéral doit intervenir, même si le financement des universités relève des provinces. 

L’élue néo-démocrate fait valoir que l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés protège le droit des minorités francophones et anglophones de faire instruire leurs enfants dans leur langue. «On ne peut pas remplir nos obligations prévues par la Charte si nous n’avons pas ce campus. Donc, il y a un rôle du fédéral dans ce dossier», fait valoir Mme McPherson, en rappelant que la plupart des enseignants de langue française y sont formés. 

Communauté en croissance

Loin d’être en déclin, la communauté de quelque 87 000 francophones en Alberta a grossi d’environ 27% de 2006 à 2016. 

C’est, notamment, dû à l’immigration attirée par le boom pétrolier, majoritairement de l’Afrique de l’Ouest. Originaire du Cameroun, Joannie Fogue Mgamgne était heureuse de poursuivre ses études en français. Sans ce campus, elle se serait «forcément» intégrée à la communauté anglophone, dit-elle. 

À ses côtés, Chiara Concini est née de parents anglophones. C’est par choix qu’elle a poursuivi ses études en français. «Je veux rester en Alberta, je veux étudier en français... mais c’est impossible», déplore-t-elle. 

Solution temporaire

Tant l’association étudiante que l’Association canadienne-française de l’Alberta demandent maintenant aux partis fédéraux de s’engager à trouver un financement à long terme. 

Déjà, les libéraux ont proposé de couvrir jusqu’à 95% d’un financement additionnel pour la première année, puis 75% la deuxième, mais il s’agit d’une solution «temporaire», soulignent les deux associations. 

Le Parti conservateur du Canada, lui, promet 30 millions$ par année pour les établissements d’enseignement postsecondaires francophones du pays. 

Pour sa part, le Nouveau Parti démocratique s’engage à remettre 15 millions$ en aide d’urgence, avant de tenter de s’entendre avec le gouvernement provincial pour revoir le financement du campus.