Justin Trudeau a promis gros. Garderies, santé, logement, environnement, réconciliation... la facture totale s’élève à 78 milliards $, selon sa plateforme électorale. Pour financer tout ça, il faudra beaucoup d’argent.
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Le programme libéral prévoit trois fois moins de revenus que de dépenses sur cinq ans, soit à peine 25 milliards $ de nouvelles recettes, notamment via une nouvelle taxe sur les banques et les plus riches.
Or, « aller chercher de l’argent aux riches ça paraît bien politiquement, mais dans les faits, c’est très difficile à faire », prévient Robert Asselin, premier vice-président politiques publiques du Conseil canadien des affaires et ex-directeur des politiques et du budget du ministre des Finances.
« En général, ça marche un ou deux ans, et ensuite, ils trouvent un nouveau moyen pour évader l’impôt », renchérit Mostafa Askari, économiste en chef de l’Institut des finances publiques et de la démocratie, à l’Université d’Ottawa.
Faire le ménage des dépenses
Pour les deux experts, afin de financer ses coûteux programmes sociaux, le gouvernement doit absolument faire un examen de toutes ses dépenses afin de s’assurer qu’ils ne financent que des programmes nécessaires.
S’ils ne sont pas inquiets de l’impact des dépenses publiques sur l’inflation, qui pour le moment est essentiellement causée par des problèmes dans la chaîne d’approvisionnement en raison de la COVID-19, ils estiment par contre qu’Ottawa dépense mal.
« C’est dangereux de penser que les dépenses publiques en elles-mêmes vont stimuler l’économie, ce n’est pas le cas, prévient M.Asselin. Il faut des stratégies industrielles et des politiques d’innovation beaucoup plus ciblées pour faire croître nos entreprises dans des secteurs à croissance rapide. »
Générer de la croissance
Sans stratégie agressive pour générer de la richesse, les programmes sociaux vont rapidement vider les coffres de l’État et gonfler le déficit pharaonique. Mais les deux économistes sont sceptiques à l’égard des plans des libéraux, eux qui s’appuient beaucoup sur la COVID-19 pour justifier le ralentissement économique.
La croissance a certes pris un dur coup avec la pandémie et il sera impossible de remonter la pente tant que le virus ne sera pas vaincu. Mais l’économie n’a pas attendu la crise sanitaire pour donner du fil à retordre : le produit intérieur brut (PIB) par habitant du Canada n’a pas dépassé les 2 % depuis 2011.
« Si ça persiste, ça va éventuellement affecter nos standards de vie », s’inquiète M.Asselin.
Beaucoup de pays font face au même enjeu (voir graphique 1). Mais le Canada a un handicap de plus : le vieillissement de sa population plombe sa productivité et sa capacité d’innover.

À gauche, graphique 1 et à droite, graphique 2.
Pour pallier ce problème, M. Askari préconise un investissement massif et soutenu en infrastructure, en particulier dans l’internet haute vitesse et le secteur énergétique.
« C’est le type d’investissement qui aurait le plus gros impact sur notre productivité », dit-il.
Mais il prévient que l’impact sur la croissance ne sera pas instantané, mais pourrait se faire attendre une vingtaine d’années.
Un toit et une place en garderie pour tous
Le coût des services de garde et du logement creuse les poches des familles partout au pays. Si le gouvernement Trudeau parvenait à s’y attaquer, il ferait un pas de géant pour réduire le coût de la vie.
L’économiste Mostafa Askari, de l’Institut des finances publiques et de la démocratie, s’attend à ce qu’il avance rapidement sur le front des garderies pour en faire l’héritage de l’ère Trudeau.
Il souligne qu’en plus de soulager les familles, cette mesure stimulera la croissance en permettant à davantage de parents de travailler.
Paul Kershaw, professeur à l’Université de Colombie-Britannique, est lui aussi confiant de voir ce projet aboutir dans un avenir rapproché puisque les négociations entre Ottawa et les provinces vont rondement. Même l’Ontario a manifesté son intérêt cette semaine.
La Colombie-Britannique, où le « think tank » Generation Squeeze que dirige M. Kershaw milite depuis 10 ans pour reproduire le modèle québécois de garde d’enfants, a été la première à signer avec Ottawa en juillet. Trente mille nouvelles places y sont attendues d’ici 2027.
Frénésie immobilière
M. Kershaw prévient par contre que régler la crise du logement sera une autre paire de manches, car ni les libéraux ni leurs adversaires n’ont promis de s’attaquer au problème principal : la hausse constante et exponentielle des prix.
Depuis l’arrivée au pouvoir de Justin Trudeau en 2015, le prix moyen d’une maison a fait un bond de 300 000 $, du jamais-vu en plus de 30 ans, selon Statistique Canada. Les logements sont désormais 34 % plus chers que ce qu’un ménage moyen peut s’offrir, calcule Oxford Economics.
Casse-tête politique
Pour M. Kershaw, nos gouvernements sont frileux à stopper cette frénésie car notre croissance en dépend, donc une bonne part des revenus de l’État : l’immobilier compte pour 14 % de notre PIB (voir graphique 2)
De plus, stopper l’augmentation des prix aurait un coût politique puisqu’une frange de l’électorat en bénéficie.
« Les propriétaires, en majorité, veulent que les prix grimpent. Quand on est propriétaire, et j’en suis un, on s’enrichit en ne faisant absolument rien », explique le chercheur.
La réconciliation, de la parole aux actes

Photo d'archives
Sur le front de la réconciliation avec les peuples autochtones, Justin Trudeau est le premier à reconnaître qu’il faut en faire « beaucoup plus ».
Comment poursuivre sur un chantier aussi vaste et complexe alors que les drapeaux canadiens d’un bout à l’autre du pays sont toujours en berne depuis les découvertes de dépouilles sur les sites de pensionnats ?
« Le gros défi, c’est de livrer la marchandise », croit Sébastien Brodeur-Girard, professeur à l’École d’études autochtones de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue.
Malgré certaines avancées symboliques, comme la nomination de Mary Simon au poste de gouverneure générale, M. Brodeur-Girard estime que le gouvernement libéral traîne un déficit de crédibilité.
L’accès à l’eau potable est un de ces enjeux « tangibles » qui revient souvent sur la table. Depuis son entrée au pouvoir, le gouvernement libéral a consacré 4 milliards $ à ce problème, permettant d’éliminer 109 avis à long terme d’ébullition d’eau. Le dossier progresse, mais aux élections de 2015, Justin Trudeau fixait comme objectif l’année 2021. La fin des avis est désormais prévue pour 2023.
La question du logement en est un autre : les communautés autochtones sont aux prises avec une crise du logement encore plus criante que dans les centres urbains.
Pendant la campagne, les libéraux se sont engagés à élaborer une stratégie ciblée et à mettre sur pied un centre national du logement autochtone.
« C’est souvent ça l’enjeu dans les communautés. On peut bien régler le problème de l’eau potable, mais tout le reste des infrastructures tombe en ruines ou n’est pas à la hauteur. Ça mérite une action coordonnée », suggère M. Brodeur-Girard.
La petite révolution de l’environnement

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Ce ne sont pas les promesses en environnement qui ont manqué dans la campagne libérale, même si plusieurs étaient recyclées de l’élection de 2019. On a entre autres suggéré d’éliminer la pollution plastique d’ici 2030, de mettre en place un « droit à la réparation » et de créer dix nouveaux parcs nationaux.
Mais c’est surtout le sérieux accordé à la question climatique qui permettra de juger du bilan environnemental du gouvernement.
À ce sujet, le prochain mandat libéral sera surtout marqué par quelque chose qui est passé relativement inaperçu l’été dernier.
Tout juste avant la fin de la session parlementaire, la Chambre des communes a adopté une loi qui forcera le pays à atteindre l’objectif zéro carbone d’ici 2050.
Selon Rick Smith, président de l’Institut canadien pour des choix climatiques, cette dernière n’est rien de moins qu’une révolution, la plus importante dans l’histoire du pays en matière de climat.
« Il y a quelque chose de vraiment important dans cette loi-là : c’est la date limite de six mois accordée pour l’adoption d’un plan. Le gouvernement fédéral est maintenant dans l’obligation de déposer un plan au début du mois de décembre », explique-t-il.
Le plan à venir pourrait inclure les mesures fortes proposées dans la campagne, comme la fin des subventions aux pétrolières dès 2023, ainsi que le plafonnement des émissions pour les entreprises d’énergie fossile.
Le gouvernement devra rendre des comptes régulièrement et s’ajuster s’il ne répond pas à ses propres attentes.