Deux communautés autochtones de l’Abitibi ont récemment franchi un grand pas en vue de s'affranchir en partie de la DPJ grâce au lancement de leur propre service juridique de protection de la jeunesse.
En effet, les Anishnabés de Lac-Simon et de Kitcisakik qui font l'objet de signalements à la DPJ sont désormais pris en charge par un organisme autonome qui a pour objectif de tenir compte de leurs réalités culturelles et sociales.
C'est en 2019 que les Anishnabées de Lac-Simon, Kitcisakik, Winneway et Pikogan se sont regroupées et qu'ils ont embauché des juristes en vue de fonder Services Enfance & Famille Anicinape Mino Obigiwasin.
En 2020, une entente a été conclue avec le Centre intégré de santé et de services sociaux de l’Abitibi-Témiscamingue, a détaillé Donald Bourget, avocat et conseiller juridique chez Mino Obigiwasin. Celui qui a auparavant oeuvré comme procureur de la Commission d'enquête Viens a ajouté qu'il s'en est suivi un processus important d'embauche de personnel clinique, administratif et de soutien, jusqu'à ce que l'équipe actuelle en vienne à compter 65 employés. «Deux autres avocats, dont un est Anishnabé, ont aussi été recrutés afin d’assurer le transfert de la prise en charge des dossiers judiciaires par notre service juridique.»
Finalement, le 7 octobre dernier, l'organisme s'est officiellement fait déléguer plusieurs responsabilités auparavant exclusives à la DPJ, notamment en ce qui a trait à l’évaluation et l’orientation des signalements ainsi qu'à l’application des mesures de protection des jeunes des deux communautés situées près de Val-d'Or. Les démarches se poursuivent pour ce qui est de Winneway et Pikogan.
Méfiance envers la DPJ
«Le service public de la protection de la jeunesse en contexte autochtone a été de loin celui qui a suscité le plus grand nombre de témoignages et de déclarations à la Commission d’enquête Viens, mettant ainsi en lumière toute l’incompréhension et la méfiance des familles et communautés autochtones envers un système de protection qui leur était totalement étranger et perçu comme colonialiste», a expliqué Donald Bourget.
«L’objectif de cette prise en charge des services relatifs à l'enfance et aux familles vise essentiellement à développer un système de protection de la jeunesse dans lequel les membres des communautés signataires peuvent développer un sentiment d’appartenance qui respecte les valeurs et les traditions Anishnabées», a poursuivi le juriste.
Un processus complexe
Plusieurs communautés autochtones du Québec ont entrepris des démarches pour créer leurs services de protection de la jeunesse, mais il s'agit d'un processus complexe nécessitant le déploiement d'importantes ressources professionnelles. Par ailleurs, des demandes faites en ce sens auraient parfois été reçues froidement par les autorités responsables.
Les Atikamekw de Manawan et de Wemotaci, ceux d’Opitciwanles – qui se sont tournés vers le fédéral –, les Mohawks de Kahnawake et d’Akwesasne et auparavant les Inuits du Nunavik ainsi que les Cris, précurseurs en la matière suite à la signature de la Convention de la Baie James et du Nord québécois, ont tous ouvert la voie aux Anishnabés d'Abitibi en ratifiant des ententes leur permettant d'être indépendants à divers degrés dans la gestion de leurs services de protection de la jeunesse.
Depuis peu, les communautés autochtones de la province peuvent aspirer à encore plus d'indépendance que ce que permet Québec. C'est que le gouvernement fédéral a sanctionné en 2019 le projet de Loi C-92, lequel accorde encore plus d'autonomie et de ressources pour la mise en place de services semblables à la DPJ. Une opportunité dont on aimerait profiter chez Mino Obigiwasin et ailleurs.
Cependant, le gouvernement Legault a décidé de contester la constitutionnalité de cette loi devant les tribunaux, sous prétexte qu'elle empiète sur un champ de compétence provinciale, une joute qui risque de se conclure devant la Cour suprême, selon les observateurs.